Taoufik Habaieb: A qui parle le gouvernement?
L’année 2017 tire à sa fin sans pour autant avoir tenu la moindre de ses promesses : les tensions internationales ne se sont pas apaisées, les brasiers n’ont pas été éteints, la paix n’est pas de retour et la prospérité est loin de poindre à l’horizon. Rien que dans le monde arabe, ce qui se passe au Yémen dépasse l’entendement. L’affrontement de plus en plus direct entre l’Arabie saoudite et l’Iran s’accentue avec plus de férocité dans la péninsule arabique, continuant à sévir en Irak, en Syrie et lourdement désormais au Liban. Le risque de déstabiliser toute la région et d’atteindre des pays fragiles du sud de la Méditerranée occidentale est bien à craindre.
En Egypte, les 300 morts et plus, dans le carnage récent du Sinaï, rappellent la sauvagerie d’un terrorisme qui se reproduit, s’étend et se mue, n’épargnant plus aucun pays. Chassés de Raqqa, les tueurs de Daech refluent au Soudan et en Libye. Leur jonction avec Aqmi et leur percée dans les autres pays, notamment l’Afrique du Nord, sont bien redoutables.
En Libye, un drame humanitaire est à nos portes. Avec la traite des êtres humains, l’esclavagisme, pour le nommer, la mainmise des prédateurs sur le pétrole et les biens publics, la faillite financière annoncée de l’Etat, la paupérisation de la classe moyenne, la cherté des produits alimentaires, la rareté des médicaments, et l’effondrement des écoles et des hôpitaux, c’est la propagation des épidémies qui vient sonner le glas.
En Tunisie, le maître des horloges, Béji Caïd Essebsi, s’échine à faire avancer les aiguilles qui, au mieux, sont tentées de se figer, lorsqu’elles ne s’obstinent pas à vouloir revenir en arrière. Le salafisme et les vieux démons ne sont pas encore morts. La cadence des réformes et de la sortie de crise échappe à tous. Le rythme n’est maîtrisé par personne. La notion du temps n’a plus le même sens au Bardo qu’à la Kasbah et à Carthage. Le propre du pouvoir est de durer. Celui du ‘’petit peuple’’ est de survivre.
Tout n’est pas aussi déprimant. La cartographie des menaces potentielles du terrorisme est mieux maîtrisée. Armée et forces de sécurité intérieure, plus aguerries, mieux équipées et bien renseignées, accélèrent leur montée en puissance. La lourde machine de la lutte contre la malversation, courageusement enclenchée par Youssef Chahed — il faut le lui reconnaître, mais pas à lui seul — et vivement repoussée par nombre de ses adversaires, complices des gros bonnets, ne saurait plus se ralentir ou s’arrêter. L’exigence des Tunisiens est forte.
Une erreur risque d’être fatale. A qui parle le gouvernement ? A cette femme, debout à 4 heures du matin pour partir s’éreinter aux champs ou à l’usine ? A ce père de famille qui trime dès les aurores, sans garantie de pouvoir boucler ses fins de mois ? A ce jeune, éjecté de l’école et exclu du marché de l’emploi qui n’a plus le choix qu’entre la criminalité et la harga, quand il n’est pas happé par la radicalisation et le terrorisme ? A ce chef d’entreprise, écrasé par les impôts et ployant sous les revendications syndicales excessives et la concurrence déloyale qui le prennent en otage ?
Sans s’y m’éprendre, c’est à eux tous et non au FMI que la Kasbah doit s’adresser. Le gouvernement ne pourrait y faire la moindre confusion. Ce n’est pas en élève studieux et appliqué, cherchant à répondre scrupuleusement à toutes les exigences du FMI et autres bailleurs de fonds, qu’il sortira la Tunisie et les Tunisiens de ce profond précipice et la prémunira contre les grands risques qui la menacent. Mais en écoutant le Tunisien, en parlant au Tunisien, en trouvant des solutions immédiates à ses préoccupations, en améliorant concrètement son quotidien et en le rassurant sur son avenir. Point de chiffres et de grands discours, point de fausses promesses et de lointaines échéances, c’est de l’immédiat qu’il s’agit.
Se contenter d’avoir pour tout objectif de maintenir le statu quo jusqu’aux élections de 2019, dans l’espoir, d’ici là, d’un hypothétique miracle économique et financier n’est ni une option, ni une ambition acceptables pour les Tunisiens.
Le gouvernement ne doit manquer ni d’imagination, ni d’audace, encore moins de sincérité vis-à-vis du peuple. Il n’a pas été investi pour gérer, mais pour concevoir et mettre en œuvre des politiques publiques innovantes, des solutions. Parler aux Tunisiens est essentiel. Ne rien leur cacher sur les blocages imposés par les uns, l’irresponsabilité des autres, les dégâts des prédateurs, le corporatisme étroit des nantis, les manœuvres des déstabilisateurs et l’inconscience de nombreux Tunisiens est le début d’une reconquête de la confiance.
Est-ce trop demander ?
Bonne et heureuse année.
Taoufik Habaieb