Afif Chelbi: plaidoyer pour une accélération du partenariat avec l'Europe
J'aimerais rappeler tout d'abord quelques chiffres pour souligner que la  Tunisie et l’Union Européenne ont beaucoup évolué depuis 30 ans et  encore plus depuis 15 ans. Puis, je parlerais des perspectives à   l’horizon que vous avez fixé, l’horizon 2030.
  
  Plusieurs chiffres clés montrent l’ampleur des changements intervenus en  Tunisie, notamment depuis 1995  date à laquelle son Excellence Monsieur  le Président de la République a fait le choix courageux de faire de la  Tunisie le 1er Pays MEDA à signer un accord d'association avec l'UE  (1995) et qui, en dépit des craintes initiales, a été un véritable  partenariat gagnant-gagnant :
  
  En effet depuis 1995, les échanges Industriels entre la Tunisie et l’UE  ont été multipliés par plus de 5, passant de moins de 4 milliards à plus  de 20 milliards d’euros.
Premier site d'implantation  au sud de la Méditerranée
  
  De ce fait, plus de 2200 entreprises européennes opèrent aujourd’hui en  Tunisie, devenue le premier site d’implantation au Sud de la  méditerranée. Le nombre d'entreprises en partenariat est passé de 50/an à  près de 100/an (en moyenne chaque semaine deux entreprises européennes  s’implantent en Tunisie et cela a continué pendant la crise).
  
  Et il faut ici rendre hommage aux programmes d’appui de l’UE, notamment  le PMI, qui à côté du programme de mise à niveau a fortement favorisé  cette mutation.
  
  Enfin, entre 1995 et 2009, la Tunisie a vu le nombre de ses étudiants  multiplié par 10 passant de 40.000 à 400.000 soit 4% de la population  (taux européen). Ce qui impose de nouveaux enjeux pour la Tunisie :  créer plus d’emplois pour ses diplômés donc plus d’innovation et de  développement technologique pour son économie et ses partenariats.
  
  Mais il faut noter que depuis 15 ans l’UE a aussi profondément changé:
- Dans sa configuration d’abord, son regard s’est plus tourné vers les pays de l’Est, même si depuis quelques années, et pour des raisons objectives, il y a eu un certain regain d’intérêt pour le Sud
 - Et surtout, l’irruption exponentielle de l’Asie et son impact sur les systèmes productif européens.
 
En effet, en 1990, les PIB de la Chine, de l’Inde de la Corée du Sud et  de l’Indonésie  étaient inférieurs à celui de l’Italie.
  
  En 2009, le PIB de la Chine à elle seule était supérieur à celui de  l’Allemagne, et le PIB de chacun de ces trois autres pays asiatiques  était supérieur à celui de la France.
  
  De ce fait, l’année dernière, et pour la première fois, la part des pays  émergents dans la production industrielle mondiale a dépassé 50%.  L’Europe a connu depuis 30 ans une désindustrialisation massive, sa part  passant de plus du tiers à moins de 15 % avec la perte de plus de 20  millions d’emplois industriels.
Le déclin industriel touche aussi les Etats Unis, je lisais un article à propos de la ville de Detroit intitulé « Du désert industriel à la friche agricole » et indiquant que cette ex capitale de l’automobile ne sait plus quoi faire de ses milliers d’hectares de zones et bâtiments industriels abandonnés et songe à les convertir en terres agricoles.
Les  relais de croissance se trouvent aujourd'hui au Sud
  
  Je citerais également, à propos du différentiel de croissance Nord –  Sud, une métaphore reprise d’un grand journal économique français que je  trouve significative, car nous ne trouvions pas ce type de raisonnement  en Europe il y a seulement quelques années: «Tous ces grands  processus structurants restent presque immobiles pendant très longtemps  comme le sable qui remplit une benne ne bouge pas alors que la benne se  redresse lentement. Mais, une certaine inclinaison étant atteinte tout  bascule. Faut-il dix ou vingt ans pour que la globalisation bascule, la  différence de croissance entre le Nord et le Sud finissant par mettre à  distance le Nord sans que ce dernier soit invité à partager le fruit de  cette croissance».
  
  Tant il est vrai que c’est au Sud aujourd’hui que se situent les relais  de croissance et le respect des équilibres macro-économiques. 
  
  Il y a trente ans le FMI intervenait au Sud avec ses Plans d’Ajustement  Structurels, aujourd’hui il intervient en Europe.
  
  Lionel Zinzou responsable de Rothchild  et conseiller du Bénin est plus  direct  s’adressant aux Européens : « si vous gériez votre capitalisme  aussi bien que nous gérons notre développement vous n’handicaperiez pas  notre croissance, car nous, pays du Sud, commençons à avoir des  entreprises globales, qui partent de chez nous pour acheter des actifs  chez vous. 
  
  Comme le cas d’un industriel tunisien qui dit :
  
  On va faire des investissements en Europe, on va acquérir les  connaissances, on va délocaliser une partie de la production, celle dans  laquelle on est meilleurs, et au fond, nous sommes la deuxième chance  de l’Europe. Et en même temps on leur donne un atout, parce que  franchement c’est plus facile de faire entre la France, l’Italie et la  Tunisie, si on veut globalement être compétitifs contre la Chine …».
  
  En fait, la réalité de cette percée asiatique est palpable partout.
Je  visitais une petite usine agro-alimentaire au fin fond du Sud tunisien  et le jeune promoteur me parlait de ses va-et-vient fréquents à Shanghaï  pour acheter ses équipements comme s’il s’agissait de l’avenue de  Carthage ou d’une foire européenne. 
  De ce fait, plusieurs économistes notent que : Si l’Europe ne veut pas  devenir, à terme,  un continent sans usines, son avenir dans ce secteur  est lié au renforcement de ses liens avec les pays de proximité tels que  la Tunisie.
La Crise, une opportunité historique de  renforcer les relations Nord-Sud
  
  Ainsi, contrairement à certaines idées reçues, lorsqu’une entreprise  européenne s’implante en Tunisie, elle pérennise dans la majorité des  cas, l’emploi en Europe. 
  
  Et ce ne sont pas des paroles en l’air, les données globales et les  centaines de cas de partenariat  illustrent bien cette idée.
  
  Plusieurs témoignages illustrent parfaitement que les entreprises  européennes implantées  en Tunisie tirent une partie de leur potentiel  de croissance de leur site tunisien.
  
  A ce titre, cet exemple d’entreprise parmi beaucoup d’autres illustre  parfaitement ce constat : il s’agit d’une société industrielle française  : En 2004, elle avait 50 emplois en France et était soumise à une vive  concurrence. Pour faire face à ses difficultés, elle a crée une filiale  en Tunisie et a maintenant 700 emplois en France et 500 en Tunisie.
  
  Cette dynamique a engendré 240.000 emplois crées par les entreprises  européennes installées en Tunisie. Mais, ces 240.000 emplois créés en  Tunisie ont permis de créer ou de pérenniser un grand nombre d’emplois  en Europe, la meilleure preuve provient donc de centaines d’exemples  tels que celui que je viens de citer mais également des chiffres  macroéconomiques : 
  
  Ainsi les exportations tunisiennes vers l’UE ont certes été multipliées  par 5 entre 1995 et 2009 atteignant près de 11 milliards d’€, mais les  importations tunisiennes en provenance de l’UE étaient multipliées par 3  avoisinant les 13 milliards  d’€ en 2009.  
  Et par conséquent, si aujourd’hui, comme il y a 30 ans, la Tunisie a  toujours besoin de l’Europe, l’Europe a quant à elle beaucoup plus  besoin du Sud en général et de la Tunisie en particulier pour faire face  à l’émergence des pays asiatiques. 
  
  En fait, si la crise a induit des pressions fortes à court terme, elle  offre une opportunité historique de renforcement des relations Nord-  Sud.
  
  Ainsi, tout en exprimant aujourd'hui ma grande satisfaction pour  l'excellence des relations entre la Tunisie et l'UE qui sont, comme je  l'ai déjà mentionné, solides et empreintes de la plus grande amitié, je  considère que les défis imposés  à l'entreprise tunisienne comme  européenne nécessitent l'accélération de la dynamique de partenariat.
  
  D’où la nécessité pour la Tunisie et pour l’Europe d’une nouvelle étape  dans notre partenariat : l’accès au statut avancé.
  
  En effet, si nous nous projetons en 2030 les simples données  démographiques comparées font que l’euromed avec près d’un milliard  d’habitants dans 20 ans, voir l’euromed- Afrique avec plus de deux  milliards d’habitants sont les ensembles pertinents si notre région veut  compter dans la mondialisation face aux autres ensembles régionaux  américains et asiatiques.
Pour une profonde mutation  de la vision du Sud par l'Europe
  
  Cela implique une mutation profonde de la vision du Sud, et du Maghreb  en particulier, de la part de l’Europe d’une vision de court terme qui  ne se contenterait plus d’y rechercher pétrole, gaz et rempart contre le  terrorisme et les flux migratoires à une vision prospective et je  dirais réaliste qui regarderais le Maghreb comme un relais naturel de  développement pour les économies européennes en quête de croissance (  une vision prospective qui rejoindrait en somme le slogan de la campagne  que nous menons en Europe depuis plus d’un an : looking for growth ?  think Tunisia ).
  
  Une telle vision suppose des initiatives ambitieuses en termes d’IDE, de  transfert de technologie et de liberté de circulation : Un deal gagnant  - gagnant : Energie, sécurité, bassins d’emplois contre partenariats,  investissements et technologies.
  
  La zone euro med  se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins : soit  elle s’intégrera davantage et prendra pleinement sa place dans la  nouvelle Division Internationale du Travail qui s’annonce ; soit, pour  reprendre les termes du cercle des économistes, elle deviendra la région  prolétaire de la nouvelle économie mondiale.
  
  2030, c’est demain matin et les décisions qui seront prises ou qui ne  seront pas prises au cours des quelques prochaines années au Nord mais  aussi au Sud, au Maghreb notamment où nous avons grand besoin de nous  intégrer comme l’a fortement souligné le dernier congrès maghrébin  organisé par l’UTICA, ces décisions à court terme donc conditionneront  dans une large mesure la situation de notre zone en 2030 tant il est  vrai que dans de nombreux domaines comme la formation, l’environnement,  les choix technologiques, les temps de maturation sont longs. 
  
  Aussi, les instituts organisateurs de ces entretiens de la Méditerranée,  de par leur entregent, ont un rôle important à jouer pour sensibiliser  les décideurs sur l’urgence des décisions à prendre pour notre région  surtout que, il faut le dire, le processus institutionnel de l’UPM,  n’est pas au mieux en ce moment, mais la Tunisie s’y associe toujours,  malgré tout, car il est dans le sens de l’histoire
      
  Pour conclure, permettez-moi, de vous faire part de ma conviction que la  période future verra une accélération de notre  partenariat avec  l’Europe pour toutes les raisons objectives que j’ai signalé.
Extraits du discours prononcé par M. Afif Chelbi,  Ministre de l'Industrie et de la Technologie, mardi 25 mai aux   "ENTRETIENS DE LA MEDITERRANEE" organisés par  L’IPEMED, L’IACE et  L’IEMED
  Les intertitres sont de la rédaction