Taoufik Chamari: La guerre des mots est-elle en mesure de soigner nos maux ?
D’origine Sicilienne le mot « Mafia » désignait une organisation criminelle dont les activités sont soumises à une direction collégiale occulte et qui repose sur une stratégie d’infiltration de la société civile et des institutions. Cette définition que l’on retrouve dans bon nombre de dictionnaires laisse entendre que les tenants du pouvoir ne sont pas à l’abri de telles pratiques et cette suspicion se renforcent dès lors qu’ils utilisent de manière fréquente ce terme qui finit par souffrir d’un déficit global de définition ouvrant la voie à toute sorte de diversion.
Ces derniers jours, certains de mes ami(e)s ont été saisi(e)s par deux déclarations fortement médiatisées sans que ne soit relevé à ce qui ressemble, à leurs yeux, à des accusations réciproques maquillées et cela entre le Président de l’Instance de la lutte contre la corruption et le Président du Gouvernement et actuel candidat aux élections Présidentielles ;
- Le premier cité parle de la « bonne gouvernance » de manière assez critique reprochant de manière implicite au pouvoir exécutif et donc à son Président son incompétence dans ce domaine,
- Le second parle de « guerre contre la corruption et la mafia » et s’en glorifie au point d’en faire une affaire personnelle sous entendant (puisqu’il n’en parle pas) l’inefficacité de l’Instance dans ce domaine.
Ces sous-entendus sont accentués par le recours au terme « guerre »qui est un slogan de communication puisqu’en réalité la lutte contre la corruption est bien définie et repose sur la Sensibilisation, la Prévention, la Dénonciation et enfin l’Investigation qui doit permettre de décider les suites à donner à la suspicion de corruption établie. Et de ce point de vue, toute « guerre » risque de dénaturer le combat. Ainsi, il reste important de rappeler le rôle de chacun et ce, pour éviter toute forme de confusion et d’éventuels dérapages.
Dans le cadre des échéances électorales, il faut éviter d’user de ce qui est appelé « Post vérité ».Ce mot qui découle de l’Anglais « Post Truth » et qui a été choisi en 2016, comme mot de l’année par le dictionnaire Britannique Oxford (suite à une campagne électorale) et sa traduction française l’a suivi dans le Larousse en 2017. Cet adjectif fait référence « à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles ». Dans le cas d’espèce, toute instrumentalisation des institutions de l’Etat ne peut mener qu’à des abus considérables dont il faut se méfier.
Je citerais à titre d’exemple le cas vécu en 2017, d’un citoyen Tunisien de 65 ans qui a été condamné et arrêté séance tenante la veille de l’Aid. Tout simplement parce que le responsable du contentieux de l’Etat s’est autorisé à se constituer de manière aussi surprenante qu’abusive, partie civile dans une affaire qui ne le concerne en aucun cas.Il s’agissait d’une plainte intentée par son locataire contre lui, qui a décidé de ne plus payer son loyer arguant du fait que le bâtiment objet de la location, a été construit sur un terrain appartenant à l’Etat alors que cette question était en voie de régularisation !!! Bien que cette injustice ait été levée suite à la réaction d’un grand nombre d’entre nous et à ce jour, et malgré le fait que la situation foncière a été régularisé, il semble qu’aucune enquête administrative n’a été engagée et nos informateurs attribuent ceci, au fait que ce responsable bénéficierait de complicités en haut lieu. Ainsi et dans le cas d’espèce il s’agirait d’une manipulation du judiciaire par l’exécutif qui a conduit à l’arrestation injuste d’un citoyen, la veille d’une fête sacrée !!!
Sur un autre plan, un autre candidat et représentant du législatif s’est engagé dans le cas où il est élu d’éliminer la contrebande alors que cette dernière est, en grande partie, dépendante de l’économie informelle qui est pratiquée dans les zones frontalières depuis des générations et qui fait vivre beaucoup de familles. La Tunisie n’a pas d’autre choix que d’établir un programme non répressif pour rendre cette économie formelle et de ce fait, combattre la contrebande en appliquant fermement la loi.Rappelons-nous le rôle joué par ses familles à Ben Guerdane, quand les passeurs d’armes qui se sont manifestés en 2012 et qui avaient fortement développés leurs activités, ont été tentés de s’approprier le commerce informel des zones frontalières. Le sursaut de ces familles menacées dans leur existence a été salutaire pour le pays.
De ce point de vue, les confusions qu’entretiennent certains de nos compatriotes viennent de certaines traductions qui dénaturent certaines notions. Je prendrais pour exemple la traduction de l’Arabe au Français du décret de 2011, élaborée par la commission d’investigation et portant création de l’Instance Nationale de lutte contre la corruption. La corruption (Rachoua) est traduite par le mot Fessad (malversation), si bien que le sigle de l’Instance en Français ne correspond pas au sigle en langue Arabe. De ce point de vue, il faut rendre hommage au communiqué de la cour des comptes de Janvier 2019 qui spécifie comme il se doit ces deux qualificatifs bien que dans certains cas ceux-ci peuvent être lies ce qui entraine une double infraction.
Tous ses aspects ont fait l’objet à l’époque, de discussion avec notre ami Me Annabi Samir ancien Président de l’Instance et ce, dès la désignation du premier conseil de l’Instance à la fin du premier semestre 2013. Ce qui nous a permisd’entamer dès le début de l’année 2014, l’étude financée par le PNUD pour élaborer une stratégie Nationale de lutte contre la corruption et qui a été signée par les différents acteurs fin 2016.
De ce point de vue, une évaluation annuelle s’imposait car toute analyse critique ne peut être que bénéfique puisqu’elle permet de prévenir les surenchères et les confusions qui pourraient naitre par des ambitions de nature diverse et de ce fait, envisager l’avenir de manière plus sereine et plus saine.
Taoufik Chamari
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