Quand la femme tunisienne montre la voie
Dans les clameurs soulevées par la crise politique, on a très vite oublié l'initiative présidentielle à propos de l'égalité successorale qui a eu portant un retentissement certain dans le monde arabe à en juger par ces titres de la presse : «La seule lumière démocratique de la rive sud de la Méditerranée, «La fin de (la femmophobie) dans le monde arabe», «Une révolution dans la laborieuse marche des sociétés musulmanes contemporaines vers la modernité», «La Tunisie ouvre toute grande la brèche pour réveiller ce monde dit arabe». Des dithyrambes suscitant parfois la jalousie de certains confrères. Agacé par la boulimie de revendications dont fait preuve la femme tunisienne et la promptitude du gouvernement à y faire droit, un journaliste arabe s’est écrié: «Le seul programme gouvernemental qui vaille en Tunisie est la libération de la femme et encore la libération de la femme».
Empressons-nous de rendre à César ce qui appartient à César. Cette initiative, on la doit au président de la République. J’entends bien les scrupules des uns et des autres, leur déception à propos de certains choix comme les tentations dynastiques réelles ou supposées. Mais le fait est là. Ce projet est le sien. C’est l’une de ses promesses électorales et il a tenu à l’honorer. A part les femmes démocrates, personne ne le lui a demandé. Personne ne lui en aurait tenu rigueur s’il ne l’avait pas présenté. Mais s’il a tenu bon, c’est parce qu’il savait pertinemment qu’il était le seul à pouvoir le faire. Ce projet, il l’a pratiquement imposé malgré la pusillanimité de l’Ugtt qui s’est abstenue de prendre position sous prétexte que «ce n’est pas le moment» et une classe politique, toute à ses préoccupations électoralistes. Quand il s’agit de mettre fin à un déni de justice, la procrastination n’est pas de mise? d'autant plus que le report de l’examen de cette loi, reviendrait à l’enterrer à jamais.
Ce faisant, BCE entendait parachever l’œuvre de son illustre prédécesseur Habib Bourguiba, grand émancipateur de la femme devant l’Eternel. Mais il était peut-être à mille lieues de penser que son initiative allait avoir un retentissement international et provoquer un effet d’entraînement dans les pays voisins, tout comme la révolution tunisienne a été l’élément déclencheur des printemps arabes.
La femme tunisienne porte aujourd’hui sur ses épaules les espoirs et les rêves de millions de femmes arabes partout dans les fers, brimées par tous les «si Sayed» du monde arabe souvent au nom de la religion. Est-elle bien consciente que le seul fait de bénéficier de droits dont d’autres n’oseraient jamais rêver lui confère une lourde responsabilité dans la conscientisation des femmes où qu’elles se trouvent, dans les campagnes tunisiennes où elle sont traitées comme des bêtes de somme, taillables et corvéables à merci, comme sur les rives du Nil ou de l’Euphrate, ne serait-ce qu’en montrant la voie, en payant d’exemple ?
Il faut dire que rien n’est joué car la loi sur l’égalité dans l’héritage qui est la mesure-phare du rapport de la Colibe n’a pas que des partisans. Il faudra compter avec les imams dont la majorité y est hostile, le petit peuple pour qui la charia est «intouchable» et puis, le refus d’une grande partie des femmes «d’aller à l’encontre de la parole divine». Après avoir louvoyé, Ennahdha a rejeté cette initiative, mais il n'est pas exclu qu'elle change de position à l'Assemblée au nom du consensus, moyennant quelques modifications sémantiques mineures pour le rendre acceptables aux yeux de sa base. Dans tous les cas de figure, le vote sur le projet de loi revêtira l’allure d’une mise à l’épreuve grandeur nature, une sorte de détecteur de mensonge qui nous édifiera sur le degré de sincérité d’Ennahdha quand elle affirme qu’elle a changé.
En attendant, ne boudons pas notre plaisir. C’est un tabou de plus qui tombe, une brèche dans ce que Mohamed Arkoun appelait «les clôtures dogmatiques», une victoire de la modernité sur l’archaïsme, une révolution copernicienne.
Hédi Béhi
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Le président de la république devra s'impliquer beaucoup plus en mobilisant ses troupes, il existe une large majorité confortable à l'ARP. Combattre l'injustice est un des éléments le plus à prendre à bras le corps, si l'on voudrait vraiment aller vers l'avant, car l'islam est l'autre élément responsable à travers les siècles du retard qui gangrène les sociétés arabo-musulmanes. Nous avons aboli l'esclavage, l'islam devra subir le même sort, tôt ou tard. Le vingt unième siècle ne sera pas religieux, n'en déplaise aux islamistes des cavernes !