Justice sociale en période de pandémie: L’Etat tunisien doit agir vite en étant juste
La crise sanitaire qui frappe de plein fouet une Tunisie à bout de souffle est un fait indéniable. Bien avant l’arrivée du virus, les clignotants étaient déjà tous au rouge vif.
La situation politique se caractérisait par un accouchement difficile et dans la douleur d’un gouvernement. Un processus qui a mis presque six mois pour déboucher sur la désignation d’un gouvernement qui n’a eu la confiance du parlement (et pas encore celle du peuple) que quasiment six mois après les élections législatives.
La situation économique elle, était quasiment intenable. Nous devions rembourser des dettes à une échéance imminente (avril 2020), le Fonds Monétaire International allait nous refuser le décaissement d’une tranche du crédit dans le cadre du programme de mécanisme élargi du crédit. La croissance annuelle était de l’ordre de 1%, une inflation toujours galopante (autour de 7.5%) et un déficit mirobolant de la balance commerciale.
La pandémie a donc trouvé une situation économique aussi virale qu’elle. La grogne sociale commençait à se faire entendre et la patience des tunisiens s’essoufflait.
Face à cela l’Etat confronté à la pandémie avec les moyens qui sont le siens, n’a pas beaucoup d’alternatives. Il doit fonctionner, agir, anticiper. Bref jouer son rôle.
Dès la mi-mars, l’Etat tunisien a commencé par prendre des mesures à objectif sanitaire et à répercussion économique. Fermeture des cafés à partir de 16h, fermeture de l’espace aérien, couvre feu nocturne commençant à 18h, pour ensuite décréter un confinement général à partir du 22 mars 2020.
Ses décisions privent une grande majorité de tunisiens de travail et de revenus. A cela, il fallait remédier et c’est ainsi que l’Etat avec les moyens dont il dispose, a décidé des aides à certaines catégories. (On parle de la distribution d’aides à hauteur de 200 dt pour les plus nécessiteux).
Les ressources de l’Etat sont et seront encore insuffisantes au fur et à mesure que durera l’épidémie et bien au delà, cela est indéniable. C’est dans ce sens que je propose plusieurs pistes de réflexion que les dirigeants pourront étudier en fonction d’un spectre plus large que le mien. (données disponibles, faisabilité politique, difficultés d’application…).
Tout d’abord, je suggère d'associer les fonctionnaires à l’effort national. Le confinement général fait que cette catégorie qui jouit de la sécurité du revenu, s’est vu et se verra rémunéré alors même qu’elle ne travaille pas. Pour éviter un enrichissement sans cause, je propose de ponctionner les salaires (à partir d’un certain seuil) d’une certaine somme, (100 dinars par exemple) comme contrepartie des dépenses épargnées. Les fonctionnaires ont certainement pu éviter les dépenses de transport en tout cas. Les rémunérer à 100% du salaire me paraît injuste.
Sur les 700.000 fonctionnaires que compte la Tunisie, les sommes peuvent être considérables. Cet argent servira, non pas à l’Etat mais à aider les plus démunis.
Cet effort, peut aussi être applicable aux employés du secteur privé, en tout cas aux grands groupes, comme les banques et les compagnies d’assurances qui fourniront à l’Etat la liste du personnel n’ayant pas eu à se déplacer ou très peu. Il peut aussi s’appliquer aux entreprises publiques et même au personnel des caisses sociales.
Il ne s’agit pas d’une quelconque discrimination. Les travailleurs du privé ont souvent perdu tout revenu et devront à la fin du confinement s’acquitter des impôts et de différentes charges sociales et autres. Dans un souci de justice sociale, il serait souhaitable de faire contribuer ceux qui ont la certitude du revenu pour les besoins de ceux qui ont la certitude de la pauvreté.
Une autre piste de réflexion dans ses temps d’urgence, est celle qui consiste à taxer les hauts revenus, à taxer l’épargne. Nous pouvons prévoir une taxation « exceptionnelle » des revenus de l’inactivité.
Agir ainsi, ne freinera pas l’investissement. Nous ne toucherons pas au travail mais nous agirons seulement sur des revenus disponibles. Certes, il faudra réfléchir sur le taux de cette taxation et sur le seuil à partir duquel elle pourra être actionnée. Je pense que, prévoir une taxe de 10% sur les revenus de l’épargne supérieurs à 20.000 dt est une proposition raisonnable. Avec les taux de rémunération que proposent les banques et qui tournent autour de 10%.
Seuls les placements de plus de 200.000 dt subiront une décote. Et cet argent ira directement pour les plus démunis. (Même si ce prélèvement peut être vu comme décourageant ceux qui ont épargnés et se sont privés pour le faire.)
Il s’agit pour l’Etat tunisien de trouver le juste équilibre entre relance économique et justice sociale. Ce n’est plus une option mais une nécessité.
Mahmoud Anis Bettaieb