Politique de Rigueur et de Relance «Ri-Lance» et Modèle Alternatif de développement et transformation économique et sociale pour la Tunisie Nouvelle
Les élections d’octobre 2019 et la désignation d’un nouveau Chef de gouvernement, que nous espérons réussisse rapidement dans la constitution d’un nouveau gouvernement, ouvrent une nouvelle page dans l’histoire de la jeune révolution tunisienne qui devrait lui permettre de retrouver son dynamisme et de répondre progressivement aux multiples attentes et aspirations de sa jeunesse et de sa population.
L’année 2020 devrait constituer une année de prise de conscience de la gravité de la situation qui devrait déclencher les conditions d’une dynamique de réformes sérieuses pour sortir de la crise chronique. Il est utile de rappeler, que depuis la révolution, la Tunisie reste confrontée à la dégradation de ses finances publiques liée au poids des dépenses courantes dans le budget. En effet, l’explosion de la masse salariale, due en grande partie au recrutement massif dans la fonction publique ainsi que la difficulté à mettre en œuvre des réformes structurelles n’ont pas rendu la tâche facile. Depuis 2011, la croissance moyenne est demeurée inférieure à son niveau potentiel de long terme estimé autour de 5%. La croissance moyenne sur la période 2011-2015 s’est élevée à 1,47% contre 3,6% sur la période 2008-2010 suivie d’une croissance de 1% en 2016, de 2,5% en 2018 et d’une estimation proche 1% en 2019. Le déficit budgétaire pour 2019 estimé à 4,3 % risque de dépasser les prévisions de 3,9% pour 2020. La Tunisie produit, de fait, moins de richesse par tête d’habitant depuis 2011. La croissance du PIB par tête - qui est également un indicateur général de productivité - a chuté depuis 2000 passant de 3,3% à moins de 0,9% en 2018. Selon la classification de la Banque Mondialela Tunisie,qui se trouve dans la trappe des pays `a revenu, est depuis août 2016 un pays à revenu intermédiaire (PRI) de faible revenu.
Les conséquences pourraient être à la fois néfastes et profondes si cette crise n’est pas adressée à temps et d’une manière urgente. On pourrait notamment s’attendre à une érosion progressive des investissements directs étrangers (IDE) et des financements en faveur des investissements ciblés vers les régions particulièrement défavorisées et à une insatisfaction croissante de la population déjà sujette à une détérioration de son pouvoir d’achat et à un niveau d’accès insatisfaisant aux services sociaux de base notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé. Le gouvernement mène un rythme trop lent les dépenses de développement alors que le pays est dans une quasi « économie de guerre » où l’Etat doit désormais agir efficacement et rapidement. La priorité la plus urgente est de mettre en œuvre une politique de rigueur pour la stabilisation macroéconomique, politique nécessaire à la relance qui ne peut se réaliser sans la mise en place de grandes réformes. Ne rien entreprendre dans l’immédiat, voire même tarder et ne pas accélérer pour rattraper le rythme qui soit de nature à provoquer un choc de compétitivité et de croissance condamnerait la Tunisie pour longtemps au déclin économique et à la régression sociale. Il est grand temps d’en finir avec la période d’attentisme qui hypothèque la croissance et la relance de la dynamique du développement économique. On ne peut pas raisonner comme au temps de la Tunisie d’auparavant, le jeu n’est plus exclusivement tunisien. Refuser au nom de considérations idéologiques précédentes d’avancer dans les reformes, c’est se priver maintenant d’opportunités de création de richesse et d’emploi pour le pays.
Les actions ainsi proposées sont à la mesure de l’extrême gravité de la situation macroéconomique actuelle. La priorité la plus urgente est de mettre en œuvre une politique de Rigueurnécessaire à la Relance qui ne peut se réaliser sans la mise en place de grandes réformes.
Actions clés à court terme: Réhabiliter la stabilité macroéconomique
Au niveau du déficit budgétaire :
• Montrer à la population que l’effort demandé doit être partagé par toutes les catégories de la population : la réduction des dépenses ayant des effets sur les catégories les plus vulnérables, doit être accompagnée par une réforme de la fiscalité ayant pour objectif un effort supplémentaire de la part des détenteurs de capitaux et un meilleur ciblage du filet social pour les catégories les plus démunies.
• Maîtriser les différentes subventions en particulier celle de l’énergie et améliorer le ciblage des citoyens bénéficiaires des programmes d’assistance sociale.
• Accélérer la réforme du système fiscal afin de réduire l’évasion d’impôts et le commerce parallèle mais aussi d’alimenter le budget de l’Etat.
• Entreprises publiques : Adopter un programme de restructuration et d’assainissement des Entreprises publiques à caractère stratégique et un programme de privatisation de certaines entreprises publiques agissant dans le domaine concurrentiel et préparer une feuille de route à ce sujet en concertation avec les organisations syndicales et patronales.
• Revoir les modalités de financement interne du déficit budgétaire en baissant les taux d’intérêt sur les bons du Trésor (le niveau élevé actuel de ces taux et le refinancement auprès de la Banque Centrale permettent aux banques de réaliser des bénéfices anormaux en temps de crise).
Au niveau du déficit courant
• Montrer que la Tunisie a des engagements auprès de l’OMC. L’amélioration de la situation ne peut provenir que d’une politique de change efficace et des accords bilatéraux pour réduire les déficits avec chacun des pays.
• Adopter une politique de change appropriée afin de retrouver le taux de change d’équilibre.
• Agir sur les importations en demandant à nos partenaires avec qui nous avons un déficit significatif (Chine, Turquie), un moratoire en réduisant ces importations et demander la révision des accords signés avec ces pays.
Le programme du FMI
Le programme du FMI ne doit pas être juste un ou des documents conçus à Washington pour être appliqués à la Tunisiepays comme n’importe quel autre pays sous-programme avec le FMI. C’est la haute compétence technique en matière macroéconomique opérationnelle qui est hautement exigée par les temps qui courent pour bien défendre ledossier de la Tunisie et réussir à faire changer d’avis certains par la sincérité technique des réponses. Il y a là un souci de souveraineté car les bailleurs de fonds ont parfois, sinon souvent, pressés la délégation tunisienne comme un citron, par des questions, auxquelles la délégation tunisienne n’a pas était bien préparée, car les réponses des responsables n’étaient pas parfois logiques pour les techniciens, purs et durs, de ces institutions. pour les tranches restantes de l’actuel programme, un besoin urgent de coaching des responsables et de la désignation d’un leader rompu aux négociations macroéconomiques opérationnelles au niveau de la Banque Centrale/Economie et Finance est plus que nécessaire dans cette phase délicate de discussions avec les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux et particulièrement le FMI.
L’appréciation externe du risque Tunisie, fait encore peur aux investisseurs et aux bailleurs de fonds qui ne voient toujours pas les effets des réformes et des améliorations.
Banque Mondiale et autres Bailleurs de Fonds Multilatéraux
Les appuis budgétaires demandées par le pays dans le futur gagneraient a être axés sur les résultats contrairement aux appuis budgétaires généraux qui sont fongibles. Ces Programmes axes sur les résultats « Program for Resultsou P4R »sont des nouveaux instruments qui se situent entre les instruments classiques d’appui budgétaire et les financements de projets. Les ressources sont décaissées en fonction des résultats réalisés et certifiés par des institutions indépendantes. Ce genre de programme est très fondamental pour un pays comme la Tunisie qui a besoin de ressources qui seraient exclusivement allouées et destinées aux réformes et activités ciblées d’un programme d’appui au développement. A cet égard l’exemple du Maroc est très édifiant. Tout en réussissant à maintenir ses équilibres macroéconomiques, le Roi a jugé que le modèle de développement du Maroc s’est essoufflé, et a appelé à la conception d’un Nouveau modèle de Développement selon une approche participative incluant l’ensemble des composantes du pays.
En Tunisie, les résultats de l’élection présidentielle en particulier signalent que le modèle de développement actuel a atteint ses limites pour un grand nombre de citoyens et qu’un Modèle de Développement Alternatif s’impose. Avec une approche participative, les priorités seront la réduction des inégalités, la fourniture des services de base adéquats tels que l’éducation, la santé, les infrastructures de base, l’emploi, l’amélioration du climat des investissements qui est un objectif clé pour le développement économique et social de La Tunisie. La régionalisation semble désormais constituer un tournant décisif dans la gouvernance territoriale en Tunisie. De ce fait, les prérogatives des régions gagneraient considérablement à être élargies. Avec des appuis institutionnels pour le renforcement de leur capacité, les régions seront prêtes à devenir le moteur de la mise en œuvre des politiques sectorielles et le catalyseur des synergies entre l’ensemble des acteurs économiques agissant sur le territoire. Grâce à l’instauration de nouveaux mécanismes de la « démocratie participative », les régions peuvent également devenir l’espace par excellence pour la participation active de la population à la gestion des affaires régionales et à l’effort de développement territorial. C’est l’approche « Bottom-up ». La déclinaison des plans locaux et régionaux est d’assurer un déploiement du processus de régionalisation, un développement territorial équitable, équilibré, inclusif et adapté aux spécificités de chaque région selon les vœux exprimés par les citoyens. Ainsi, la région deviendra un pôle économique capable de créer de l’emploi, de valoriser ses richesses et de soutenir ses secteurs productifs pour assurer une croissance inclusive, au service du citoyen.
Tunisie nouvelle: transformation de l'économie
Dans un monde où la compétitivité d'un pays sera définie par sa capacité à exploiter des technologies telles que lablockchain, l’Intelligence Artificielle (AI), et d'autres, les dirigeants devront concevoir leurs visions pour l'avenir et rapidement mobiliser la nationpour qu'elle se prépare. La quatrième révolution industrielle a déclenché des avancées technologiques sans précédent dans le monde. L'IA, la robotique, la blockchain, l'internet des objets (IoT), l'informatique quantique, l'informatique neuromorphique et d'autres technologies de ce type ont permis aux pays d'améliorer rapidement la productivité, de stimuler la production et d'améliorer la qualité de vie. Les effets d'entraînement pour les gouvernements, les industries et les particuliers sont immenses. Un tel changement sera non seulement bénéfique mais hautement transformateur. Il transformera radicalement les interactions commerciales, créera de nouveaux emplois et mettra à l'épreuve les valeurs humaines et l'éthique. Les dirigeants et le nouveau gouvernement devront préparer et guider les citoyens dans la nouvelle ère numérique.lls devront également comprendre le rôle que le gouvernement doit jouer dans cette nouvelle ère numérique. Le leadership du pays doit réaliser que, pour être compétitif et rivaliser avec d’ autres pays à l'avenir, il doit exploiter la puissance des nouvelles technologies. Cela signifie envisager l'avenir de la Tunisie en tant que nation numérique, une nation qui utilise non seulement ces technologies, mais qui innove constamment et mets `a jourcontinuellement les talents.
Cela signifie promouvoir l'innovation, investir dans la recherche et le développement, adopter des technologies révolutionnaires, entreprendre les réformes nécessaires du système éducatif et du marché du travail avec pour objectif (i) d’assurer une meilleure qualité de l’enseignement capable de réaliser une meilleure adéquation entre le système éducatif et le système productif ; et de revoir les politiques actives de l’emploi, de préparer la génération du millénaire et les suivantes à des métiers qui n’existent pas encore. Tout cela nécessite d’établir une Feuille de Route et un plan d’action pour faire de la Tunisie une destination numérique internationale, pour créer des emplois, et renforcer l'usage des TIC dans tous les secteurs d'activité et faire de ce secteur, à terme, la première source de recettes fiscales pour l'Etat et de construire un système éducatif de classe mondiale.
La Tunisie a besoin et gagnerait`a mettre la transformation numérique au cœur de stratégies nationales avec une vision claire et la capacité de rallier la nation autour de cette vision. Il y a un besoin pour une stratégie tunisienne d'IA 2030, une stratégie tunisienne de blockchain, une stratégie nationale tunisienne 2040 pour l'enseignement supérieur et un plan centenaire pour la Tunisie qui vise `admettra la Tunisie parmi les meilleurs pays pilotes du monde. Ensuite, il y a un besoin pour une stratégie tunisienne pour la quatrième révolution industrielle qui se concentre sur le développement de domaines tels que l'éducation innovante, l'IA, la médecine génomique intelligente, la nanotechnologie et les soins de santé robotiques. Toutdevraient à leur tour être soutenus par une stratégie nationale de l'emploi qui devrait viser à stimuler la productivité du travail et fournir à la Tunisie les compétences requises. L'articulation de la Tunisie doit aller au-delà des déclarations ambitieuses et se décompose en objectifs quantifiables et pragmatiques. Par exemple, une grande partie du raisonnement derrière les stratégies d'IA et de blockchain est purement pragmatique, pour améliorer la croissance du PIB et réduire les coûts gouvernementaux. La stratégie tunisienne de l'intelligence artificielle devrait viser à réduire les coûts gouvernementaux de 50% en 2030 par l'application de l'intelligence artificielle, tout comme la stratégie tunisienne de block cahin devrait viser à économiser plusieurs millions d'heures de travail par an au gouvernement et à réduire de quelques milliards le coût du traitement des transactions et des documents.
Avec sa vision numérique, la Tunisie pourrait annoncer son aspiration à être compétitif au niveau des pays émergents. Établir une vision de la transformation numérique et rallier la nation autour de cette vision n'est que la première étape. Après cela vient la galvanisation du secteur privé, la promotion de l'innovation numérique et de l'entreprenariat et le développement d'un vivier de talents capable de s'épanouir dans un avenir numérique, autant de défis importants à relever si la Tunisie veut concrétiser sa vision. De nombreuses initiatives doivent être prises pour les surmonter.
Toutes mesures nécessitent des actions clés à mettre en œuvre par une administration et des institutions au niveau régional et national qui sont prêtes à les exécuter efficacement. Des réformes sensées peuvent être battues en brèche voire échouer par un tissu d’institutions peu préparé et qui tarde à relever le défi de la performance. Au niveau de la modernisation de l’administration et des négociations avec les communautés et institutions financières internationales il y a lieu de:
Moderniser les services publics afin de débureaucratiser la machine administrative et instaurer le «le an management» à l’instar du Brésil avec le ministère de la Débureaucratisation et le New Public administration au Royaume-Uni. Dans ce cadre, afin de propulser et créer la dynamique de changement, l’instauration d’une structure de haut niveau à l’instar d’un «Council of Economic Advisors» rattaché au plus haut niveau de l’Etat, et la mise en place d’une « Delivery Unit » unité spécialisée en charge de «Monitoring et évaluation » pour le suivi de la mise en œuvre de réformes qui regroupe de grandes compétences indépendantes et des représentants des instances des divers secteurs public et privé au niveau régional et national apporterait une vision claire en matière de relance et développement économique. Le Conseil et l’Unité de suivi et d’évaluation conseilleront et veilleront sur la cohérence et la coordination entre les différentes institutions étatiques, les conseils d’analyse économique et financier, et l’institut d’émission. Afin d’avoir un réel impact le Conseil et l’Unité de suivi et d’évaluation feront leurs recommandations directement aux plus hautes autorités de l’Etat.
Quant à la politique de communication il y a lieu de:
• Adopter et mettre en œuvre une politique de communication claire, cohérente et efficace, essentielle au succès de l’action publique pour assurer la conviction des citoyens et de toutes les parties prenantes du bien-fondé et de la nécessité desdites réformes, du partage des coûts, et, à terme, de leurs dividendes. A cet égard, les institutions décentralisées auront un rôle crucial de proximité à jouer aussi bien pour élaborer des modalités d’action que pour stimuler l’engagement des acteurs pour le développement. L’ère des choix pris au sommet est révolue, fussent-ils les mieux intentionnés. La participation de la société civile au sommet ne peut à elle seule assurer l’engagement lorsqu’il faudra passer à l’action.
• L’action implique responsabilité et la responsabilité aide à faire des concessions qui s’imposent dans la situation actuelle de notre pays qui souffre de tant de maux. Il reste maintenant à la plus haute autorité de faire plus sa part du travail, celle qui consiste à entendre et parler au peuple de la gravité et la vérité de la situation et ne pas lui mentir par omission et l’appeler à reprendre le travail et à redoubler d’effort pour remettre son économie en marche et ne pas décevoir tous ceux qui attendent un avenir meilleur de la révolution. La Tunisie pourrait croître à deux chiffres si certaines décisions douloureuses mais nécessaires sont mises en œuvre.
• Appliquer les lois, dont celles relatives à la lutte contre la corruption, aurait, en remettant un certain ordre, un effet collatéral immédiat avec l’accélération d’une série de processus, tels que celui de la justice transitionnelle. Une équipe au service du pays et faisant fi des considérations partisanes devra aussi communiquer sur ce qu’elle fait et sur sa méthode, afin de fédérer autour de son action, mais aussi de convaincre les Tunisiens de la nécessité d’être patients et de consentir des sacrifices.
• En finir avec une transition qui perdure depuis 2011. Les nouvelles autorités gagneraient `a rétablir celle l’autorité’ d’un État affaibli, car presque tous les dossiers revêtent un caractère d’urgence absolue. Raison de plus pour se tenir à distance des partis, un gage d’indépendance et d’objectivité qui rassurerait une population échaudée par les conflits partisans. La Tunisie saura éviter une perspective sombre par la mise en place dans les meilleurs délais de la trame de mesures évoquées. Ceci donnerait un signal fort permettant d’espérer un rapide rétablissement de la stabilisation économique et permettrait au pays de concrétiser et utiliser tout son potentiel pour rétablir la confiance, relancer véritablement la croissance, répondre aux aspirations de ses citoyens, et développer ses régions et devenir un exemple `a suivre.
Ezzeddine Larbi
Professeur Agrégé de Sciences économiques
Faculté de Droit et des Sciences politiques et économiques et I.H.E.C Tunis
• Ph.D en économie, Université de Californie, Los Angeles UCLA et Diplômé de l'Université Harvard
• Ancien Economiste Principal (Lead) et Economiste en Chef à la Banque Mondiale et à la Banque Africaine de Développement