Yves Aubin de La Messuzière: Sur le conflit israélo palestinien, la voix de la France s’est éteinte
Alors que le plan de paix de Donald Trump bafoue le droit international, l’ancien diplomate regrette que Paris fasse profil bas face à Washington au lieu de rappeler les risques d’une dégradation de la situation en Cisjordanie et à Gaza.
Dès l’annonce, mardi 28 janvier, par Donald Trump de son plan de paix sur le conflit israélo-palestinien, qu’il qualifie d’« accord du siècle », le Quai d’Orsay s’est empressé de publier un communiqué saluant les efforts du président américain en faveur d’une solution à deux Etats, qui soit en conformité avec le droit international et les paramètres internationalement reconnus. Cette prise de position française précipitée, alors que le ministère des affaires étrangères reconnaît devoir examiner avec attention le plan qui ne lui a pas été transmis préalablement, est surprenante à plusieurs titres. Tout indique, en prenant connaissance des éléments essentiels de l’initiative américaine, que le droit international est proprement bafoué par Israël avec le soutien déterminé des Etats-Unis depuis l’élection de M. Trump.
Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies n’ont empêché ni l’annexion par l’Etat hébreu de Jérusalem-¬Est, et les Etats¬-Unis d’y installer leur ambassade, ni l’extension de la colonisation en Cisjordanie (435 000 colons dans 130 colonies). La plus récente résolution de l’ONU, remontant à 2016, à laquelle l’administration Obama s’était associée, condamnait clairement la poursuite de la colonisation, « en violation flagrante du droit international ». La France et l’Union européenne ont multiplié, sans réelle conviction, les déclarations se prononçant pour un Etat palestinien avec Jérusalem Est pour capitale.
Depuis son élection, Emmanuel Macron est resté discret sur cette question, pourtant au cœur de l’action diplomatique de la France depuis des décennies, et s’est contenté de reprendre la doxa européenne. L’impression domine, depuis les mandats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, que la diplomatie française est dénuée de vision stratégique globale sur les différentes crises du Proche¬-Orient, qui s’additionnent et se nourrissent les unes les autres. Isoler le foyer de tensions en Palestine, alors que sa charge symbolique pèse sur les autres crises régionales, est une erreur de perspective. Face à des situations tragiques de ces dernières années, notamment à Gaza, la diplomatie émotionnelle, et donc du temps court, l’a emporté sur la diplomatie de l’anticipation et du temps long.
De récents sondages révèlent que les Palestiniens dans leur majorité ne croient plus à la création de leur Etat et donnent la préférence à un Etat unique, dans lequel ils espèrent bénéficier des mêmes droits que la population israélienne. Mais, dans le même temps, ils redoutent de devoir subir une situation d’apartheid (le mot n’est plus tabou en Israël même). Déjà, la loi Etat¬-nation du peuple juif, adoptée par la Knesset en juillet 2018, officialise la discrimination envers les Arabes israéliens.
Point n’est nécessaire d’être devin pour prévoir de nouvelles explosions de violences à Gaza et dans les territoires, dont se nourriront des factions plus radicales que le Hamas. L’Iran soutient le Jihad islamique, à l’origine des récents tirs de roquettes sur le territoire israélien, tandis que la propagande de l’organisation Etat islamique (EI) désigne la reconquête de Jérusalem comme un objectif prioritaire.
Comment affirmer dans ce contexte que la question palestinienne aurait perdu de sa centralité et qu’elle peut être traitée comme un conflit de basse intensité ? Si nombre de pays arabes, préoccupés par les menaces internes qui pèsent sur leurs régimes et par les ingérences iraniennes, se démobilisent, comme l’ont montré leurs réactions laconiques à l’annonce du plan Trump, ce ne sera probablement pas le cas des opinions.
Une Europe spectatrice
Au delà du monde arabe, des pays musulmans ne manqueront pas de réagir à la situation des lieux saints musulmans de Jérusalem qui seront placés sous le contrôle exclusif d’Israël. Une disposition du plan Trump prévoit que l’esplanade des Mosquées sera accessible aux croyants des trois religions qui seront autorisés à y prier, ce qui est contraire à une longue jurisprudence.
Il est temps que le président de la République, qui se réfère à la ligne gaullo-mitterrandienne et fait du multilatéralisme un axe prioritaire de sa politique étrangère, donne sa vision sur le règlement du conflit israélo-¬palestinien, qui passe par le respect de la légalité internationale, dont s’affranchit résolument le président américain, comme sur d’autres dossiers internationaux. Or, le communiqué du Quai d’Orsay donne malheureusement une perception d’un alignement sur la politique américaine.
Rappelons que la France, longtemps à l’avant-¬garde de ce dossier, est à l’origine de la déclaration de Berlin de 1999, qui évoquait la création d’un Etat palestinien « viable et démocratique », avec la perspective de sa reconnaissance « le moment venu ». Le moment n’est-il pas venu ? Il ne s’agit pas de verser dans une initiative gesticulatoire en proposant d’emblée une énième conférence internationale, qui serait immédiatement boycottée par Israël et l’administration Trump, mais de préserver la solution de deux Etats.
Par la voix du président de la République, la France devrait mettre en garde la communauté internationale, et plus particulièrement l’Union européenne, contre le risque majeur pour la sécurité régionale que ferait courir la dégradation de la situation en Cisjordanie et à Gaza. Déjà, M. Nétanyahou a annoncé son intention d’annexer sans attendre toutes les colonies et la vallée du Jourdain. Si un consensus européen à 27 est inatteignable, en raison surtout de l’alignement des pays d’Europe orientale sur les politiques américaine et israélienne, des alliances de circonstance ne sont pas à exclure. Il est urgent de remettre la question palestinienne dans l’agenda diplomatique de l’Union européenne, qui ne doit pas rester spectatrice.
En direction des Palestiniens, un encouragement serait adressé pour que soient organisées des élections présidentielles et législatives, au cours de l’année 2020, sous observation européenne, comme lors des scrutins de 2006. Une fois les nouvelles autorités légitimes installées, la France reconnaîtrait l’Etat palestinien. Nul doute que plusieurs Etats européens (neuf d’entre eux le reconnaissent) suivraient la démarche française. Ainsi, la diplomatie de l’audace et de la prévention, prônée par Emmanuel Macron lors de la dernière conférence des ambassadeurs, trouverait là un champ d’application.
Yves Aubin de La Messuzière
Cette tribune de l'ancien ambassadeur de France en Tunisie a été publiée par notre confrère Le Monde