Décentralisation & Développement Régional, deux priorités
La Tunisie continue à souffrir de la lenteur et de la pertinence de ses décisions centralisées aggravées par un grand déficit de capacité d’exécution de ces décisions.
Il va de soi qu’une décentralisation bien préparée peut a priori accélérer le développement économique et social de la Tunisie aux niveaux local, régional et national. Mais cette décentralisation suppose des préalables dont la montée en puissance d’administrations locales et régionales avec les ressources financières et les compétences nécessaires pour gérer de façon intégrée les services publics locaux et régionaux.
Avec la configuration actuelle de l’administration, il est impossible de fournir à de futures administrations locales et/ou régionales toutes les ressources humaines avec les compétences appropriées dont elles auraient besoin sans décupler les dépenses publiques, et ce même en dépouillant l’administration centrale. Seule une gestion intégrée des collectivités locales autour d’une plateforme mutualisée rendrait possible une conduite d’un tel changement dans des délais raisonnables.
Ceci force une réingénierie de l’administration du territoire pour en simplifier le découpage et optimiser la répartition des collectivités locales. Les expériences de décentralisation réussies montrent qu’il faut mettre au niveau:
- local (municipal) tous les services publics de proximité nécessitant peu de masse critique,
- régional tous les services publics nécessitant une masse critique et garantissant à la région une relative autonomie économique,
- national les services publics dont la centralisation est un gage de performance et dont la décentralisation peut dégrader la qualité du service auprès du citoyen.
Outre la fourniture de services publics locaux, les collectivités locales devront prendre en main leur développement local et de même au niveau régional. Se pose alors la question du modèle de pilotage de ce développement local et régional.
Avec 11 millions d’habitants, la Tunisie produit 45 milliards de dollars de PIB. Sans confondre PIB d’un pays et chiffre d’affaires d’une multinationale, essayons de nous inspirer pour le développement régional et local de la Tunisie des modèles de développement des multinationales ayant fait leurs preuves à travers le monde et le temps.
En effet, 45 B$ est le CA moyen d’une entreprise du CAC40 et les multinationales pilotent leur développement sur deux dimensions : une dimension géographique (mondiale/régionale/locale) et une dimension métier (par secteur ou par offre) et nous avons besoin de ces deux dimensions pour piloter le développement local et régional et consolider une stratégie de développement pour chacun des secteurs stratégiques en Tunisie.
Ces modèles existent et ont fait leur preuve à travers le monde et nous n’avons pas besoin de réinventer l’eau chaude, faisons simplement appel à ceux qui savent les piloter avec les outils appropriés.
Notons en ces temps de confusion que ces modèles réussissent davantage à des équipes de développement qui conjuguent en terme de compétence des expertises sectorielles, la conduite des projets et le sens de rentabilisation des investissements (à l’image des private equity).
Une accélération du développement de la Tunisie passe par une focalisation de nos ressources financières limitées sur des investissements à plus forte rentabilité avec un suivi et une conduite des projets à bon port et ce dans chacun des secteurs, tant au niveau local que régional.
Ceci relève du simple bon sens pour certains et s’apparente malheureusement à du chinois pour d’autres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on continue à se plaindre du manque de ressources notamment financières alors que si elles étaient doublées nous ne saurions pas mieux en faire profiter l’économie du pays, à l’image du conducteur dont le véhicule avance peu et qui croit qu’il lui manque du carburant alors que son moteur est endommagé et qu’il n’en a aucune conscience.
Malgré tous les colloques, Décentralisation et Développement local et régional auraient pu être au cœur de l’action de nos gouvernements depuis 3 ans pour réalimenter la pompe économique et générer de nouvelles richesses et en faire profiter les régions…
En effet, seule la décentralisation peut permettre d’occuper utilement et productivement un plus grand nombre de fonctionnaires dont il est difficile de réduire les dépenses. Bien entendu ceci n’a d’intérêt que si une élévation des services publics est opérée. Couplée avec le développement aux niveaux local, régional et national, la décentralisation peut redonner du travail et fluidifier la création de richesses dont le pays a besoin pour mieux la redistribuer.
Le plus tôt décentralisation, développement et coopération internationale sont pris en main de façon intégrée le plus vite nous pourrons cueillir le fruit de nos investissements dans les régions et il est hautement recommandé à notre nouveau Chef du Gouvernement de confier l’ensemble de ces missions à un Ministre manager, compétent, indépendant, efficace, fédérateur, réformateur et mobilisateur.
Malheureusement, pendant trois ans nous avions cru que nos priorités étaient ailleurs et nous risquons de remettre l’exécutif à un nouveau gouvernement de compétences pour le lui reprendre dès que les prochaines élections auront été organisées, probablement avant qu’il n’ait eu le temps d’engager des réformes structurantes pour notre pays, lesquelles réformes étant à la dois nécessaires et impopulaires, nos prochains politiques prendraient difficilement le risque d’engager après les élections!
Espérons que nos élites politiques auront progressé avant la prochaine campagne électorale pour ne pas tromper l’opinion publique comme en 2011 et porter à la tête du pays de nouvelles coalitions
- sans valeurs partagées autre que le partage du pouvoir,
- sans programme commun autre que l’improvisation et la solidarité y compris dans l’erreur
- et surtout portés par de nouveaux incompétents !
Vive la Tunisie qui se redresse.
Mounir Beltaifa