Jamel Gamra: Le post Covid-19, des opportunités de reconfiguration?
Il ne s’agit pas de mettre l’entreprise entre parenthèse tout au long de la période que durera la réclusion sanitaire, mais de la reconfigurer, totalement s’il le faut pour appréhender le Nouveau monde qui va naître ! C’est la thèse que développe Jamel Gamra. Ancien ministre du Tourisme et de l’Artisanat (de mars 2013 à janvier 2014), PDG de la CTN et chef d’entreprises dans les Tics et la logistique, il s’était installé ces dernières années au Canada. Parallèlement à se activités professionnelles, il y finalise une thèse de doctorat en BDA système d’information et méthodes quantitatives, à l’Université de Sherbrooke au Canada. Il devait être nommé ministre du Transport et de la logistique dans le gouvernement avorté de Habib Jemli.
«Les entreprises (selon leurs natures et spécificités), écrit-il, se doivent d’une part de reconfigurer leurs ressources internes d’une manière conséquente pour répondre aux nouvelles exigences, et de développer d’autre part des ponts de collaboration entre elles, permettant une reconfiguration de leurs ressources collectives en vue de répondre à des demandes qu’elles ne peuvent affronter individuellement. C’est le moment ou jamais où les entreprises tunisiennes doivent s’unir et engager des actions communes pour répondre collectivement aux demandes nationales et développer une vision commune pour le développement à l’international dont elles ont si souvent rêvé. C’est l’occasion pour l’UTICA de lancer «l’UTICA international» avec des ambitions purement tunisiennes, sans interférences ni ingérence d’intérêts venus d’ailleurs.» Analyse
Nos arrière-petits-enfants apprendront dans leurs cours d’histoire du monde, que leurs arrière-grands-parents ont vécus - ou péri - pendant la pandémie du virus Covid-19 de l’année 2020. Nous sommes témoins aujourd’hui d’un moment rare, voire unique, de l’histoire de l’humanité.
Au lendemain de cette crise, le réveil du monde se fera sur un paysage entièrement remanié: un nouveau leadership pour le monde, une Europe disloquée, des États submergés et préoccupés par leurs soucis internes, perte des illusions, slogans démasqués. Face à ce nouveau paysage du monde s’agira-t-il pour nous de nous remettre à reconstruire ce que nous avons perdu, ou bien de saisir cette opportunité pour penser à la reconfiguration profonde de nos ressources en prenant en considération les environnements proches et immédiats. La question est posée. Sur quel pied repartir après cet arrêt forcé qui nous permet aujourd’hui de raisonner en dehors du tourbillon continu de la vie fortement imprégné par la mondialisation.
Les historiens reportent que tout au long de l’histoire de l’humanité, les pandémies qui ont balayé la majeure partie du globe et atteint la grande majorité de ses populations, se comptent sur les doigts d’une main. Elles n’ont pas affecté seulement la santé des personnes, mais également divers secteurs de la vie, touchant ses aspects sociaux, économiques, scientifiques, religieux...
En quelques semaines, la pandémie du Covid-19 a brutalement freiné la production et la demande et paralysé l'économie mondiale et nationale. Ce freinage, associé aux perturbations des marchés financiers et de l’énergie, et à la stagnation de l'économie depuis quelques années, a résulté en un tableau économique très compliqué pour notre pays. Les politiciens se sont hasardés au début de la crise pour lancer des messages d’apaisement, arguant que ce ne sera que l’affaire de quelques semaines pour que la crise soit circonscrite.
Nous faisons face à un phénomène très rare, dont l’analyse pluridisciplinaire est de prime abord difficile et compliquée. Dans une lettre publiée ce mois d’avril dans le New England Journal of Medicine, Bill Gates a lancé un appel d’urgence aux scientifiques pour redoubler d’efforts, et à la communauté internationale pour accélérer les investissements dans la recherche et le développement afin de cerner le problème et aboutir aux bonnes décisions. D’autres intellectuels et responsables économiques lancent quant à eux des cris d’alarme quant aux bouleversements que va produire cet évènement sur l’humanité tout entière.
Devant cette difficulté, et vu qu’il n’existe aucun autre cadre (théorique) de référence permettant l’analyse de ce phénomène, nous allons essayer de l’analyser à travers les évènements similaires qui ont émaillé l’histoire de l’humanité.
Toutes les pandémies qui ont balayé le monde ont marqué la fin d’une époque et le début d’une nouvelle ère:
1- La peste Antonine qui s'est propagée en l’an 165 à Rome, en Italie et dans la plupart des pays romains, alors que l'État romain contrôlait un large territoire couvrant la mer méditerranée, l’Afrique du Nord, l'Europe du Sud et l'Espagne. Elle a affaibli l'État romain occidental et conduit à son effondrement. Elle a aussi déclenché l'effondrement des religions romaines au profit de la religion chrétienne.
2- La peste de Justinien qui a frappé l'État byzantin de 541 à 543. Elle a pris naissance en Égypte et s’est propagée ensuite à Constantinople en Anatolie et dans un certain nombre de ses régions. Elle a gravement affaibli les empires byzantin et persan, et anéanti près de la moitié de la population de Constantinople. Elle s'est déplacée vers les différents ports européens et frappés l'humanité entraient une hécatombe qui n’a pris fin qu’après plusieurs années. La peste Justinienne a marqué la fin de l'État byzantin et la naissance de l’islam. Cette peste est réapparue en 630 dans la ville d'Emmaüs en Palestine et elle a continué à représenter le fléau le plus dangereux de tous les temps, se manifestant par plusieurs vagues jusqu’à la survenue de la plus grande peste connue par l'humanité «la mort noire» (Black death) 800 ans plus tard.
3- La grande peste du 14e siècle appelée ‘mort noire’. Il a été rapporté qu’elle a envahi le globe, tuant 40% de la population chinoise et réduisant d’un tiers la population de l’Europe. Elle a quitté l'Asie pour l'Europe et son voyage a duré plusieurs années, sur les routes commerciales lentes de l’époque. Il aura fallu à l’humanité deux cents ans pour remplacer ses morts qui ont péri dans cette épidémie. Elle a marqué la fin du Moyen Âge en Europe et le début de la Renaissance. Elle a été à l’origine de la naissance de l’État moderne et de l’esprit scientifique.
4- La grippe espagnole, de 1918 à 1920, juste après la fin de la Première Guerre mondiale. Elle a été causée par le virus H1N1 et on estime à 500 millions le nombre de personnes qui ont été infectées et au moins à 70 à 100 millions ceux tuées dans le monde, soit un taux de 20% à 30% des personnes atteintes. Ce taux est bien moins important que celui de la peste noire qui était de 90%. Le même virus est resté ensuite comme facteur d’une grippe saisonnière, jusqu'à ce qu'il se reproduise dans la grippe porcine en 2009.
5- Le COVID-19. En décembre 2019, un virus de la famille Corona frappe violemment et secoue le monde: tout d’un coup, le monde se réveille sur une nouvelle réalité: la grande majorité de la population de la planète est confinée, les grandes villes du monde sont désertes, la vie économique quasiment paralysée, les mosquées, les églises et tous les lieux de culte sont fermés, les continents et les pays déconnectés, les avions cloués au sol et les moyens de transport maritime et terrestre immobilisés. Le voyage, le tourisme et la quasi-totalité des activités économiques paralysées. Les Jeux olympiques reportés, ce qui ne s’est produit auparavant que lors des deux guerres mondiales.
Près de quatre mois après l’éclosion de la crise, plus de 1 500 000 personnes ont déjà été infectées et plus de 95 000 décédées.
Personne n’a jusqu’à présent pu prédire son ampleur, à l’exception des politiciens en exercice, qui tentent d’être rassurants et de donner l’impression d’une situation sous contrôle. Si on essaie de la lire à travers l’histoire des rares pandémies qui l’ont précédée, il est possible de prédire une grande rupture qui germe en ce moment même. Tout comme celles qui l’ont précédée, la pandémie du Covid 19 semble porteuse d’un changement majeur à venir dans la vie de l’humanité, et la sortie de crise se fera sur un visage du monde qui ne ressemblera plus à ce que nous avons connu jusque-là.
Ce constat nous paraît évident, et est d’ailleurs affirmé par de nombreux intellectuels philosophes, politiciens et personnalités éclairées de notre époque. Pas plus tard que la semaine dernière (début avril), Henri Kissinger, l’ancien secrétaire d’État aux Affaires étrangères des USA, dans un article paru dans le Wall Street Journal, a prédit que « les dommages causés par l'épidémie du nouveau virus Corona pouvaient être temporaires, mais que les troubles politiques et économiques qu'il avait déclenchés pouvaient durer de nombreuses générations ».
Jacques Attali, théoricien, économiste et sociologue français, écrivain, conseiller politique et haut fonctionnaire français, parlant de la pandémie du virus Corona, a rappelé il y’a quelques jours que «chaque épidémie majeure, depuis mille ans, a conduit à des changements essentiels dans l’organisation politique des nations, et dans la culture qui sous-tendait cette organisation»
Dr Talal Abu-Ghazaleh, intellectuel et homme d’affaires jordanien, conseiller auprès d’organisations internationales telles que l’ONU, l’OMC l’OMPI, a évoqué depuis 2017 déjà, une grande crise économique mondiale qui allait affecter le monde en 2020. Vivant la pandémie actuelle, il se réjouit de la réalisation de ses prédictions tout en s’inquiétant des changements dramatiques majeurs qu’elle va imprimer au système économique mondial.
Sommes-nous donc en train de vivre le début de la fin de la mondialisation et du déclin du nouvel ordre économique mondial qui ont été initiés après la dernière pandémie du siècle dernier, et l’apparition d’une nouvelle ère?
La mondialisation à l’agonie, un Nouveau Monde en gestation
La mondialisation, tel qu’elle nous a été vendue, fait face aujourd'hui à un danger imminent. Le virus Corona invisible qui, en seulement quelques jours, a réussi à rabattre toutes les barrières et à entraver si durement tous les rouages. Ce premier grand test de crédibilité a été suffisant pour ébranler le système, faire tomber les masques, et battre magistralement en brèche les «vertus» de la mondialisation. Celle-là même, qui nous a été présentée comme une aubaine universelle pour «le développement des relations interdépendantes entre les nations, transcendant les barrières physiques et géographiques».
Face à la pandémie du Covid-19, l’Italie et l’Espagne se sont trouvés lâchés par leurs voisins et partenaires de l’Union européenne. La solidarité européenne a fait défaut, et les pays du sud se sont pour leur part retrouvés seuls et peut armés face à leur tragédie. Et ce sont paradoxalement Cuba, la Chine et la Russie qui leur portent assistance.
Le président des États-Unis a publiquement boqué des livraisons de matériel médical, y compris à ses voisins canadiens ! Il use de menaces publiques ceux qui ne lui fourniraient pas de suite ce dont les USA ont besoin. Au mépris des besoins de tout autre pays, fut-il un allié ou ami.
Plusieurs actes de piraterie ont été commis par les états les plus riches et les plus puissants pour s’accaparer de commandes de masques ou de respirateurs fabriqués en Chine. Les USA viennent de détourner des commandes de masques destinés à la France et l’Allemagne en quadruplant le prix d’achat et en payant au comptant. La mythe de la mondialisation vole ainsi en éclat, n’ayant pu faire la preuve d’aucun de ses effets vertueux qu’elle nous a si longtemps fait miroiter. Ses «valeurs universelles» s’étant avérées n’être que des slogans creux, aucune tentative commune pour mettre en place une stratégie mondiale en vue de combattre la pandémie. Le seul principe suivi est sauve-qui-peut et chacun pour soi. Des lois nationales sont promulguées à la va-vite, spécialement pour la cause. C’est le cas notamment de la loi promulguée dernièrement par le Président Trump, interdisant l’exportation du matériel médical des USA.
Force est de constater donc que la solidarité internationale s’est réduite comme une peau de chagrin et que l'égoïsme nationaliste a carrément explosé. Ces tendances sont les précurseurs de dislocations, et notamment au sein de l’Union européenne, premier partenaire économique de la Tunisie. Ce qui va apporter un facteur d’accentuation au phénomène de rupture chez nous.
Ceci est le premier constat. Le deuxième concerne le délai de la crise. Nombreuses études excluent l’éventualité d’une issue rapide à la pandémie. Le monde va par conséquent tendre à renforcer son cloisonnement, et les pays qui n'ont pas encore fermé leurs frontières et n’ont pas imposé de restrictions lourdes sur le déplacement des personnes et des marchandises y viendront très prochainement. Cette pandémie se propage en effet à une vitesse vertigineuse, acculant le monde entier à entrer simultanément dans un état de stagnation et d'isolement. Une situation jamais vue auparavant, qui ne va malheureusement pas durer une ou deux périodes de quatorze jours, mais bien plus longtemps.
Ce sont là deux réalités qu’il conviendra d’admettre, et sur lesquelles il faudra communiquer: le monde ne reviendra plus à l’état où il était avant Covid-19, et la période de sa transformation ne sera pas brève.
Que faire face a cette rupture ?
Il a été démontrer à l’échelle de grandes entreprises que ce sont celles qui disposent de capacités dynamiques, construites et développées préalablement à la rupture qui ont su maîtriser le changement et pu générer de la valeur. Nous pensons pouvoir extrapoler cette règle à l’échelle des pays. L’acquisition de capacités dynamiques requiert de développer simultanément trois éléments: (1) une veille permettant de voir venir les changements (2) une grande capacité à capter et saisir les opportunités qui seront générées par la rupture, et (3) l’aptitude à reconfigurer les ressources internes et éventuellement externes pour passer à l’action et créer de la valeur sur le terrain.
Cette fois avec le Covid-19, aucun système de veille n’a vu venir la pandémie. La détection des nouvelles opportunités est, de ce fait, rendue difficile, brouillée et limitée à un champ de très court terme. Tout le monde s’est replié sur soi avec un égoïsme largement exacerbé.
Quid de notre situation en Tunisie? Au vu de la réalité du monde et de nos partenaires économiques, il faudra s’attendre à ce que la rupture affecte tous les liens que nous entretenions avec eux, et ce à l’échelle des pays, des entreprises et des citoyens. Ils vont tous se retrouver dans un état d’impuissance, et nous ne pourrons alors compter que sur nos propres ressources que nous devrons savoir sauvegarder d’une part, et d’autre part, bien négocier le virage de leur reconfiguration. Nous affronterons la réalité de cette manière, car nous sommes convaincus que l’Histoire entame en ce moment même un tournant radical, établissant de nouveaux modèles pour la société, l'économie et la politique. Persévérons entre-temps, dans la foi en nos capacités, et engageons une réflexion profonde sur la reconfiguration de nos ressources. Je dis bien ‘reconfiguration’ et non pas ‘reconstruction’ ou ‘résilience’ car la reconstruction comme la résilience supposent un retour à la situation initiale, celle de l’avant-rupture. Or, nous partons avec la conviction que le monde évolue vers un nouveau modèle dont nous ne connaissons pas encore les contours, et qui sera différent de ce que nous avons vécu jusque-là. Le peu de choses que nous en savons, c’est qu’il va rompre avec l’individualisme et les droits des individus, les uns contre les autres : les femmes contre les hommes, les enfants contre les parents, les minorités, visibles et invisibles, contre les majorités, etc. Il sera fondé sur une autre autorité et un autre système de valeur.
Parlons reconfiguration des ressources:
La reconfiguration des ressources consiste à remettre en cause les configurations existantes tant au niveau des structures publiques, privées que sur le plan de l’individu et de la communauté, d’une manière objective et rationnelle. Elle doit focaliser sur les secteurs essentiels à la vie des Tunisiens et se baser sur leur créativité et leur dynamisme. S’agissant d’un défi national vital, cette fois-ci, ces derniers vont être responsables (accountable) d’efficacité et d’efficience et doivent faire preuve de leur engagement réel sur les valeurs de patriotisme, de compassion, d’empathie, dont on parle depuis longtemps. D’une manière concrète et en nous limitant au secteur économique, la reconfiguration des ressources se traduira sur trois niveaux : celui du gouvernement, de l’entreprise et du citoyen.
Le gouvernement doit identifier et inventorier les vraies ressources productives du pays, en se libérant de la querelle historique animée par le débat très nourri entre les économistes libéraux et keynésiens. L’heure est à l’efficacité et l’efficience. Les secteurs économiques que l’État a toujours pris en charge et dont certain qu’il n’a jamais réussi à privatiser, doivent être réévalués et restructurés dans une optique de reconfiguration globale des ressources publiques et privées disponibles, afin répondre aux exigences du nouveau contexte. Les secteurs de la santé, de la recherche scientifique, du transport, de la logistique, de l’agroalimentaire, de la construction et bien d’autres sont concernés. Le gouvernement tunisien a la possibilité de réaliser cela par des stratégies d’innovation et de collaboration avec le secteur privé, sans s’éloigner des valeurs spécifiques des structures publiques, des motivations particulières du secteur privé et des cadres réglementaires. C’est le cadre dans lequel on pourra voir Tunisair, la CTN, la STAM… s’associer avec des entreprises tunisiennes du secteur privé de leur secteur d’activité. La reconfiguration de leurs ressources et compétences collectives donnera à nos entreprises publiques de nouvelles ailes pour engranger le dynamisme et l’efficacité exigés par la communauté. De même pour les secteurs du phosphate, de l’énergie, du tourisme, etc. pour lesquels de nouvelles opportunités verront le jour pour définir les stratégies appropriées au nouveau contexte et basée sur leurs propres ressources et potentialités.
Il ne s’agit là ni d’un retour à l’État-providence ni d’une fuite vers la privatisation à outrance, mais d’une rationalisation à travers la reconfiguration des ressources nationales disponibles, motivée par l’intérêt national et la nécessaire quête d’efficacité maximale. Et dans laquelle l’État jouera son rôle de locomotive pour l’économie qui propulse harmonieusement les différents opérateurs vers une intégration optimale des moyens.
Les entreprises (selon leurs natures et spécificités) se doivent d’une part de reconfigurer leurs ressources internes d’une manière conséquente pour répondre aux nouvelles exigences, et de développer d’autre part des ponts de collaboration entre elles, permettant une reconfiguration de leurs ressources collectives en vue de répondre à des demandes qu’elles ne peuvent affronter individuellement. C’est le moment ou jamais où les entreprises tunisiennes doivent s’unir et engager des actions communes pour répondre collectivement aux demandes nationales et développer une vision commune pour le développement à l’international dont elles ont si souvent rêvé. C’est l’occasion pour l’UTICA de lancer «l’UTICA international» avec des ambitions purement tunisiennes, sans interférences ni ingérence d’intérêts venus d’ailleurs.
Des pays industrialisés comme le Canada, la Belgique, la Turquie, disposant de beaucoup plus de moyens que nous, sont déjà entrés en mode «reconfiguration de ressources» et sont passés à la concrétisation de ces politiques. Animés par l’intérêt national d’abord, ils encouragent le rapprochement de leurs opérateurs économiques et les incitent, plus que jamais, à coopérer et à tirer profit de cette rupture pour rattraper les retards qu’ils ont accusés, notamment dans la digitalisation et l’adoption des technologies numériques. Le télétravail, à titre d’exemple, n’a jamais connu l’engouement que nous observons ces dernières semaines.
Les citoyens, vers lesquels les stratégies publiques et privées sont orientées, ont eux aussi un rôle important à jouer. Sur le plan individuel, les familles doivent adapter leur mode de vie et reconfigurer les ressources réelles auxquelles elles ont accès, pour les accommoder au nouveau contexte de récession et de crise majeure. Il n’y a pas de fatalité, il s’agit d’une question d’organisation et de retour à la nature simple des choses, loin du gaspillage et du superflu. Ils doivent réintégrer les valeurs du partage et de l’empathie, et se positionner en communauté et non en individus éclatés. Il va de soi que ceci affectera leur vie quotidienne et les amènera à changer radicalement leurs comportement et mode de vie.
La société civile a également un rôle important à jouer. Situées entre les décideurs (publics et privés) et les masses citoyens, ses structures intermédiaires, que sont les syndicats et les associations, constituent des acteurs-clés de la vie sociale au sein du nouveau modèle en construction. Les syndicats doivent assurer des fonctions constructives au contact de la population, pour peu qu’elles renoncent à certaines pratiques pas toujours raisonnables et parfois à la limite de leur rôle premier. Ce qui ne pourrait que contribuer au renforcement de leur crédibilité et de leur engagement. Avec les associations de la société civile, ils joueront le rôle de contre-pouvoir, capable de proposer des solutions. Ce sont eux qui contribueront grandement à la sensibilisation de la population à la nouvelle culture de partager, d’optimisation de la gestion des ressources, de consommer local. En bref, favoriser l’adoption des nouvelles attitudes compatibles avec le paysage reconfiguré.
Conclusion
L’humanité finira par gagner la guerre contre le Covid-19. Les premiers à s’en sortir montreront les prémisses du nouvel ordre mondial post-Corona. Il s’agira pour nous de relever le défi de compter sur nos propres ressources en nous efforçant à les reconfigurer de la façon la plus optimale. C’est ce qui nous permettra de sortir de la crise et de rétablir notre bien-être économique et stratégique dans le nouveau système, et ainsi créer une nouvelle Tunisie.
Les valeurs de patriotisme, de partage, de solidarité, de discipline et de sérieux, dont nous avons si souvent regretté la quasi-disparition, nous sont aujourd’hui plus que jamais indispensables. Entre-temps, la récession économique mondiale a de grandes chances (ou malchances) de se poursuivre et de nombreux pays, de notre environnement proche, pourraient subir des dommages considérables, la rupture provoquée par la pandémie du Covid-19 finissant par déstabiliser leur système économique.
Jamel Gamra
Doctorant chercheur en stratégies de rupture (DBA)
Université de Sherbrooke – Canada