Nouri Kamoun - Enseignement supérieur: Quand une crise peut en révéler bien d’autres
Beaucoup de médias ont annoncé la fin de la crise dans les universités suite à l’accord signé entre le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et le syndicat IJABA. En fait cet accord n’est qu’une porte de sortie de secours pour un syndicat qui s’est engouffré dans une voie sans issue et pour un ministère qui a très mal géré cette crise.
Néanmoins, cette crise en a révélé bien d’autres:
Une crise de valeurs
Refuser de donner un sujet d’examen pour évaluer des étudiants auxquels on a assuré un enseignement est un acte à l’opposé de la déontologie d’un universitaire et des valeurs qu’il devrait défendre et faire véhiculer.
Mobiliser des instances élues pour des causes syndicales est contraire à toutes les traditions universitaires et reflète un manque grave de maturité chez beaucoup d’élus.
Menacer noir sur blanc dans les communiqués d’IJABA au cours de cette crise, qu’il fallait oublier à jamais les sujets d’examen si on touchait aux salaires des grévistes, reflète un égoïsme et une insouciance primaires graves de la part d’universitaires.
Ne pas hésiter à perturber toute une année universitaire pour obtenir la reconnaissance du syndicat IJABA par l’autorité de tutelle est une première qui pourrait donner des idées à d’autres actions.
Une crise dans la gestion des affaires au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique
Refuser de comprendre pendant 6 mois les raisons profondes du malaise chez les universitaires (grévistes et non-grévistes) et réaliser à quel point la crise est profonde, reflète un défaut d’appréciation assez grave chez l’autorité de tutelle.
La gestion de la crise par le Ministère et les universités était catastrophique. Au lieu de circonscrire le problème dès le mois de décembre, de recevoir le syndicat et le raisonner dans le cadre du respect mutuel, il n’ y a eu que des initiatives maladroites regrettables qui témoignent d’une incompréhension profonde de l’université et de ses problèmes.
Il y a eu le courrier menaçant de Janvier du Directeur du cabinet, puis la minimisationdu problème dans les médias pendant des mois, puis l’annonce tambour battant que la question des examens sera résolue avec des comités pédagogiques désignées, puis vient la menace de bloquer les salaires de tous les enseignants et ce pour toute institution dont le Doyen (ou le Directeur ) refuserait de faire son devoir et de remettre la liste des grévistes. Et enfin la meilleure, l’appel aux non-grévistes d’aller se bousculer devant les bureaux d’ordre de leurs universités pour justifier qu’ils ont accompli leurs devoirs.
Monsieur Le Ministre, quelle grande imagination ! Quelle grande considération vous avez pour des universitaires qui ont accompli leurs devoirs et qui ont dénoncé toutes les perturbations causées par l’appel de ce syndicat.
Signer à la hâte au mois de Mars avec la fédération générale de l’enseignement supérieur, un accord qui est une humiliation pour les universitaires: Leur octroyer une prime de rentrée universitaire ou bien faire bénéficier leurs enfants d’une bourse universitaire alors que d’autres étudiants ayant des parents avec des revenus inférieurs n’ont pas droit à cette bourse est un scandale pour toute personne qui a un peu de bon sens.
La meilleure est de voir un ministre se vanter de payer les enseignants-chercheurs pour chaque article publié. Décider de la sorte, c’est encourager officiellement la médiocrité. Savez-moi Monsieur Le ministre que suivant les disciplines, les thèmes et la profondeur des questions traitées, il y a des articles de recherche qui nécessitent des années de travail et de réflexion et d’autres articles qui n’en nécessitent que quelques mois.
Le MESRS a déjà expérimenté la prime pour chaque thèse soutenue. On sait ce qu’elle a produit: des milliers de thèses et des milliers de victimes.
Avec de telles décisions visionnaires, l ’Université Tunisienne a un grand avenir devant elle.
Récompenser le syndicat IJABA, pour avoir réussi à perturber l’année universitaire en le déclarant partenaire digne de faire partie des compétences qui vont faire la réforme de l’enseignement supérieur est le comble de l’ironie.
Monsieur le ministre vous auriez pu faire cela au mois de Novembre! c’est vrai à cette date, ils n’ont pas encore fait leurs preuves.
Maintenant c’est bon ,grande sagesse et grand sens de responsabilité sont prouvés!
Réformer l’université ne consiste pas à faire n’importe quoi pour avoir le soutien d’un tel syndicat un jour et faire d’autres concessions le lendemain pour avoir la paix avec l’autre syndicat.
Les problèmes de l’université sont beaucoup plus profonds et beaucoup plus complexes pour être gérés de la sorte.
Nouri Kamoun
Ex- Doyen de la faculté des Sciences de Monastir