Belgacem Ouchtati: un homme d’action et d’imagination, bienfaiteur du Nord-Ouest de la Tunisie
Par Monique Longerstay - Belgacem Ouchtati s’en est allé par un triste jour de mars dernier. La maladie l’a arraché à tous ceux qui l’aimaient et qui sont, depuis, dans la peine. Lors de mes premières rencontres avec Belgacem, qui remontent à 1975, j’ai été séduite par son ouverture d’esprit, sa liberté de ton et ses idées à foison.
Mais c’est son amour pour Tabarka qu’il voulait toujours plus grande et plus belle que j’ai le plus apprécié. Un amour que nous partagions et essayions de faire partager depuis bien longtemps. Nous n’avons jamais hésité, au cours de toutes ces années, à nous battre pour rendre à Tabarka, souvent malmenée par ceux-là mêmes qui devraient la servir, son lustre et sa fierté.
Né à Ouchtata, Belgacem est un enfant du pays, de ce Nord-Ouest aux multiples possibles. Il occupa différentes fonctions tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Ingénieur agronome, il enseigna à l’Institut Sylvo-Pastoral de Tabarka, fut président directeur général de la Société nationale de Cellulose et de Papier, à Kasserine, premier délégué du gouvernorat du même nom, chef d’entreprise. Président-fondateur de la société de plongée «Loisirs de Tabarka», membre de la chambre de commerce et d’industrie du N.-O. (CCINO) dont il fut vice-président, membre de l’UTICA, section de Jendouba, où il fut chargé de l’animation touristique et culturelle, il organisa en grande partie les «Tabarka Jazz festival» de 2016 et de 2017. C’est dire s’il fut impliqué dans la vie économique, culturelle et touristique du N.-O. et, particulièrement, de Tabarka, où il avait une résidence.
Une passion partagée
Il fonda en 2012, l’association A.R.C.A.D.E (association régionale pour la culture, l’animation touristique et le développement économique), avec laquelle, mon association, «Le pays vert : la Tunisie du N.-O.», travailla régulièrement, la plupart de nos projets poursuivant les mêmes buts.
La nécessité de désenclaver la région -notre N.-O. à l’identité forte - en l’ouvrant d’abord à elle-même, puis à l’ensemble de la Tunisie septentrionale, à son voisin immédiat, l’Algérie, et enfin à la Méditerranée et donc au monde, nous est apparue comme une évidence.
Je ne peux énumérer ici tous nos projets et nos combats, ils furent nombreux. J’en retiendrai trois, dont le premier fut totalement conçu par Belgacem et qui s’inscrivent parfaitement dans notre démarche commune:
• «Le Lézard vert», son projet-phare et, de tous, le plus attachant.
• Les retrouvailles et les échanges avec les «Galitois» du Lavandou.
• Le rétablissement de liens et d’échanges durables avec les «Tabarchini», descendants des Génois qui, du 16e au 18e siècle, vécurent dans notre île. Ces «Tabarchini » créèrent les villes de Carloforte, jumelée avec Tabarka, Calasetta en Sardaigne et Nueva Tabarca en Espagne, emportant dans leurs nouvelles cités, outre l’amour de notre ville, des traditions culturelles bien de chez nous qu’ils se transmettent de nos jours encore et que nous nous efforçons de faire inscrire au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Des projets de développement touristique, culturel et économique
«Le lézard vert»
Le «Lézard vert» est, de tous ses projets, celui qui lui tenait le plus à cœur et pour lequel il s’est battu pendant nombre d’années. Il tient son nom du «Lézard rouge», le train touristique qui parcourt les gorges de Selja, de Metlaoui à Redeyef, après avoir servi de transport aux beys et à leur cour.
Le projet avait pour but essentiel, en organisant un tourisme écologique, de favoriser le développement économique tout en préservant l’environnement et donc le capital naturel et culturel de la région desservie.
Ce train, pour lequel la SNCF avait accordé un contrat d’utilisation de 15 ans, utilisant la partie de la voie ferrée désaffectée qui allait de Tabarka à Ouchtata, aurait permis à tous les amateurs de randonnées de découvrir, sans s’éloigner longtemps de la mer, les beautés de l’arrière-pays. Des arrêts étaient prévus dans les gares réaménagées de Ras Rajel et d’Ouchtata, où des produits du terroir seraient proposés aux visiteurs par les artisans qui les avaient réalisés. Ces gares seraient le point de départ de circuits pédestres, à vélo, et, en particulier à Ouchtata, en canoë-kayak, voilier, pédalo ou planche à voile. De la gare, on atteint facilement le lac de barrage de Sidi Barrak et partant la mer et la plage. Dans celle de Tabarka, seraient organisés des jeux éducatifs et des parcours d’aventure pour les enfants, ainsi que des activités sportives.
Ce projet n’a jamais vu le jour malgré la passion et l’opiniâtreté que, des années durant, Belgacem a mis à le défendre et malgré le soutien sans faille de quelques-uns. Sans doute pour de multiples raisons, dont la plupart, à tous les niveaux du pouvoir décisionnaire, ne furent pas exemptes de jalousie, de mesquineries et de calculs sordides. Sans doute aussi parce que dans une région dans laquelle on en était encore à une pratique touristique des années soixante, dont la saison ne durait que deux à trois mois au mieux, ce projet « révolutionnaire », semblait un peu fou, difficile à réaliser sur bien des plans.
Une sorte de rêve ? Oui. Mais un rêve auquel on avait envie de croire, un rêve à suivre. Que pourrait-on réaliser sans rêve ?
Je me souviens avoir rêvé avec lui et avec tous les participants au premier forum sur le développement et le tourisme écologique dans le N.-O., organisé à Tabarka, en mars 2013, par le CRSDNO avec le soutien de nos associations. Belgacem nous a emmenés sur le parcours du « Lézard vert », et, en l’écoutant, nous voyions vraiment surgir ici, dans la gare rénovée, les premiers visiteurs, nous sentions les effluves dorées du pain « tabouna » en train de cuire, et là, au bord du lac de retenue, nous apercevions les premiers cyclistes qui revenaient de la campagne et les planches à voile qui filaient au gré du vent. Il était tellement convaincant et son projet était tellement enthousiasmant !
La Galite et les Galitois
Le 4 octobre 2009, c’est Belgacem qui m’a fait découvrir, connaître et apprécier les Galitois. A l’occasion du jubilé auquel j’avais été invitée grâce à lui et que Gil Bernardi, maire du Lavandou, avait organisé en l’honneur de ceux d’entre eux qui étaient venus s’installer cinquante ans plus tôt dans sa cité. J’ai découvert une histoire extraordinaire que je vous raconterai une autre fois, une de ces belles histoires méditerranéennes d’îles et de population sœurs.
C’est grâce à Belgacem qui avait tout organisé, que des dizaines de Galitois ont pu, plusieurs années de suite, revoir ou présenter à leurs petits-enfants La Galite où ils avaient vécu, eux dont les ancêtres étaient venus de Ponza, une île proche de Naples. Et je les écoutais parler en français, en arabe, en dialecte napolitain, évoquer des souvenirs, additionnant tout ce qui fait la richesse de la Méditerranée.
Des projets, écologiques en particulier, ont été proposés par le maire du Lavandou et par les Galitois de sa commune, recrutés par l’APAL pour protéger l’île et participer à sa sauvegarde. Cela ne s’est pas fait, le maire de l’époque n’était pas intéressé. Mais ce n’est que partie remise car les liens ont été renoués grâce à Belgacem et sont solides.
Gênes et les «Tabarchini»
Du 21 au 24 février 2016, «Le Pays vert» avait organisé une série de rencontres auxquelles je participais ainsi que des responsables culturels régionaux et locaux avec les autorités génoises: Marco Doria, maire du grand Gênes, et son staff municipal ; Marco Bucci, président de la région ligure, jumelée avec le gouvernorat de Jendouba, une formidable occurrence de développement, dont nos responsables n’ont jamais tenu compte, et Paolo Odone, président de la CCIG (chambre de commerce et d’industrie de Gênes), un amoureux de la Tunisie. Il allait de soi pour Belgacem de participer à ces rencontres. Il a donc été chargé par la CCINO de la représenter.
Tous les contacts ont été positifs et, comme d’habitude, de nombreuses propositions dans différents domaines culture, (éducation, tourisme…) nous ont été faites. Mais, c’est grâce à la remarquable présentation que Belgacem avait faite des atouts et des besoins de notre région, que la proposition la plus intéressante, car elle concernait le développement économique, a été formulée par le président de la CCIG, Paolo Odone, séduit par ce qu’il avait entendu: une délégation de la CCINO, regroupant tous les domaines d’activités, était invitée à se rendre à Gênes en avril pour présenter les projets qui l’intéressaient. En juin, une délégation de la CCIG devait venir à Béja, siège de la CCINO, et dans la région, pour signer les différents accords retenus. Mais, hésitations, indécision, lenteurs administratives aidant, ce n’est qu’en plein été qu’une dizaine de projets ont pu être bouclés. L’organisation du déplacement prenant du temps, le RV de Gênes ne pouvait avoir lieu que fin septembre. Entretemps, le gouvernement italien a décidé de procéder à une vaste restructuration des chambres de commerce et la rencontre a été reportée…Encore une occasion de développement et de création d’emplois en simple devenir.
Et si nous nous mettions tous ensemble au service du N.-O.?
Il faudrait désormais, en souvenir de Belgacem, que nous qui vivons à Tabarka, y travaillons, y venons en visite ou simplement l’aimons, nous unissions et travaillions ensemble dans l’intérêt de notre ville, de nos concitoyens et de notre région.
Nous attacher à ce qui nous rassemble et non à ce qui nous sépare est le plus beau des programmes et le plus bel hommage que nous puissions rendre à Belgacem Ouchtati.
Monique Longerstay
Présidente de l’association «Le pays vert : la Tunisie du N.-O.»
Citoyenne de Tabarka.