Opinions - 03.04.2017

Hakim Ben Hamouda: Quels scénarios pour l’économie tunisienne en 2017?

Hakim Ben Hamouda: Quels scénarios pour l’économie tunisienne en 2017?

En dépit de quelques «green shoots of recovery», ou quelques bourgeons de reprise, comme l’aurait dit en son temps l’ancien président américain Barack Obama quelques mois après le déclenchement de la plus grave crise financière de ces dernières années 2008-09, la situation de l’économie tunisienne reste préoccupante et beaucoup d’interrogations subsistent quant à l’avenir de notre économie et de sa capacité à sortir de la crise actuelle. Certes, notre pays a connu quelques développements positifs sur la voie de la démocratisation, de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme.

Par ailleurs, on a enregistré quelques indices positifs avec notamment un raffermissement du secteur touristique suite à la levée de l’interdiction de venir en Tunisie par certains pays européens comme la Belgique, une reprise de la production de phosphate et une prévision d’une bonne récolte agricole après une année 2016 catastrophique où la production a baissé de 8,4%. Mais, en dépit de ces légères améliorations, l’ambiance reste morose et les inquiétudes grandes quant à l’avenir de notre économie.

Comment sera l’année 2017 ? C’est la question que ne cessent de poser responsables politiques, acteurs économiques, experts et analystes. Parviendrons-nous à sortir de la crise et à voir le bout du tunnel ou allons-nous nous enfoncer encore plus, ce qui ne fera que renforcer l’incertitude et le désenchantement?

Il est difficile de répondre à ces questionnements tant les incertitudes sont encore importantes et peuvent influencer le comportement des acteurs économiques mais aussi l’évolution des grandes tendances économiques. Mais, nous essayerons dans cette contribution à utiliser l’analyse prospective et la méthode des scénarios pour aborder les voies possibles de l’évolution de notre économie lors des prochains mois. Cette méthodologie connaît un large engouement de nos jours dans la mesure où elle cherche à réduire la complexité des évolutions futures dans un nombre limité de scénarios et d’options afin de mieux saisir l’avenir. Mais, elle n’est pas exempte de critiques dans la mesure où les évolutions futures peuvent échapper à cette lecture.

Dans cette analyse, nous distinguerons trois scénarios : un «baseline» scénario ou scénario de base, un scénario pessimiste et un scénario optimiste. Pour chacun d’entre eux, nous nous proposons d’identifier les «drivers» ou les facteurs qui le mènent, leurs conséquences mais aussi les politiques que nous devons mettre en place pour mitiger leurs effets négatifs et renforcer leurs aspects positifs.

Le baseline scénario ou le scénario de base est celui qui a été adopté par les institutions internationales et le gouvernement dans le cadre de la loi de finances 2017. C’est un scénario qui tourne autour de trois composantes essentielles : la première est le maintien d’une croissance économique supérieure à 2% avec une stabilisation des grands équilibres macroéconomiques et avec un déficit budgétaire inférieur à 4% et un déficit courant autour de 7%. La seconde composante de ce scénario de base suppose une maîtrise de la crise des finances publiques avec des recettes budgétaires autour de 24 milliards de dinars et sans parvenir à aplanir toutes les difficultés avec le FMI, ce scénario suppose que nous soyons en mesure de mobiliser au moins deux tranches de l’accord signé en 2016, celle en retard de décembre dernier et une tranche au moins sur les six restantes. La troisième est celle de la maîtrise de la situation sociale et d’éviter des conflits d’envergure qui peuvent soit dégénérer sur le plan politique ou avoir des conséquences importantes sur le budget de l’Etat et pourraient par conséquent renforcer la crise des finances publiques.

Il s’agit d’un scénario dont le principal objectif est la stabilisation d’une situation économique difficile et de finances publiques à la dérive. C’est un scénario qui permettra d’éviter une crise grave des finances publiques et maintiendra la croissance à un niveau plus élevé que les deux années passées, 2015 et 2016. Ces évolutions seront importantes et permettront de redonner confiance aux acteurs économiques et de préparer l’avenir.

Mais, ce scénario exige un engagement dans l’exécution des réformes économiques, ce qui constituera un élément essentiel dans la préparation des années à venir à plusieurs niveaux. D’abord, elle permettra de renouveler nos institutions, d’accroître leur efficacité et par conséquent de renforcer leur contribution dans la croissance économique. Ensuite, l’accélération des réformes donnera un coup de fouet aux investissements et favorisera une reprise des investissements et attirera plus d’investisseurs étrangers. Enfin, cet engagement dans la conduite des réformes rendra notre coopération avec les institutions internationales plus fluide et nous permettra de mobiliser plus facilement les financements externes. Parmi ces réformes, nous mettrons l’accent sur la réforme de l’administration, celle du financement de l’économie et de la fiscalité.

Le second scénario est le scénario pessimiste. Il s’agit d’un scénario dangereux qui peut mener notre économie sur une pente hasardeuse qui peut avoir des conséquences majeures sur la transition politique, voire la remettre en cause. Il s’agit pour les pouvoirs publics d’éviter ce scénario par tous les moyens.

Nous pensons que deux «drivers» ou facteurs peuvent nous mener vers ce scénario du pire. Le premier est celui d’un attentat terroriste d’envergure qui peut entacher l’image de notre pays au niveau international et réduire la confiance interne. Certes, notre pays a fait un pas important dans la lutte contre le terrorisme mais la dernière opération de Kébili montre que nous sommes toujours en face d’un terrorisme résiduel qui pourrait «nous faire mal».

Le second facteur qui peut déclencher ce scénario est une grave crise des finances publiques qui peut provenir soit d’une progression moins rapide des recettes fiscales que celles prévues dans le budget et qui pourrait se situer autour de 23 milliards de dinars au lieu des 24 milliards prévus dans le budget, ce qui pourrait par conséquent peser lourdement sur l’équilibre du budget. Par ailleurs, cette crise pourrait provenir aussi d’un blocage des négociations avec le FMI rendant difficile la mobilisation des 8 milliards de dinars pour combler le gap entre les recettes et les dépenses budgétaires. 

Les conséquences de ce scénario sont importantes et se situent à trois niveaux. Le premier niveau économique où nous assisterons à une forte baisse de la croissance économique qui pourrait même se transformer en une forte récession. Par ailleurs, on connaîtrait une forte augmentation du déficit budgétaire qui pourrait se situer autour de 6%. On pourrait aussi enregistrer une forte augmentation de l’endettement qui pourrait atteindre 75% par rapport au PIB. Mais, plus important que les indicateurs économiques, il faut mentionner que ce scénario toucherait notre crédibilité et pourrait nous mettre dans une situation de difficulté de paiement. Les conséquences de ce scénario sont aussi sociales dans la mesure où les difficultés des finances publiques pourraient entraîner un retour des grandes mobilisations sociales. Enfin, ce scénario pourrait avoir des conséquences politiques et renforcerait l’instabilité. 

Comment éviter ce scénario? C’est la question que nous devrons nous poser afin de faire face à ces conséquences néfastes. D’abord, il faut mentionner la nécessité de maintenir la vigilance sur le front de la lutte contre le terrorisme, particulièrement à l’approche de la saison estivale. Il faut aussi poursuivre de manière déterminée la mise en œuvre des réformes économiques et les efforts de réduction de la masse salariale dans le budget. Pour ce qui est des finances publiques, il faut redoubler d’efforts tant au niveau des recettes que des dépenses. Pour les recettes, il est essentiel de renforcer l’efficacité de la collecte mais également élargir la base fiscale. Plus particulièrement, un effort important doit être déployé pour les entreprises qui sont passées du système forfaitaire au système réel. Il faut également poursuivre les efforts dans le domaine des dettes fiscales et des dettes douanières. Les recettes doivent contribuer à la diminution de la pression sur les finances publiques et nous devons fixer des objectifs ambitieux pour l’administration fiscale et dépasser les prévisions actuelles pour augmenter les recettes d’un montant qui doit se situer entre 500 millions et 1 milliard de dinars. Il faut également revoir de manière rigoureuse les dépenses publiques et effectuer les ajustements nécessaires afin de les réduire. Ainsi, la consolidation budgétaire reste un objectif essentiel pour faire face à ce scénario pessimiste. En même temps, il faut préparer une nouvelle sortie sur les marchés internationaux pour faire face aux engagements de l’Etat.  

Le troisième scénario est celui de l’optimisme: le «key driver» ou le facteur qui pourrait déclencher ce scénario serait une forte reprise de l’investissement ou ce qu’on appelle un choc d’investissement. A ce niveau, nous pensons qu’un retour du taux d’investissement par rapport au PIB à son niveau de 2012 qui était de 24,5% serait une importante réalisation. Il faudrait ainsi se fixer comme objectif de gagner 2,6 points d’investissement. Plusieurs moyens peuvent nous faciliter la réalisation de cet objectif dont une plus grande efficience dans l’exécution des investissements publics, la progression dans la réalisation des promesses de la Conférence 2020 sur l’investissement et enfin l’adoption de la loi sur l’urgence économique. Il faut également s’attaquer à la banque de grands projets structurants qui reste désespérément vide pour une reprise à moyen et à long terme des investissements.  

Ce scénario a des effets positifs importants à différents niveaux. D’abord, et même si les effets de croissance ne seront pas importants lors de la première année et ne devrait pas dépasser 0,7% de croissance supplémentaire, c’est surtout lors des années à venir que l’impact de ce choc d’investissement sera important en matière de croissance. Les effets de ce scénario seront aussi importants en matière de recettes fiscales supplémentaires qui devraient se situer entre 250 et 300 millions de dinars lors de la première année. Les conséquences en matière d’emploi ne devraient pas être négligeables et devraient se situer selon nos estimations autour de 10 000 emplois supplémentaires au cours de la première année. Mais, l’impact le plus important de ce scénario est surtout politique dans la mesure où il sera à l’origine d’un retour progressif de la confiance et du débat de la transition économique.  

Notre économie connaît une crise profonde qui pourrait dégénérer lors de l’année en cours comme nous l’avons souligné avec le scénario pessimiste ou qui pourrait continuer à stagner et à «faire du surplace» comme nous l’avons indiqué avec le scénario mi-figue mi-raisin ou le baseline scénario. De ces différentes options, seule la voie de l’audace pourrait constituer une véritable sortie de crise, redonner l’espoir et rétablir la confiance. Cette voie passe par une véritable consolidation budgétaire et un rétablissement des grands équilibres macroéconomiques, un retour de l’investissement et une accélération des réformes économiques.

Hakim Ben Hamouda



 

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