Hédi Béhi : Le soulèvement des «Gilets jaunes», une aubaine pour nos va-t-en-guerre ?
La France est-elle à la veille d’un remake de mai 68 ? Comme il y a 50 ans, l’élément déclencheur dans les deux cas est anodin. Hier, le refus du doyen de la faculté de Nanterre de permettre aux étudiants d’accéder au foyer des filles; aujourd’hui, une taxe de quelques euros sur le carburant. Le même sentiment populaire de ras-le-bol, des gouvernants qui n’ont rien vu venir, des concessions en-deçà des attentes et au final une radicalisation qui a fini par une crise de régime en 1968 et risque d'aboutir au même résultat pour les Gilets jaunes.
La comparaison s’arrête là. Contrairement à la révolte des étudiants qui étaient encadrés par des meneurs très marqués à gauche (Cohn Bendit, Alain Krivine, Alain Geismar, Alain Sauvageot), le mouvement des «Gilets jaunes», ne se limite ni aux étudiants, ni à un courant politique, n’a pas de chefs, ni même de porte-paroles officiels. La dame qui avait lancé sur les réseaux sociaux l’appel à la manifestation du 1er décembre se définit elle-même comme une « Française Lambda ». Elle avoue qu'elle ne s’attendait absolument pas à l’écho qu’a eu son appel. Enfin, le mouvement des «Gilets jaunes» intervient dans une conjoncture économique difficile marquée notamment par une précarisation de larges franges de la société, comme les chômeurs et les retraités. C’est dire, que le terrain était favorable à la contestation, alors qu’en 68, la situation économique était florissante et le chômage quasi inexistant (n’oublions pas qu’on était dans les 30 Glorieuses).
En fait, au delà de ces similitudes, il ya une différence de nature entre les deux mouvements :Mai 68 était porteur d'un projet. Il a ajouté à l'oppression que subissaient les Français sans s'en rendre compte ou en croyant qu'elle était dans l'ordre naturel des choses, en y ajoutant la conscience de l'oppression. Il a sensibilisé les Français à des thèmes qui domineront le débat politique au cours de la deuxième moitié moitié du XXe siècle : le développement durable, l'économie solidaire, l'écologie, la qualité de la vie. Les Gilets jaunes manquent de perspective, se contentant de revendications matérielles et d'appels à la démission du président et du gouvernement. Bien plus, en commettant une bévue monumentale avec le saccage de l'Arc de Triomphe, ce que même les nazis n'avaient jamais osé faire, ils risquent de rater lamentablement leur entrée dans l'histoire. Mai 68 était une véritable révolution. Les "Gilets jaunes est au mieux une jacquerie, probablement, comme toutes celles que la France avait connues au cours de son histoire", sans porter à conséquence. Certes, Ils posent de vrais problèmes, comme la précarisation, les inégalités, la dégradation du pouvoir d'achat, mais proposent de mauvaises solutions comme "le toujours plus" ou "l'ici et maintenant".
L'histoire de France est riche en soulèvements contre l'autorité politique avec comme point d'orgue de la Révolution française de 1789, mère de toutes les révolutions qui est l'origine de toutes les avancées en matière des droits de l'homme dans le monde. Souvent frondeur, le peuple français n'a cessé de nous éblouir au fil des siècles par son attachement aux idéaux de liberté et d'égalité et ses grands esprits, malgré les graves dérives de ses dirigeants à propos de la question coloniale. Policé, respectueux des institutions, il s'est souvent insurgé contre l'injustice et le despotisme, lorsqu'il s'était senti, à tort ou à raison, humilié ou l'objet d'une injustice flagrante.
Faut-il s’attendre à un effet de contagion comme on en a vu en 1789 et en 1968 ? C’est déjà le cas en Europe, où des mouvements similaires ont fait leur apparition dans des pays comme la Belgique et l‘Allemagne.
En Tunisie, c'est déjà le rêve de tous ceux qui, à droite comme à gauche, n'ont cessé de rêver du grand soir à défaut d'accéder au pouvoir par les urnes. D'ailleurs, la fédération du secondaire dirigée par Lassaad Yacoubi s'y prépare fébrilement, aiguillonnée par le mouvement des Gilets jaunes. Et comme pour prouver qu'il n'est pas homme à laisser passer une telle opportunité, il nous annonce d'ores et déjà une série de sit in ouverts après que le ministère de l'Education eut opéré des retenues sur les salaires des enseignants grévistes, un mouvement des blouses banches, quitte à provoquer une année blanche. Il pourra ainsi parachever en toute inconscience, l'oeuvre de destruction systématique de l'école publique qu'il avait eu l'insigne honneur d'inaugurer il y a quelques années, dans l'impunité la plus totale, encouragé par le silence complice des dirigeants syndicaux .
Je me suis toujours interrogé sur l'ascendant que ce personnage exerçait sur ses pairs au point de les amener à lui obéir aveuglément sans qu'il n'y ait une seule voix discordante. S'il a des talents de meneur, il ne les a pas mis au service d'une bonne cause, car il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu'il est en train de les fourvoyer surtout avec cette monstrueuse trouvaille qu'on lui doit, le boycottage des examens, et de s'acharner sur ce corps malade qu'est l'école publique au risque de l'achever.
En fait, tout se passe comme si cette fédération ne relevait pas de l'Ugtt, mais bénéficiait d'une autonomie totale par rapport à la centrale, puisqu'elle se permettait même de passer outre à ses consignes.
Bourguiba a été le père de l'école publique tunisienne. Yaacoubi restera dans l'histoire comme son fossoyeur.
Hédi Béhi