Méritocratie : Etre à la hauteur des sacrifices consentis par nos ainés
Mes grands-parents, paix à leurs âmes, étaient des agriculteurs avec des bouts de terres éparpillées et se déplaçaient à dos d’âne.
Je me rappelle très bien à l’âge de 8 ans, dans les années 70, du jour où l’on a volé un de nos ânes, on le cherchait dans la campagne de Besbesia (Hammamet sud actuellement) jusqu’au village de Sidi Jedidi avec la Peugeot 204 de mon père qui était instituteur. Aussi en 1986 avec la baccalauréat en poche j’ai commencé mes études de médecine, j’ai loué une chambre au foyer de Cité Ezzouhour à 4,5 dinars par Mois. On se déplaçait grâce aux fameux bus spécial et on mangeait dans les restaurants universitaires. On était de toutes les classes sociales, de toutes les régions. On était tous le fruit d’une sélection scolaire par le mérite.
Au foyer Universitaire, les amis m’ont fait goûté pour la première fois les vraies pommes de Sbiba, les dattes du sud, en échange, je leur ai offert les bonnes bergamotes de Hammamet.
Habib Bourguiba et une génération de patriotes ont indéniablement réussi leur projet de société et ont installé une méritocratie à travers la diffusion de l’enseignement et l’accès à la santé pour tous. En l’espace de quelques années il a réussi à mettre un ascenseur social fonctionnel, ce que beaucoup de pays développés peinent encore à réaliser. Pour preuve l’étude de l’ Organisation de coopération et de développement économique :
«La politique de Bourguiba est exactement superposable à celle qui à été théorisée et appliquée par son contemporain le Prof Michael Yong* 1915-2002 (Sociologue et activiste au sein du parti des travailliste anglais) inventeur du terme méritocratie avec son best seller en 1958 «The Rise of the Meritocraty»
Intelligence + Effort égal Méritocratie, laquelle créera une classe dirigeante du pays. Je ne sais pas si feu Bourguiba a lu les travaux de Yong à l’époque.
Cette même classe dirigeante ayant accédé aux hautes fonctions de l’Etat et à une qualité de vie plus qu’acceptable, a fermé un œil sur les dérives de Bourguiba puis sur la dictature de Ben Ali pour garder ses privilèges. Pire encore, après la Révolution du 14 Janvier on a assisté à l’émergence d’une classe politique opportuniste (ils le disent eux même à l’ARP au Bardo, il suffit de jeter un coup d’œil sur le parking de l’ARP. Tout ça sous les yeux d’une grande partie de l’élite, spectatrice et indifférente et pourtant consciente que cette nouvelle classe politique mène le pays vers le précipice.
Kwane Anthony Appiah**, philosophe anthropologue écrivain anglais d’origine Ghanéen a dans son derniers article paru sur le New York Review, dit bien que l’idée d’une société qui rend honneur au talent et au travail n’a pas réussi à éradiquer les inégalités mais elle a surtout créé une élite avec d’énormes privilèges. Il fait référence à M. Yong quand il écrivait « Il est raisonnable de donner des responsabilités à une personne en fonction de son mérite…ce n’est plus raisonnable si cette classe dirigeante ne laisse plus d’espaces aux autres ».
Revenons à la Tunisie, est-ce l’échec de toute une classe d’élite qui veut ignorer son parcours, et bénéficier seule de tous les avantages acquis ? Une mémoire sélective qui n’a gardé que le souvenir des efforts et des sacrifices pour grimper dans l’échelon sociale mais des moyens qui ont permis cette ascension? Une nouvelle classe sociale myope qui insulte l’avenir.
Il est encore temps pour une prise de conscience. Le geste ultime du jeune Abderrazzek paix à son âme au Kasserine nous interpelle. En quelques mots ce jeune a bien résumé la situation à l’intérieur du pays, on doit quémander 500 millimes sa mère (l’équivalent de 0,2 euro) pour acheter une cigarette et passer la journée dans un café.
Si on continue avec la même politique d’exclusion on n’arrivera pas à éradiquer le terrorisme et déclencher une autre révolution ( pour maintenir le statut quo et continuer leurs trafics) est à nos portes. En continuant à creuser le fossé entre les classes sociales, cette « élite » bien installée aux manettes de l’économie et du politique, qui désormais se confondent, cette élite incapable de faire son mea culpa, cette élite planquée derrière les murs de belles villas dans des quartiers huppés, bien gardés par des entreprises de gardiennage Cette nouvelle élite dont la fortune est placée dans des endroits sûrs, a déjà détruit une bonne partie du modèle Bourguibiste et s’apprête à achever le peu qui en reste. Il est encore temps de réagir.
Prof Adnane Mokrani*** écrivait cette semaine, ceux qui critiques doivent absolument donner des propositions et surtout laisser un espace à l’espoir. Je lui réponds la Tunisie s’en sortira certainement grâce à son peuple et son histoire. La première étape, c’est-à-dire la prise de conscience du mal qui nous ronge n’a pas été franchie. En s’engageant à sauver notre pays nous commençons à réfléchir ensemble sur des choix simples, des gestes d’humilité envers ceux qui souffrent, et ils sont de plus en plus nombreux, de la transparence, des actes pour rétablir l’équité et donner en priorité à ceux qui en ont le plus besoin.
Rétablissons l’ascenseur social, soyons à la hauteur des sacrifices de nos parents et de leurs attentes d’une Tunisie plus juste, essayons d’être des exemples pour les générations futurs.
Mohamed Adel Chehida
* https://en.wikipedia.org/wiki/Michael_Young,_Baron_Young_of_Dartingtoh
** https://www.nybooks.com/articles/2018/10/11/michael-young-red-baron/
*** https://taadudiya.com/الفكر-النقدي-لا-يكتمل-إلا-بطرح-بديل-بنّ/?fbclid=IwAR1wU-yNxN5xMwsLLuvdUVFh66jMSrk5ZbQ-S-nEUZdYSmznzsbLOG7qJyE
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