Abderrazek Maalej : Quand les décideurs sont peureux, l'Etat ne peut être que prodigue
En 1983, lors de la préparation de la loi de finances de 1984, il était question d'élimination progressive de la compensation. Lors d’un débat télévisé en direct à ce sujet, en présence du ministre Mansour Moalla, , Mohamed Mzali alors premier ministre, est soudainement intervenu pour annoncer qu'il n'y aura pas d'augmentation de prix des produits de premières nécessités.
Ce camouflet irréfléchi d’un Mzali, avide de pouvoir, à son ministre, et cette hésitation au sommet de l'Etat, étaient, de l'avis des historiens, en partie à l'origine des événements dramatiques du pain de janvier 1984, et du recul du pouvoir agonisant de Bourguiba sur ces augmentations.
35 ans après, un chaos mental bloque toujours nos décideurs sur cette maudite compensation comme si nous avons arrêté de réfléchir.
Voilà que monsieur le ministre du commerce nous explique, lors du débat budgétaire sur son ministère "la prodigalité de l'Etat" à ce niveau : "le blé tendre acheté à 50 dinars le quintal, est au final distribué gratuitement aux boulangeries avec à la solde un rajout de 6 dinars par quintal ......il nous informe aussi que la consommation moyenne du tunisien selon l'INS est de 20kg par an, alors que nous importons l'équivalent de 50kg par personne ».
Conclusion, l'Etat finance un gaspillage alimentaire monstre et encourage le marché informel de la contrebande des produits subventionnés.
Alors que de l’avis de plusieurs spécialistes, la compensation peut être reformée facilement par un simple changement de mécanisme, et le passage du soutien des prix, au soutien des revenus, en référence à un système déclaratif et spontané des citoyens et l'introduction d'une carte à puce permettant le ciblage intelligent des ménages éligibles.
Subissons-nous à ce jour la psychose des événements dramatiques de janvier 1984, ou avons-nous toujours des décideurs peureux ou avides de pouvoir comme en 1984 ?
Sommes-nous effrayés par le changement ? Nos hommes d’Etat sont-ils en manque de courage politique ou sont-ils bloqués par les institutions ?
Dans cette attente, les charges de la caisse de compensation explosent d'une année à l'autre. Depuis un certain 14 janvier 2011, nous ramons à contre-courant, le précipice n'est pas loin.
Un consensus idiot, perdants-perdants, entre le gouvernement et la centrale syndicale confirmé le 27 novembre 2017, risque d'aggraver encore plus l'endettement public des Tunisiens.
L'Etat continuera certainement sa gestion prodigue des affaires en 2018, la fin du gâchis n’est pas pour demain.
Un jour les décideurs d'aujourd'hui, comme leurs prédécesseurs de 1984, raconterons avec amertume à leurs petits enfants : « Ah j'avais le pouvoir... et j'ai été lâche ».
Abderrazek Maalej
Expert comptable indépendant