A nos politiciens : Reconstituer leur crédibilité et regagner la confiance des Tunisiens ?
Tout le monde s’accorde aisément sur le fait que, pour des raisons diverses, la classe politique tunisienne a beaucoup perdu, les dernières années, de sa crédibilité et aussi de la confiance des citoyens. Ce, alors que, dans les situations difficiles, seules la crédibilité des gouvernants et la confiance des citoyens en ceux-là, peuvent raviver les espoirs en un futur meilleur et de là, stimuler suffisamment de motivation pour se consacrer en fin au travail qui, au bout du compte, reste l’unique moyen à même de faire sortir le pays de cette grave situation. Seulement, reste l’épineuse question de savoir si nos politiciens peuvent reconstituer leur crédibilité et regagner la confiance perdues; et dans l’affirmative, comment peuvent-ils y arriver.
D’abord, mettons-nous d’accord sur la nature de la crise que traverse le pays, à mon avis c’est essentiellement un deficit manifeste de valeurs et non de moyens ou de structures ou de textes. Déjà, le soulèvement de 2011 était la conséquence d’un manque de justice et de liberté. Et durant les sept longues dernières années, la situation, sur tous les plans, n’a fait qu’empirer, pas besoins de rappeler les nouveaux phénomènes qui caractérisent la société et les comportements de ses composantes, corps professionnels, régions, tribus et individus …non plus les contre-performances économiques connus de tous et ce, malgré les multitudes tentatives et intentions de réformes annoncées de toute part. Il y a un consensus presque général sur les constats et les problèmes à résoudre, des solutions sont annoncées, d’autres même tentées mais toujours sans résultats tangibles. A mon avis, les échecs sont dus surtout au fait que le peuple ne suit pas ses gouvernants, la classe politique. Celle-ci manque manifestement de crédibilité, n’inspire plus confiance et ne peut donc incarner le Leadership dont la société a grandement besoin, particulièrement dans les périodes difficiles. Ainsi nos Gouvernants, au lieu de jouer le rôle de "Chef de file", de Leaders et montrer la voie au peuple qui devrait les appuyer essentiellement par le labeur, nos Gouvernants discrédités ne sont pas suivis. D’ailleurs, pour ces mêmes raisons, je crains que les intentions de réforme annoncées la semaine écoulée, par Mr le Chef du Gouvernement à l’occasion de la "Conférence nationale sur les Grandes Réformes" ainsi que celles qui pourraient émaner des travaux du Groupe d’Experts du «Document de Carthage 2», ne connaissent le même sort.
Jouir d’un seuil acceptable de crédibilité et de confiance des citoyens, constitue la condition sin qua none pour garantir le minimum de chances de succès des autorités dans n’importe quel projet de réforme et de tout programme politique, je dirai tout simplement de toute action menée par les pouvoirs de l’Etat, et ce à tous les niveaux, en commençant bien sûr par le haut de la hiérarchie.
Ce qui suit, est un rappel à nous tous, tunisiens, et en particulier à nos politiciens, les décideurs en charge des destinées du pays, un rappel de certaines valeurs et principes parmi tant d’autres, à priori connus et reconnus de tous, mais de plus en plus négligés dans nos agissements quotidiens, quoique à mon avis, le respect de ces valeurs, par ailleurs relevant de la bonne gouvernance, constitue la seule voie permettant de sauver le pays.
En remarque préliminaire, mettons-nous d’accord sur le fait que si la Tunisie n’est pas très riche en ressources minières, elle n’est certainement pas un pays pauvre comme certains veulent le faire croire pour justifier la situation qui y prévaut. C’est un pays qui dispose de certaines richesses naturelles diversifiées et relativement importantes : phosphate, terres arables, un climat modéré, une position géostratégique enviable, 1350 Km d’ouverture sur la mer, une histoire riche et trois fois millénaire, une population, ethniquement plutôt homogène et culturellement d’un bon niveau de formation et connue pour son ouverture d’esprit. Evidemment, faut-il bien exploiter certaines de ces richesses et mettre en valeurs les autres pour y apporter une haute valeur ajoutée et ainsi, en produire de la croissance et de la richesse, ensuite la répartir équitablement entre tous les fils du pays.
Pour que nos politiciens réussissent donc à reconstituer leur crédibilité et regagner la confiance de leurs gouvernés et par là acquérir une certaine efficacité, il leur est impératif, en particulier à ceux en postes de responsabilité, d’incarner profondément les valeurs et principes ci-après explicités et les concrétiser dans leurs démarches, agissements et comportements quotidiens.
L’équité sociale et "l’action par l’exemple"
A priori, ce sont des valeurs et concepts qui semblent bien familiers, connus et reconnus de tous, mais malheureusement presque totalement ignorés dans l’action et les comportements quotidiens de ces décideurs, de nous tous il faut dire.D’abord, il ne faut pas se faire d’illusions, par les temps qui courent, réforme est quasi synonyme de nouvelles mesures impliquant des changements où finalement une partie de la société doit faire plus d’effort, en terme plus clair, certains citoyens doivent, directement ou indirectement, payer plus et voir leur revenu et pouvoir d’achat donc se réduire. Pour que de telles réformes ou mesures aient la moindre chance d’adhésion de la frange sociale concernée, celle-ci doit les percevoir comme des mesures, quoique non souhaitables, incontournables et surtout équitables, en fin de compte acceptables et donc acceptées. L’équité et la justice sociale veulent que les sacrifices les plus importants doivent être demandés d’abord aux plus aisés. Quand il s’agit de demander des sacrifices aux fonctionnaires de l’Etat par exemple, il faut commencer du sommet de la hiérarchie, en termes clairs, les trois Présidents, les Ministres, les Secrétaires d’Etat, les Directeurs Généraux, les Députés, et uniquement par la suite, s’adresser aux fonctionnaires de revenus moyens et uniquement à la fin, quand il n’y a plus d’autres issues, à ceux de bas revenus, et ne jamais procéder dans le sens inverse. Aussi, il faut bien expliquer cela et mettre en évidence le volet «justice sociale et équité» de la réforme ou la mesure en question. C’est psychologique, c’est humain, mais c’est surtout juste et équitable même si c’est dur à faire accepter, en particulier quand cela touche les plus forts. Cela s’appelle " AGIR PAR L’EXEMPLE", en commençant du top vers le bas et surtout pas dans le sens inverse. C’est du bon sens et de toutes les façons, le contraire est, non seulement injuste, mais perçu comme tel, ne fonctionne tout simplement pas et les tentatives de réforme restent vaines.
Comment voulez-vous convaincre ceux exerçant des activités libérales de moyens et faibles revenus par exemple, à payer des impôts sur leur revenu réel, alors que les Médecins et les Avocats, une frange de l’élite de la nation, persistent à jouir du régime forfaitaire après avoir défié plus d’une fois les décisions de l’Etat, de la façon la plus ostentatoire et la plus incompréhensible par le commun des citoyens? Il est vrai que ceux-là, Médecins et Avocats, ne sont pas les seuls concernés par cette question du régime fiscal, mais en tant qu’élite de la société, ils sont perçus comme un exemple dans le pays, malheureusement un très mauvais exemple auquel l’Etat a fini par se plier en renonçant de fait à son initiative de réforme fiscale malgré son inéluctabilité. Il ne faut pas négliger l’esprit du "pourquoi moi et pas l’autre? "; "N’ont qu’à voir les grands, les riches, les … d’abord !" C’est cela l’esprit du tunisien, qui, à cet égard, n’a pas du tout tort, inutile donc de s’entêter à ne pas en tenir compte.
Un effort permanent de communication et de pédagogie
Toutes les décisions impactant sur la société, même celles semblant en faveur de la majorité des citoyens, donc populaires, doivent être expliquées au peuple, avant même leur entrée en vigueur, il faut en montrer clairement l’objectif, en expliquer le pourquoi, le bien-fondé de la décision, informer aussi sur le comment atteindre l’objectif attendu sans oublier de préciser les différentes étapes à franchir. Cela, motive les concernés; évite les intox, les interprétations malintentionnées, les rumeurs de tout type etc…; au contraire, cela prouve la bonne intention du décideur, renforce la transparence, d’où la confiance du citoyen en ses gouvernants, bref c’est de la bonne gouvernance; ce qui est de nature à faire accepter les décisions les plus douloureuses. Annoncer sèchement l’augmentation des prix des carburants à minuit, de surcroit un dimanche, n’a rien d’astucieux et n’inspire certainement pas grande confiance! Il reste aussi, ne promettre que ce qu’on est capable de réellement concrétiser, par la suite, tenir scrupuleusement à ses promesses. Cela va du capital "crédibilité" des Autorités et ce n’est pas peu. Faut-il rappeler que ce capital Crédibilité/Confiance, constitué très progressivement le long d’une longue période, est vite dilapidé au moindre faux pas et dans ce cas il est très difficilement reconstituable. Le peuple a aussi besoin de voir son chef dans les moments de crise et écouter ce qu’il en pense et ce qu’il compte faire. Les grands leaders historiques dans le monde tel, Bourguiba, Abdennaceur, De Gaulle, Reagan, Mandela et d’autres, l’étaient entre autres, grâce à leur grande capacité de communication et de persuasion de leurs gouvernés.
L’audace politique
C’est la capacité de l’autorité à oser prendre les décisions qu’il faut, que l’intérêt collectif impose sans qu’elles soient forcément populaires et faire courageusement et calmement face aux critiques les plus acerbes par une communication et une persuasion responsables et convaincantes. Evidemment, de telles décisions ne servent pas leurs initiateurs dans les sondages de popularité, surtout à court terme, seront servis peut-être à long terme, en fonction des résultats réalisés. D’ailleurs, les grands hommes ne sont généralement reconnus comme tels, qu’après fin de mission, à titre posthume même. En outre, les grandes décisions et surtout celles qui engendrent des changements significatifs, ne peuvent pas ne déranger personne, inutile donc d’essayer de faire le "gentil" avec tout le monde. Et c’est justement, quand une décision plausiblement juste, équitable et dans l’intérêt du pays provoque le mécontentement de certaines parties, que le Politique doit assumer ses responsabilités, convaincre et résister, malgré les dommages politiques que cela pourrait lui occasionner. Faire profil bas, renoncer à la décision sans l’annoncer, puis laisser le temps faire oublier complètement la question n’est ni du courage politique ni de l’efficacité, au contraire cela constitue un très mauvais précédent et encourage d’autres groupes, corps ou régions à faire de même dès que l’on touche à leurs intérêts ou on répond pas favorablement à leurs demandes, si excessives soient-elles. Et c’est ce qui ne cesse de se reproduire depuis sept ans, des bras de fer où dans tous les cas, c’est l’Etat et ses organismes qui cèdent. Mais les politiciens n’ont-ils pas répété à satiété à juste titre d’ailleurs, que l’intérêt du pays passe avant l’intérêt de leur parti politique et leur intérêt corporatiste ou personnel ? Pourquoi alors, cèdent-ils dès les premières pressions et sacrifient-ils les intérêts du pays ? Est-ce juste pour garder leurs postes et le peu de privilèges ? L’audace politique, le sens du devoir consistent à oser, quitte à déranger certains, ses proches, sa famille politique, son corps professionnel, à outrepasser ses propres intérêts politiques et autres, enfin à ne pas être prisonnier de ses alliances non plus, bref il doit rester intellectuellement libre et n’est conduit dans ses choix et décisions que par le trio: l’Intérêt du Pays, la Loi et sa Conscience Personnelle quand la loi est sujette à interprétation ou à défaut de loi.
Dans les faits, cela exige de tout Politicien, tout Décideur, tout Homme Public, outre la compétence, de commencer par faire soi-même ce qu’il prône aux autres et ne jamais faire ce qu’il interdit à autrui, bref servir lui-meme d’exemple pour ses gouvernes. De la sorte, il peut ne craindre personne, parce qu’il n’a rien à se reprocher et s’assurera l’appui de la majorité.
Et comme gouverner ne se limite pas à la prise des décisions qui s’imposent, mais vise surtout la réalisation des objectifs fixés, l’Etat doit, dans le cadre de ses prérogatives légales, faire respecter l’application de la Loi, au besoin par la force, bien sûr toujours dans le cadre légal. Imposer le respect de la loi n’est pas forcément synonyme de despotisme ou d’atteinte aux libertés, au contraire, la vie démocratique même, ne peut être garantie que dans le cadre de lois bien respectées.
A mon avis, le fond de la problématique n’est pas tant de trouver des solutions aux problèmes qu’affronte le pays, les compétences ne manquent pas, mais il s’agit plutôt de créer les conditions préalables pour s’assurer l’adhésion de la majorité des citoyens aux solutions préconisées. Concrètement, reconstituer un capital crédibilité et regagner la confiance des citoyens; lesquelles, crédibilité et confiance ne sont que la conséquence de l’exemple donné par les Politiciens et Décideurs incarnant l’autorité publique, membres des trois pouvoirs, et ce par leurs compétences certes, mais surtout par leurs sens de responsabilité, leurs comportements et leurs actions au quotidien. C’est cela "Agir par l’exemple", source de crédibilité et de confiance et préalable de réussite politique.
Actuellement et pour être honnête, la crédibilité et la confiance, ne sont pas ce qui caractérise le mieux les relations entre Gouvernés et Gouvernants dans le pays! Par Gouvernants on sous-entend bien sûr l’Exécutif mais également l’Assemblée des Représentants du Peuple dont les Honorables Députés doivent constamment se demander et vérifier si l’image qu’ils reflètent correspond bien à celle de leurs électeurs!!!
En résumé, quelques règles sont à respecter pour préparer les conditions de réussite de toute action gouvernementale et à fortiori d’importantes réformes:
- D’abord, Agir par l’Exemple, s’impose à tous ceux qui incarnent l’autorité publique, en commençant évidemment par le sommet de la hiérarchie;
- Communiquer à temps sur les décisions, en montrer l’objectif, expliquer le pourquoi et informer sur les modalités pour y parvenir, démontrer que ce sont des mesures justes et équitables;
- Commencer du top vers le bas, pour demander des sacrifices, suivre le sens inverse et commencer par les plus infortunés pour octroyer des facilités ou des avantages.
Cela va des valeurs de justice, d’équité et de paix sociales, conditions incontournables à la vie en collectivité.
Ainsi, il est facile pour chacun de nous, Gouvernants et Gouvernés, de juger la pertinence de ses décisions, ses actions, ses déclarations, ses comportements… par rapport à ces valeurs et par là, d’apprécier le degré de sa maturité en tant que gouvernant ou citoyen, donc les chances de pouvoir sauver le pays, oui il s’agit bien d’une opération de sauvetage et d’un naufragé, "le bateau Tunisie" avec ce qu’il emporte!
Encore une fois, ce n’est vraiment pas le savoir théorique de telles valeurs et principes qui fait défaut à nos Gouvernants, c’est plutôt leur incarnation et concrétisations dans les agissements et comportements quotidiens de chacun d’entre eux.
En fin, dans le cas où il est, pour une raison quelconque, impossible à un responsable de respecter ces valeurs et tenir à ces principes, n’est-il pas plus sage et plus responsable de céder sa fonction à autrui que de tricher et s’agripper à son poste pour quelques…! Rappelons aux honorables Politiciens que leur fonction est de servir le pays et rien d’autres et que l’histoire vous en tiendra responsable!
Ressaisissons-nous avant qu’il ne soit trop tard, Mais n’est-il pas déjà tard ?.
-Que Dieu Garde la Tunisie-
Mohamed Meddeb