Le grand chef d’orchestre Daniel Barenboim : j’ai honte d’être Israelien !
Daniel Barenboim est le directeur général pour la musique du fameux théâtre d’opéra la Scala de Milan, de l’Opéra d’Etat de Berlin ainsi que de la Staatskapelle de la capitale allemande. Avec le regretté Pr Edward Saïd (Université Columbia à New York), il a cofondé l’orchestre Ouest-Est Divan. Cette formation regroupe de jeunes musiciens palestiniens et israéliens. Elle est basée à Séville en Andalousie, une cité qui a été un phare de la culture arabe qui s’exprimait alors dans les œuvres de savants, de lettrés, d’architectes et de musiciens de tout horizon. La ville porte encore les traces ineffaçables de l’époque musulmane avec des monuments comme l’Alcazar, la Giralda (minaret de la Grande Mosquée), la Tour de l’Or… On rappelle qu’en 1492, les juifs n’ont été expulsés d’Espagne que par les Rois Catholiques et qu’ils ont alors, pour la plupart, cherché protection et refuge dans l’Empire Ottoman et au Maghreb.
La déclaration d’indépendance d’Israel, un texte mensonger ?
Dans le quotidien israélien Haaretz du 22 juillet 2018, Barenboim exprime sa « profonde déception » et sa condamnation de la loi fondamentale qui fait d’Israël l’« Etat-Nation du peuple juif » votée jeudi 19 juillet 2018 par la Knesset (Parlement).
Le grand musicien rappelle qu’en 2004 déjà, il avait prononcé, devant la Knesset, un discours traitant de la Déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël. Ce texte demeure pour lui, « une source d’inspiration pour croire en des idéaux qui nous ont transformés, nous les juifs, en Israéliens. » Puis, il ajoute : « Ce document remarquable exprime un engagement : l’Etat d’Israël se consacrera au développement de ce pays au profit de toute sa population. Il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix, guidé par les conceptions des prophètes d’Israël. Il accordera à tous ses citoyens une égalité pleine et entière ainsi que la plénitude des droits sociaux et politiques et ce, sans tenir compte des différences de foi religieuse, de race ou de sexe. Il assurera la liberté de religion, de conscience, de langue, d’éducation et de culture. »
Barenboim poursuit : « Les pères fondateurs de l’Etat d’Israël qui ont signé la Déclaration considéraient le principe d’égalité comme le socle de la société qu’ils étaient en train de construire. Ils se sont en outre engagés, et nous avec eux, « à réaliser la paix et à construire de bonnes relations avec tous les Etats et les peuples voisins. »
Des citoyens de deuxième classe :
« 70 ans plus tard, écrit Barenboim, le gouvernement israélien vient juste de faire voter une nouvelle loi qui substitue aux principes d’égalité et aux valeurs universelles le nationalisme et le racisme.
Ce qui me remplit d’un chagrin profond. Je me vois dans l’obligation aujourd’hui de poser les mêmes questions que j’avais formulées il y a 14 ans en m’adressant à la Knesset:
Pouvons-nous ignorer l’intolérable fossé entre ce que promettait la Déclaration d’Indépendance et ce qui a été réalisé ? Pouvons-nous ignorer le fossé entre l’idée et les réalités d’Israël ?
L’occupation et la domination exercées sur un autre peuple s’inscrivent-elles dans la Déclaration d’Indépendance ?
Le peuple juif dont l’histoire a enregistré souffrance continuelle et persécution implacable peut-il se permettre d’être insensible aux droits et à la souffrance d’un peuple voisin ?
L’Etat d’Israël peut-il s’autoriser le rêve irréalisable d’une fin idéologique au conflit au lieu de poursuivre une fin pragmatique et humanitaire enracinée dans la justice sociale?
En dépit de toutes les difficultés objectives et subjectives, 14 ans plus tard, je crois encore que l’avenir d’Israël et sa place dans la famille des nations éclairées dépendront de notre aptitude à réaliser la promesse des pères fondateurs comme ils l’ont solennellement inscrit dans la Déclaration d’Indépendance.
Cependant, rien n’a véritablement changé depuis 2004. Au contraire, nous avons maintenant une loi qui confirme que la population arabe constitue une classe de citoyens de deuxième classe. On est donc face à une forme particulièrement claire d’apartheid.
Je ne pense pas que le peuple juif a survécu durant vingt siècles à des persécutions et des cruautés sans fin, pour uniquement opprimer et infliger de la cruauté à d’autres. Cette loi fait exactement cela !
C’est pourquoi je suis honteux d’être un Israélien aujourd’hui. »
Mohamed Larbi Bouguerra