Climat et Cop 23 à Bonn : la planète est à la croisée des chemins
«A quoi bon avoir une maison si l’on n’a pas de planète acceptable où la mettre ?»
Henry D. Thoreau (naturaliste et philosophe américain, 1817-1862)
La COP23 s’est tenue en Allemagne deux semaines durant sous la présidence de M. Frank Bainimarama, le Premier Ministre de Fidji, cet archipel du Pacifique Sud qui se voit inexorablement submergé par la montée des eaux. Fidji dépense aujourd’hui 10% de son PNB pour se protéger des eaux soit quatre fois plus qu’il y a cinq ans. Symbolique très forte donc que cette présidence fidjienne en terre allemande, d’autant que la très active « Bonn zone » de la conférence était parée des couleurs tropicales de Fidji. D’ailleurs, c’est là que s’est joué l’essentiel et non à la « Bula zone », l’épicentre des négociations. Les divers acteurs et la société civile se donnaient rendez-vous à la « Bonn zone » où les initiatives et brainstorming ont fleuri.
Les délégués de près de 200 Etats de la COP 23 ou Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique devaient travailler à la mise en place des règles d’application de l’accord de Paris de 2015. Ce dernier vise à contenir le réchauffement global sous 2°C par rapport à la période préindustrielle.
Le rideau est tombé sur la COP 23 vendredi 17 novembre 2017. Rendez-vous en 2018 à Katowice, en Pologne, pour compléter les règles qui devraient mettre en pratique l’accord de Paris. Là, les choses pourraient se gâter car le pays dépend du charbon et s’est souvent manifesté par son opposition aux actions en faveur du climat à l’Union Européenne. Signe positif cependant, vendredi 17 novembre, les Polonais, pressés par l’UE, ont suspendu leur blocage des décrets d’application en faveur de l’action climatique pré-2020 appelés « Amendement de Doha».
Cependant, amertume et frustration se sont clairement exprimées à la fin des travaux. Ainsi, l’Ethiopien Gebru Gember Endalew, le président du bloc des négociateurs des 47 Pays les Moins Développés, a déclaré : « Contrairement à l’immigration, vous ne pourrez pas protéger du changement climatique votre pays en construisant un mur. » (The Guardian, 17 novembre 2017). Quant au Malien Seyni Nafo, chef du groupe des pays africains, il estime : « C’est comme si le cœur n’y était pas. Il y a comme un attentisme, chacun s’observe dans les négociations. Quand un des acteurs ne joue pas sa partition, il n’y a plus d’émulation » pointant l’attitude des Etats Unis qui ont redit jeudi, à la tribune, leur intention de quitter l’Accord de Paris. (La Croix, 15 novembre 2017). Dans le même temps, 13 agences fédérales américaines, dans un rapport exhaustif, ont infligé un cinglant démenti vendredi 27 octobre, à l’Administration Trump en affirmant que « l’homme est la cause principale de l’élévation de la température du globe et c’est l’homme qui a créé la période la plus chaude dans l’histoire de la civilisation. » (The New York Times, 3 novembre 2017). Les observateurs relèvent cependant que les officiels américains à Bonn ont adopté une position neutre et n’ont nullement cherché à gêner les travaux. Néanmoins, le forum patronné par les Américains et chantant les louanges des fuels fossiles et de l’énergie nucléaire a été reçu avec incrédulité et colère à Bonn.
Urgence écologique et climatique
Nul attentisme ne saurait être envisagé ! Car aujourd’hui le monde est sur une voie qui conduit tout droit à au moins +3°C de réchauffement global - un résultat catastrophique qui pourrait déboucher sur des conséquences particulièrement sévères pour notre planète.
Déjà, il y a un quart de siècle, 1700 scientifiques avaient tiré la sonnette d’alarme. En 2017, dans la revue Bioscience, ce sont plus de 15000 scientifiques - biologistes, chimistes, agronomes, physiciens, astronomes, zoologues - appartenant à 184 pays ont lancé, lundi 13 novembre, un avertissement sur l’extrême urgence à préserver notre environnement et les écosystèmes terrestres. Ils rappellent que tous les indicateurs montrent une détérioration de l’environnement faite par l’homme. Pour éviter une misère généralisée et une perte catastrophique de biodiversité, l’humanité doit adopter une alternative plus durable écologiquement que la pratique qui est la sienne aujourd’hui. »
Les Tunisiens devraient bien garder en mémoire l’indicateur « eau » de cet avertissement des scientifiques: « Par rapport au début des années 1960, la disponibilité d’eau douce par habitant a diminué de moitié. En 2017, la raréfaction de la ressource, qui touche de nombreuses régions dans le monde, ne prive pas seulement des millions de personnes d’eau potable, elle affecte aussi leur santé, la production de récoltes et d’énergie. » (Le Monde, 14 novembre 2017, p. 1, 6-9).
Les problèmes épineux sont renvoyés a 2018
A Bonn, les décisions importantes n’étaient pas à l’ordre du jour. A Paris en 2015, près de 200 nations ont défini comment elles comptaient limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Ces engagements ne sont pas contraignants au plan international. Les pays riches, de leur côté, ont convenu d’aider les pays pauvres à développer les énergies propres et à se doter des moyens pour résister aux aléas climatiques. C’est pourquoi la déclaration de M. Trump disant que son pays ne contribuerait plus au Fonds Vert du Climat a été fraîchement accueilli. Or, chaque consommateur américain émet en moyenne deux fois plus de CO2 qu’un Européen de l’Ouest, trois fois plus qu’un résident du Moyen-Orient et quatre fois plus qu’un Chinois. A l’inverse, les habitants de l’Asie du Sud et d’Afrique émettent 2 tonnes d’équivalent CO2 (2tCO2e), bien en dessous de la moyenne mondiale qui affiche 6,2 tCO2e, et 20 fois moins qu’un Américain d’après l’économiste Thomas Piketty.
Quelques progrès ont été cependant enregistrés - comme la prise en compte des peuples autochtones particulièrement impactés - mais le gros de l’ouvrage ne verra le jour qu’en Pologne. D’ores et déjà, la probabilité est forte de ne pouvoir contenir le réchauffement climatique sous les 2°C… alors que les années 2016 et 2017 ont enregistré des records de chaleur.
En tout cas, l’ombre du charbon - le plus polluant des fuels fossiles - a bien assombri l’horizon : Les mines de lignite allemandes n’étaient-t-elles pas à quelques encablures de Bonn ? Et, pour ne rien arranger, lundi 13 novembre, les scientifiques ont annoncé que les émissions de gaz carbonique devraient vraisemblablement augmenter en 2017 après un répit de trois ans du fait du rebond de la consommation chinoise de charbon. Et il n’y a pas que la Chine ! L’Allemagne même est en passe de rater ses objectifs climatiques, lignite aidant. Malgré les pressions, Mme Merkel s’est refusée à annoncer une date pour sevrer son pays de sa gargantuesque consommation de houille… d’autant que son gouvernement est encore dans les limbes. La transition bas-carbone volontariste n’est pas pour demain puisque, pour ne donner qu’un exemple, 40% de l’électricité dans le monde est encore tributaire du charbon. Mais, dans la « Bonn zone », une alliance d’une vingtaine d’Etats a vu le jour et vise une sortie définitive du charbon en 2030.
Alors que la COP 23 tirait à sa fin, une querelle technique sur le financement par les nations fortunées a éclaté. Ces dernières n’ont pas démontré comment elles comptaient tenir leur promesse de 100 millions de dollars par an, d’ici 2020, afin que les pays pauvres puissent réduire leurs émissions et s’adapter au changement climatique. Ces pays et les nations vulnérables (Fidji, Palau…) demandaient que les donneurs annoncent à l’avance leurs contributions et quand elles pourraient en disposer afin de planifier leurs actions climatiques. Réticence des pays riches qui affirment ne pouvoir s’engager à la place de futurs gouvernements. Les ONG ont critiqué la lenteur du versement des fonds promis et affirment : « Les pays riches, pour la plupart, sont arrivés à Bonn les mains vides. »
L’avertissement des 15000 scientifiques n’a pas été entendu à Bonn. Les décideurs n’ont pas été capables du sursaut politique salutaire nécessaire. Après un quart de siècle de négociations, les hommes ne sont pas encore parvenus à commencer à diminuer les émissions de GES. Les pays industrialisés continuent à nier leur responsabilité historique dans le dérèglement climatique comme ils continuent à consommer de façon non durable notamment pour la viande et les produits laitiers. Les 10% les plus riches sont responsables de 49% des émissions mondiales liées à la consommation d’après l’ONG Oxfam.
La bombe climatique est pourtant sous les pieds des humains.
Arrivera-t-on à la dégoupiller au cours du sommet « One Planet Summit » convoqué à Paris le 12 décembre prochain par le Président Emmanuel Macron qui ambitionne de « mobiliser les financements publics et privés »?
Qui vivra verra !
Mohamed Larbi Bouguerra