Yadh Ben Achour : La révolution tunisienne entre semi-échec et semi-réussite : la promesse sociale abandonnée (Album Photos)
« La Tunisie a connu une véritable révolution dans le plein sens du terme, avec une revendication révolutionnaire très forte. Nous sommes restés à ce jour dans cet état révolutionnaire, avec le sentiment d’un semi-échec et d’une semi-réussite, et surtout des promesses abandonnées. » Le verdict de Yadh Ben Achour est sans appel. Invité par l’UGTT à livrer son évaluation des neuf premières années depuis le 14 Janvier 2011, il s’emploiera à analyser la difficile transition d’un état révolutionnaire à une situation stabilisée, fondée sur la constitution et des institutions.
« D’abord, la notion de révolution nous renvoie pleinement en Tunisie à une rupture totale avec la dictature et l’exclusion, commencera-t-il par indiquer. Aussi, en se choisissant comme slogan «la révolution de la liberté et de la dignité», elle a intuitivement fixé ses deux principaux objectifs. Par liberté, il faut comprendre toutes les libertés, notamment celles individuelles, mais aussi politiques, comme également la liberté de conscience. Dans ce domaine, nous avons accompli une large avancée, bien significative. »
La valeur du temps
Par Dignité, ajoute Ben Achour, il s’agit de veiller à une justice distributive acceptable, une égalité entre l’homme et la famille et une protection contre tous les abus, toutes les atteintes à la dignité humaine. Mais, sa liberté n’est pas la plus difficile à se réaliser, nous l’avons vu lors du basculement entre les 13 et 14 janvier, avec la suppression rapide, pure et simple de tous les symboles du régime dictatorial, la dignité est la moins aisée à accomplir. Elle exige en effet des mécanismes appropriés allant de la détermination à la planification et la mise en œuvre afin de réaliser la justice sociale, de mettre en place la gouvernance appropriée et surtout de gagner le pari contre le temps.
La valeur du temps est essentielle pour Yadh Ben Achour. « Elle est la plus précieuse, parce que la plus déterminante et à l’inverse, la plus pénalisante » soulignera-t-il. Il citera en exemple la lenteur dans la formation des gouvernements depuis les élections de 2014, prenant le cas des gouvernements Habib Essid, puis Youssef Chahed, sans omettre ce qui se passe aujourd'hui. Calendrier à l’appui, il rappellera que le nouveau pouvoir installé le 1er janvier 2015 n’a pu aboutir à l’investiture du gouvernement Essid qu’après six semaines d’attente, le 6 février 2015, pour aboutir d’abord au lancement de l’idée d’un gouvernement d’unité nationale le 3 juin 2016, puis à une motion de censure, près de 18 mois après, le 30 juillet 2016. Mis en selle début août de la même année, Youssef Chahed mettra plus de trois semaines pour obtenir l’aval de l’ARP, le 26 août 2016.
L’échec social est un échec politique total
Pour Yadh Ben Achour, le temps politique n’est ni le temps économique avec ses urgences, ni le temps social avec ses contingences, d’où de multiples décalages et distorsions, sources de tensions et de contestation. Cela se vérifie avec le désenchantement national, l’érosion du capital de confiance et l’aggravation de la précarité et des inégalités. La lutte contre la pauvreté pourrait se faire par des voies pacifiques lorsqu’un gouvernement compétent et sérieux s’y met avec détermination, œuvrant à l’ancrage d’une solidarité sociale agissante, ou par un statu quo qui ne bénéficie à personne, car c’est le plus dangereux par un retour révolutionnaire fort, comme nous l’enseigne l’histoire.
L’échec dans l’accomplissement de la dignité est un échec politique total, affirme Yadh Ben Achour. D’où le danger que représente cette promesse sociale fondamentale abandonnée ou absente ou enfouie. L’aggravation de la situation économique et financière se traduit par le chômage, la migration clandestine, la malversation, la corruption et autres maux. C’est pourquoi les Tunisiens doivent s’ingénier à forger un nouveau système économique approprié, ni capitaliste, ni islamiste.
Ben Achour pointe également du doigt les dérives du système démocratique parlementaire, suscitant une dichotomie entre les pratiques des partis politiques et la réalité dans le pays ainsi qu’une confrontation permanente entre le présidentiel et le gouvernemental. L’atomisation des partis est excessive et nous en avons vu les conséquences de l’impossibilité de mettre sur pied, la cour constitutionnelle, le blocage des fonctions législatives et l’activité gouvernementale. Tout cela renvoie une image négative de la vie politique, laissant entrevoir une société qui s’enlise dans ses problèmes et une classe politique livrée à ses joutes partisanes.
Un scrutin dans un climat malsain
Revenant sur les récentes élections législatives, et présidentielle, Yadh Ben Achour soulignera qu’elles s’étaient déroulées dans un climat tendu avec d’une part une tentative d’amendement de la loi électorale et de l’autre, l’emprisonnement d’un candidat à la magistrature suprême. « Au deuxième tour du scrutin, souligne-t-il, les électeurs avaient à choisir entre un candidat qui a pour valeur d’être au-dessus de tout soupçon se présentant comme l'incarnation de la volonté du peuple alors que son challenger est poursuivi dans des affaires de malversation. Le vainqueur est semble-t-il tenté par une révision de la constitution en instituant une démocratie directe. L’idée en soi est attractive et guère impossible. En fait, elle exige des préalables et valable beaucoup plus pour un scrutin local que national. La démocratie directe est un leurre qui risque de tromper l’opinion publique. Déjà, le régime politique est en crise, poussant les uns au pessimisme et d’autres à le tourner en dérision. »
Une situation pittoresque
« Nous nous retrouvons d’ailleurs aujourd’hui dans une situation surréaliste. Le président qui s’inscrit en antisystème, se trouve contraint, selon la constitution à former le nouveau gouvernement, et pour cela se concerter lui-même avec les partis politiques et les blocs parlementaires. »
Malgré ce tableau peu reluisant, Yadh Ben Achour garde lui aussi (il en avait fait référence à Mustapha Kamel Nabli dans son livre ‘’J’y crois toujours’’), tout son optimisme. « En dépit des échecs et des crises, nous devons nous attacher au régime démocratique, plaide-t-il. Les aspects négatifs, aussi déplorables qu’ils soient ne sauraient occulter un acquis précieux qu’est la liberté. Cette pratique de la liberté s’est illustrée encore fois et tout récemment au sein de l’ARP par le refus de l’investiture au gouvernement de Habib Jemli. Le parti dominant qui l’avait parrainé en a payé les frais dans un exercice de liberté avérée. »
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