Tunisie - Les questions qui fâchent: prix, salaires et pouvoir d’achat
Par Habib Touhami - Dans quelques semaines tout au plus, le Président de la République et son gouvernement seront conduits à rechercher un accord avec les partenaires sociaux sur les prix, les salaires et le pouvoir d’achat. Sans cet accord, l’exécutif ne pourra pas honorer ses engagements éventuels auprès des partenaires étrangers et des institutions financières internationales ou alors il devra passer en force au risque de déstabiliser le pays et d’aggraver ses problèmes économiques et financiers. Il ne pourra pas non plus assainir les finances publiques, maîtriser l’endettement et trouver des solutions pérennes au déficit des caisses de sécurité sociale sans déclencher une grave crise sociale dont les dégâts dépasseront, et de loin, les dégâts de la crise politique et institutionnelle en cours.
Cependant, l’établissement de cet accord va être difficile à réaliser. Outre la réticence de certains acteurs socioéconomiques à faire revivre une politique contractuelle en hibernation depuis presque quarante ans, il n’existe pour l’heure aucun consensus sur les instruments de mesure et d’évolution des prix, des salaires et du pouvoir d’achat. En effet, l’indice des prix à la consommation (IPC) de l’INS, censé mesurer l’inflation, est sérieusement mis en cause, aussi bien par les syndicats que par certains spécialistes et universitaires. De surcroît et en dehors d’un texte lapidaire datant de 1974, il n’existe aucun accord entre le gouvernement et les partenaires sociaux sur les mécanismes d’ajustement des salaires en fonction des prix. Sans militer expressément pour l’adoption de la «scala mobile», on doit pouvoir rappeler ici que le salaire est un prix lui aussi et qu’il est inadmissible alors de laisser courir tous les prix sauf celui du travail.
S’agissant du pouvoir d’achat, le problème est nettement plus complexe. Le pouvoir d’achat d’un salaire ou d’un revenu correspond schématiquement à la quantité de biens et services que ce salaire ou ce revenu permet d’acquérir. Il est par nature différent selon la catégorie socioprofessionnelle, le milieu ou la tranche de dépense. Son évolution dépend de l’évolution de deux paramètres, le niveau des prix d’une part, le niveau des salaires et des revenus d’autre part.
Pour la Comptabilité nationale, l’évolution du pouvoir d’achat des ménages se mesure par la différence entre l’évolution des revenus des ménages et l’inflation. Si les revenus augmentent moins lentement que l’inflation, il y a baisse du pouvoir d’achat ; s’ils augmentent à un rythme supérieur à celui de l’inflation, il y a augmentation du pouvoir d’achat. Or la mesure des deux paramètres est jugée insatisfaisante ou inopérante.
C’est dire que toute négociation sérieuse sur les prix, les salaires et le pouvoir d’achat doit être précédée d’un accord sur les instruments de mesure des agrégats évoqués sinon elle n’aboutira à rien d’acceptable et de vraiment consistant. Il serait dommageable pour la concorde nationale d’esquiver ce problème ad vitam aeternam au nom de l’urgence ou de la complexité comme il serait dangereux pour la paix civile de signer un accord avec le FMI, la BM ou d’autres partenaires étrangers sans s’accoter solidement sur un compromis socioéconomique national qui répartirait plus équitablement et le revenu national et les sacrifices à consentir par chacun pour sortir le pays de la situation catastrophique dans laquelle il se trouve.
Habib Touhami