Elyès Fakhfakh: Tiendra-t-il?
Allons-nous vers la dissolution de l’ARP, ou une investiture en sursis d’une motion de censure ? Un passage en force, avec les conséquences qu’on s’imagine ? A moins qu’il ne se désavoue lui-même et renonce à l’exclusion de Qalb Tounès de son gouvernement (comme le lui intime Ennahdha), Elyès Fakhfakh est au cœur d’une tempête à l’issue imprévisible. Toutes les options sont ouvertes.
Rien ne prédestinait Elyès Fakhfakh à une carrière politique, le conduisant déjà à la tête de deux ministères pendant trois ans, de 2011 à 2014, et le projetant aujourd’hui à la conquête de la Kasbah. Contre toute attente, c’est lui que le président Kaïs Saïed a choisi pour former le futur gouvernement et solliciter l’aval du parlement. A 48 ans, cet ingénieur épris de politique se lance dans la redoutable aventure de redresser la Tunisie. Contre vents et marées, sans appui politique et parlementaire garanti, ni caisses de l’Etat suffisamment garnies, il aura à faire face à un intense mouvement de revendications sociales ininterrompues, à des finances publiques en déroute et à une guerre sur nos frontières, en Libye.
La toute première épreuve à réussir, est cependant l’obtention de l’aval de l’ARP. Ayant exclu d’emblée Qalb Tounès (Nabil Karoui, 38 députés) et le PDL (Abir Moussi, 17 députés), il suscite déjà leur ire, et se voit invité par la Choura d’Ennahdha à élargir ces consultations, sans exclusion aucune. Ces détracteurs n’hésitent pas à le qualifier «d’usurpateur de la Kasbah», soulignant qu’il avait été recalé à l’élection présidentielle à un score insignifiant de 0.34% et que son parti Ettakatol n’a pu remporter aucun siège au Bardo.
L’expérience toute récente de Habib Jemli aurait dû le décourager d’accepter pareille mission. Malgré toute sa bonne volonté, le candidat d’Ennahdha n’avait pu ni réunir un cabinet d’union nationale, ni former un gouvernement d’« indépendants ». Jemli a dû essuyer, pour la première fois dans l’histoire de la République, un camouflet à l’ARP.
Elyès Fakhfakh risque-t-il de courir le même danger ? Ce qui est sûr, c’est que la donne a changé. Légèrement. Saïed impose sa ligne, faute de quoi il est autorisé par la Constitution à dissoudre le parlement. Cette dissolution, à ne pas exclure, hante les députés attachés à leur nouveau statut et à l’immunité qu’il leur procure, n’étant pas assurés de retrouver leur siège lors d’une prochaine élection. Elle chamboule également les cartes des partis politiques qui n’y sont ni prêts ni favorisés par les sondages d’opinion. Ennahdha, bien qu’affirmant se tenir prêt à affronter de nouvelles élections, n’est pas à l’abri d’une implosion et pourrait même être largement dépassé par le PDL. D’autres partis risquent de voir leurs sièges confisqués par d’âpres compétiteurs. Malgré tant d’incertitudes, Fakhfakh croit pouvoir réussir l’examen de passage au Bardo.
La suite n’est pas pour autant gagnée d’avance. Un parlement forcé à donner son aval pourrait s’avérer récalcitrant lors des votes suivants, partisan de questions orales et écrites au gouvernement et adepte effréné de convocations du chef du gouvernement et de ses ministres pour audition en commissions et séances plénières. Bref, une politique peu favorable à l’exécutif.
Le Bardo ne sera pas l’unique source d’inquiétude pour Fakhfakh. Les partis politiques ne manqueront pas de faire entendre leurs voix et exprimer leur opposition, occupant les médias, talonnant le gouvernement et ses administrations.
Sans oublier le front social, avec une Ugtt irréductible sur ses revendications et ses droits, une Utica aguerrie et peu complaisante, une Utap de plus en plus porteuse des attentes de la paysannerie et des petits agriculteurs. Seul un pacte gouvernement – Ugtt– Utica surtout est capable d’instaurer une trêve sociale très utile pour Fakhfakh.
La Libye et les financements extérieurs
A ces dossiers intérieurs brûlants s’ajoutent deux grands défis extérieurs à relever.
D’abord la situation en Libye et les perspectives d’une atroce guerre qui commence déjà à poindre à l’horizon. Le cessez-le-feu signé le 12 janvier et l’accord conclu le 19 janvier à Berlin quant au respect de l’embargo onusien sur l’armement (blindés, armes, munitions, drones, etc.) et la non-interférence étrangère dans le pays (mercenaires, combattants étrangers, conseillers militaires, etc.) ne trouvent aucune application effective. Premier pays voisin concerné par ce qui se passe en Libye, la Tunisie n’a pas su exprimer à la communauté internationale une position claire de neutralité absolue, ni lui adresser une liste détaillée de ses besoins urgents afin de faire face à ce péril. Fakhfakh se trouvera alors en première ligne de rétropédalage pour rattraper les occasions perdues et défendre les intérêts du pays.
Le second grand défi n’est autre que la mobilisation en crédits de près de 12 milliards de dinars indispensables pour le budget de l’Etat, déjà obéré d’un déficit structurel de 3.4 milliards de dinars. L’endettement pour les 12 milliards se fera à hauteur de 8.8 milliards en devises à obtenir sur le marché financier international et /ou auprès des bailleurs de fonds. L’enjeu sera de taille.
Comment Elyès Fakhfakh compte-t-il s’y prendre ? Comment avait-il été choisi par Kaïs Saïed ? Et pour quelles raisons ? Avec quels arguments pourra-t-il gérer l’exclusion de Qalb Tounès et du PDL de sa coalition ? Comment s’emploierait-il alors à former son gouvernement, choisir ses conseillers, élaborer son programme et adouber les grandes puissances et les bailleurs de fonds ? Un dossier complet.
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