Journal d’un goguenard
Une espèce en péril ?
Et Dieu prévint ses créatures humaines : « Ne vous approchez point de cet arbre. Gare à vous, si vous n’obtempérez pas »
On connait la suite :
Les enfants d’Adam et d’Eve, devenus terriens en raison de ce péché originel, ont-ils pour autant, tiré la leçon de cette effronterie ? A l’évidence non, puisqu’ils persistent à ne pas entendre les commandements prescrits dans les Ecritures, quel que soit leur nombre ou leur degré du « licitude »
Y-a-t-il plus sourd que celui qui ne veut entendre ?
En revanche, nul n’est aveugle.
Tout le monde observe cette désinvolture affligeante à l’égard des règles élémentaires de l’hygiène de vie pour ne pas dire de l’hygiène tout court.
Les ravages des maladies souvent occasionnées par cette autodestruction, caractéristique de l’espèce humaine, tiennent lieu, pour les mages qui pullulent par ces temps de l’irrationnel, à de la malédiction « Vous avez péché, vous vous êtes esquintés sciemment, vous avez fait fi de tous les avertissements,alors ne soyez pas surpris. Subissez ! le sort en est jeté » Tel est, en somme, le discours, religieusement correct, des néo-prêcheurs.
Mais avouons tout de suite qu’il ne règle en rien notre problématique qui est celle du comportement des hommes et des femmes – face aux tentations qui les guettent, du berceau jusqu’au tombeau.
Car il ne faut pas se leurrer. Tous les psychanalystes vous le diront. S’il y a désir, c’est qu’il y a bien un objet du désir. Une causalité intime lire étroitement les deux, c’est-à-dire le sujet et l’objet. L’un ne va pas sans l’autre. L’un est dans l’autre. Le sujet étreint l’objet et vice versa.
Evidemment, ce n’est pas tellement vertueux. Mais c’est comme cela. La vertu, parlons-en ! Il y a la grande comme il y a la petite. Molière avait, en son temps, dévoilé les faux – vrais vertueux de son époque. Certains prétendent que ses portraits sont, hélas, toujours d’actualité.
Evidemment, on peut me rétorquer que l’homme est suffisamment armé pour ne pas succomber aux affres de la tentation. Quoi, comment peut-il faire fi aussi allègrement, de ses capacités de jugement, de discernement, bref de ce que les moralistes appellent la raison « Homme bien-pensant, où est ta jugeote ? ».
La morale, c’est l’affaire des autres
Oh que c’est tentant de fustiger l’autre. Celui qui n’a pas péché, lève sa main ! Justement à propos de mains, rappelons-nous de celle, invisible celle-ci, par laquelle Adam Smith justifie la « bonté » du capitalisme naissant au XVIIIème siècle.
Ces « bienfaits » ne sont pas prêts à tarir. Les pauvres humains sont soumis, notamment depuis le déclenchement de cette ère de libéralisme outrancier à une déferlante de produits, de modes et de rythmes. Consommez, jouissez ; Demain, c’est un autre jour !
Cela fait écho au fameux vers du poète arabe Imrou El Kais : Ennivre-toi aujourd’hui. Demain, on avisera.
C’est sur cette corde que tirent jusqu’ la lie les communicateurs des infiniment grandes sociétés en situation de quasi-monopole face aux infiniment petits consommateurs. Pour ne nous en tenir qu’au seul fléau du tabagisme, nul besoin d’illustration. Par-delà les veloutes de fumée qui infestent l’environnement, il y a bien lieu de rappeler le titre déloquent d’un périodique français : « lecanceren vente libre »
Chacun sait que le tabac tue. C’est même indiqué sur les paquets de cigarettes, mais les marchands de tabac, comme tous les marchands de la mort savent très bien s’affranchis de tels scrupules. Il leur faut bien faire tourner les machines à sous, la morale, c’est l’affaire des autres, c’est-à-dire ceux qui prêchent le vendredi ou dimanche. Chacun son job. On tolère bien la présence de la Croix rouge sur les champs de bataille.
Ces marchands de la mort ne manquent pas d’humanisme. C’est Janus forever !
Face à ces majors, sommes-nous, les sept milliards de petits gens, assez bien prémunis… Certes, oui. Puisque les hommes qui nous gouvernentsont en charge de notre prévoyance. Ne dit-on pas qui « gouverner c’est prévoir.Et prévoir, selon le Larousse, c’est envisager, à l’avance, ce qui doit arriver. De-là découle le principe de prévention. C’est-à-dire toujours selon le même dictionnaire « l’ensemble des mesures prises pour empêcher un risque, un mal de survenir ».
Certains gouvernements enOccident n’ont pas hésité à compter, en leur sein, un ministre ou même un secrétaire d’Etat à la prévention… des risques naturels.Mais l’espèce humaine, elle qui est la cible de tous les maux d’une société en perte de sens, n’est-elle pas mieux indiquée pour qu’on crée, pour sa sauvegarde, un ministère de la prévention tout court.
Oh zut ! Il y a dans ministère comme un relent de sacerdoce. Décidemment, chassez le cultuel, il revient au galop.
Pour moi, vieux cheval, sans esprit de retour, ma religion est faite.Mais pour les poulains qui sont lancés sur les champs de trot, il importe, si on veut bien leur épargner, un remède de cheval, qu’ilssoient prémunis. Est-ce une lapalissadeque de rappeler à leur sujet la fameuse litote « il vaut mieux prévenir que guérir » ?
C’est plus avantageux que de subir le plus terrible des sorts pour l’espèce chevaline : l’achèvement.
Certes, la plus belle conquête de l’homme, c’est le cheval.
Mais il importe pour la pérennité de ce couple que soit préservée la santé du cavalier, désormais seul dans un monde… en chevauchement.
Morphée, es-tu là ?
Un vertige nous guette, parfois devant une feuille blanche. Il en est de même lors d’une nuit blanche.
Sauf que, si écrire est un peu survivre, dormir, c’est plutôt mourir un peu.
Mais au-delà de ces élucubrations d’ordre métaphysique, il n’en demeure pas moins qu’une insomnie qui relève pourtant de la pathologie, nous interpelle sur l’une des raisons d’être l’humain le rêve.
Il n’est pas interdit de rêver, a-t-on coutume de dire. Avouons que c’est vite dit.
Car comment s’interdire une chose alors qu’on en est, par nature, empêché !
Pour rêver, il faut d’abord s’assoupir. C’est une condition nécessaire.Peut-être pas suffisante.Car il doit bien avoir parmi nos semblables, des irréductibles aux délices de l’onirisme.
Si bien que si le rêve est une manifestation sécrétée par le sommeil, ce dernier ni en est guère le géniteur patente. On peut bien rêver tout en étant éveillé mais les spécialistes du sommeil – à ne pas confondre avec les vendeurs du sommeil qui eux sont des illusionnistes, affirment que les rêves de l’éveil ne valent pas ceux de la nuit profonde, celle qui, dit-on, porte conseil.
La nuit sombre nous illumine, nous éclaire, nous rassure.
Oh, nuit, ma belle fée, emmène-moi au pays des merveilles, emmène-moi au royaume des lumières où je serai roi et tu seras reine. Nous nous marierons et nous aurons…, de beaux rêves.
Papilles, indignez-vous !
Tous les goûts sont dans la nature. Et alors, me direz-vous. Cela ne donne pas plus de légitimité au mauvais goût. Mais d’abord, un goût est mauvais par rapport à quoi, par rapport à qui ? Quelles en ont sont les normes ? Quels sont, à contrario, les canons du bon goût. Voilà des questions d’ordre philo-gustatif.
Les réponses ne fusent pas tout de go.
Tout il est vrai que le goût est par essence une affaire de sens, comme les couleurs. Donc, ça se discute.
Bien que nous appartenions au même genre (humain) nous n’avons ni la même vue, ni le même odorat, ni, vous m’entendez bien, la même ouïe.Ni bien sûr, le même palais.
Le seigneur, dans son immense bonté nous a créés différents pour apprécier, chacun selon ses empreintes gustatives, les délices terrestres.
Les préposés aux douceurs ne s’y sont pas trompés en proposant une kyrielle infinie de mets aux couleurs si vives qu’ils chatouillent nos salives, si promptes à l’excitation.
Paparone, Chaouch, Ben Yedder, Salem, Bebert, Alfred, Cacciola et Di-carlo : autant de madeleines de Proust d’un temps qu’on ne cherche guère mais qu’on rumine.
Aujourd’hui, que les temps ont changé, les goûts s’accommodent. On est moins regardant, ou plutôt on regarde ailleurs. On ne déguste plus, on n’a plus de temps, ni l’envie.
C’est le règne du prêt à emporter ; autant en emporte le fast.
A quand la révolte de nos pauvres papilles martyrisées ?
y a de la joie !
La joie ? comme la tolérance, il y a bien, selon Paul Claudel, des maisons pour cela.
Une fois, à une table de convives au palais du Luxembourg à Paris, lors d’un déjeuner organisé par l’association des écrivains de langue française, on nous fit la présentation d’une femme fort respectable, écrivaine de son état : « on vous présente Mme Claude … » je ne pus m’empêcher de sautiller, toute honte bue, : « encre une ! ».
La chevalière de la plume se retint de réagir. Elle se vengera sûrement en commettant une satire sur le machisme effronté des hommes de joie.
La joie ? On nous a tant rebattu les oreilles avec la fameuse litanie de la joie de vivre qu’on a fini par ne plus nous marrer. C’est à mourir d’ennui, alors qu’on préfèrerai bien, puisque le sort en est jeté, mourir de rire.
En attendant, je me contente de la joie de lire, et, à mon stylo défendant, de la joie d’écrire.
Rire ou ne pas rire ? drôle de question !
Quand on naît, on pleure.
Quand on naît, ceux et celles qui nous entourent versent des larmes de joie.
Quand on meurt, ils ou elles versent des larmes de tristesse.
Des larmes aux deux extrémités de la vie.
Des larmes également entre ces deux moments fatidiques d’une existence ballottée entre joie et tristesse.
Combien de larmes extirpées de nos yeux de pleureurs-nés au cours d’une vie qualifiée comme un long fleuve souvent pas tranquille ?
Pour les bourreaux de la terre, quelques gouttelettes dans un océan ! Pour leurs victimes, le tsunami, les typhons et autres ouragans constituent à contrario la preuve débordante du trop-plein de larmes.
Eternelle querelle d’eaux !
Ces eaux qui charrient depuis la nuit des temps le meilleur et le pire. Ainsi est fait l’homme, cet être hybride générateur de pleurs et de rires.
Le rire, parlons-en ! je vois bien que certains rient jaune. Moi, je préfère le rire franc et au besoin massif comme le oui-oui. Je voterai plutôt par un oui-dire qui me titre les larmes des yeux que pour un oui-dire qui sonnerait à mes oreilles comme un bendir.
Je donnerai volontiers du Heil Charlot, le dictateur de fiction qu’à l’Adolf du 3ème Reich.
Aux verbes graves tels que médire ou prédire je privilège ceux plutôt allègres tel que sourire et guérir. Je fréquenterai de grâce un être bavard.
Je préfère le fou-rire au simulacre du rire.
Une vache qui rit et qui dit « gère » est plus appétissante qu’une vache qui blêmit et qui dit « vague ».
Le rire, c’est la santé
L’un de mes parents, pince sans rire, sermonnait : « un éclat de rire vaut mieux qu’un bon poulet ! ». Il ne croyait pas si bien dire puis qu’aux dernières nouvelles, les pontes du bonheur, émules d’Hippocrate, viennent de découvrir les bienfaits médicinaux du rire.
Ainsi en est-il des effets sur les hormones de croissance. Déjà, nos vieilles bonnes mères avaient-elles coutume d’asséner que le rire faisant grandir les enfants. Encore faut-il savoir quand et comment rire.
Car, attention, un rire sans cause est passible d’une correction.
Alors, il faut savoir parfois rire garder.
S’éclaffer sans s’éclater : telle est la devise du bon rieur. On ne rigole pas avec ces choses-là, Monsieur.
La bouche, on l’ouvre pour rire un peu ou on la ferme : « mots tus et bouche cousue !»
Alors ne riez pas diot : mais riez tout de même et même de tout, de vous-même, et même des vôtres. Ils en riront eux aussi puisque le rire, c’est contagieux.
Le rire c’est la santé comme vient de le claironner, l’autre jour, à la télévision, le Docteur joyeux – cela ne s’invente pas !.
Enfin, quoi qu’en eut rapporté la sagesse populaire sur ce dromadaire qui sourit une fois, le rire est le propre de l’homme, ce bipède encéphalique qui rit parfois sous cape mais qui ne rend point les larmes.
Le Spleen du dimanche après-midi
Le dimanche, assurent les fidèles du Christ, est le jour duSeigneur. Amen! Pour quelqu'un qui porte le nom de Jésus, je nepeux qu’y souscrire. Je comprends, dès lors, que dimanche ne soit pasmon jour.
Certes, ce n’est pas, non plus un jourpour tous les actifs. Mais,moi, qui vis, depuis peu, dans un régime de post-retraite, tous les autresjours sont autant de jours de congé. Mais le dimanche est, pour ainsi dire, un jour de congé forcé.
Car à contempler le vide autour de soi, on finit par faire le videen soi. Décidément, on ne vit réellement que quand les autres sont envie et qui le manifestent bruyamment. Le silencea beauêtre, grand, iln’en n’est pas moins mortel !
Les après-midi du dimanche, en dehors des enceintes des stadesoù les sportifs assurent un spectacle de quelques heures, sont desmoments de répit à vous faire entendre votre propre souffle.
Dans un monde du silence, les hommes comme les animaux,naguère filmés par le commandant Cousteausont sans voix. Sont-ilspour autant libres ? Non, bien sûr. Puisque, je suis bien placé pourl'affirmer avec un surnom comme le mien, seule la parole libère.
La solitude est une souffrance vocale.
La communication est une thérapie avérée. A ce propos, c’est lecas de le dire et ou de le lire, la lecture peut être assimilée à uncalmant.
« Lis ›› avait ordonné Allah en s’adressant à son ultime prophète.Lire est un verbe magique.
Lire aide à moins souffrir, surtout un dimanche après-midi.
Alors lisons et attendons calmement l'éclosion de l’aube d'un lundi heureux.
Le bonheur, quèsaco ?
L’homme, mortel par définition, peut-il au moins avoir une vie de qualité ? « Une vie de qualité, professait Aristote dans l’Ethique, c’est la même chose qu’être heureux ». Mais le bonheur, qu’est-ce que c’est?
Vaste question métaphysique qui renvoie à la pomme, douce-amère d’Adam et d’Eve chassés du Paradis pour avoir écouté les sirènes qui leur ont fait miroiter les délices de la potion..de l’Eternité.
Moralité : si le genre humain est souvent crédule, c’est qu’il a de qui tenir !
Aïssa Baccouche