Congrès électif de l’Ugtt : sincères félicitations !
Par Azza Filali - A Sfax, du 16 au 18 février, s’est tenu le congrès électif de l’Ugtt. Il y’a quelques mois, un congrès fantoche, réuni à Sousse, avait démocratiquement amendé l’article 20 du statut de la centrale syndicale, permettant aux membres du bureau exécutif de se présenter trois fois, au lieu des deux élections réglementaires. Dès lors, ces messieurs ont pu prolonger leurs prérogatives pour la troisième fois. Dans cette distorsion légalisée au règlement interne, M. Taboubi était soutenu par plusieurs secrétaires généraux adjoints : Sami Tahri, Samir Cheffi, Hfaidh Hfaidh, Anouar Ben Kaddour. La réélection des membres du bureau s’est même faite à une écrasante majorité : 96%. Un chiffre qui nous rappelle les souvenirs de carte postale de l’ère Ben Ali (et sans doute, le traficotage, par notre belle Isie, de certains résultats électoraux plus récents). Seul un secrétaire général adjoint, M. Mohamed Ali Boughdiri, s’est opposé à la procédure adoptée au congrès de Sousse, dénonçant lors d’une conférence de presse, les pressions exercées tant sur les membres du bureau exécutif que sur les adhérents. Au vu de « l’air du temps », la question qui se pose est : « que gagne l’honorable citoyen à cette prise de position ?
Relevons que trois femmes figurent parmi l’ancien-nouveau bureau exécutif. Que ce soit au sein du gouvernement ou dans le bureau exécutif de l’Ugtt, les femmes se comptent par deux ou trois, un nombre décoratif. Vous vouliez des femmes, en voilà trois ! C’est mieux que zéro, n’est-ce pas ? Trois cerises sur le gâteau syndical ! Petit clin d’œil à la fameuse égalité des genres, devenue une farce, même pas rigolote…
De la part de la classe politique, la reconduction du bureau exécutif de l’Ugtt a été marquée par un silence poli. Cà et là, quelques félicitations discrètes ont applaudi une centrale syndicale qui a eu la sagesse de maintenir son bureau exécutif inchangé, afin d’affronter les turbulences traversées par le pays. Ne dit-on pas que c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes ?
On prétend aussi qu’il ne faut pas changer une équipe qui gagne, ce qui suppose que l’Ugtt est une équipe qui gagne, qui a gagné, ou est sur le chemin d’une hypothétique victoire. Quelle victoire exactement ? Les propositions de dialogue, émises par M. Taboubi, ont fait l’objet d’un silence absolu et sans recours, un silence de congélateur, de la part du président de la république.
Les félicitations des uns, le silence des autres, tout cela ne suffit pas à faire oublier l’entorse grave faite à l’article 20 du statut de l’Ugtt, entorse qui a permis la réélection de Mr Taboubi à un troisième mandant. C’est le même procédé qui a permis au constitutionaliste qui nous préside d’interpréter librement l’article de la constitution, un certain 25 juillet. On peut considérer que le mot ‘entorse’ n’est pas le bon et que, pour l’Ugtt, le changement de l’article 20, a procédé d’une décision démocratique : modification démocratiquement votée, approuvée par tous les membres du bureau exécutif. Mais, on ne peut s’empêcher de fleurer, derrière la façade des mots, quelques relents d’arrangement astucieux, combinés bien au chaud, à l’abri des regards. Et qu’on ne vienne pas nous parler de décision démocratique ! La démocratie est un mot qui a été accommodé à tellement de sauces qu’il est devenu totalement indigeste ! Désormais, tout citoyen sensé doit être sur ses gardes lorsqu’il entend ce mot !
Ernesto Sabato, écrivain Argentin, disait : « c’est incroyable à quel point la cupidité, l’envie, la prétention, l’avidité, forment la condition humaine ! » Mais oui, ces belles ‘qualités’ se promènent chez nous, à peine cachées sous des politesses qui ne trompent plus personne. Si vous n’en êtes pas convaincu, regardez donc la jolie photo, montrant Mr Néjib Chebbi, assis aux côtés de Rached Kheriji-Ghanouchi et riant aux plaisanteries du cheikh sur le président Kais Saied. Plus bas, sur la même photo, le sire Jawhar Ben Mbarek participait aussi à la rigolade ! Il est des instants qui vous démolissent une vie : qu’après des décennies de combat et de sacrifices pour la liberté, Néjib Chebbi en vienne à s’assoir à la droite de Ghanouchi, voilà de quoi rire, pleurer, ou s’en tenir au mépris comme seule devise… Pareille photo n’est justifiée par aucune cause ! Aucun combat ne mérite un voisinage aussi honteux, surtout pas la prétendue « lutte contre l’inkilab » du 25 juillet. Et après, on crie, à corps et à cris, que le président a perverti l’article 80 de la constitution, le rendant malléable et corvéable à souhait ! Et après, on s’étonne que M. Taboubi arrange l’article 20 du statut de l’Ugtt selon son intérêt. Renier la loi ou la soumettre à son bon plaisir voilà, désormais, un sport national, particulièrement juteux dans nos sphères politiques.
Ce n’est pas chez ces messieurs, si démocrates, si sincères, qu’il faut chercher des solutions pour le pays. D’ailleurs le pays, lui-même, s’en fiche : quel citoyen, en dehors du cercle restreint des syndiqués militants ou de quelques personnes, suivant de près les agissements de politique politicienne, qui d’autre, dans le vaste champ de la population, se préoccupe du congrès de l’Ugtt et de la réélection de Mr Taboubi ? Infiniment peu de Tunisiens, en vérité. La majorité ploie sous une vie quotidienne insalubre et n’a pas la tête à cela. Ni la tête, ni l’envie de consacrer du temps à ces micmacs qui semblent se produire en terre étrangère !
Avec la « falsification démocratique » du statut de la centrale syndicale, voilà une nième citadelle qui rejoint publiquement et sans états d’âme, le cartel des corrupteurs et des corrompus. Que ceux d’entre vous qui avaient la naïveté de croire encore en l’Ugtt de Farhat Hached, ou celle de Mohamed Ali Hammi, perdent leurs illusions : les institutions ne sont rien sans les Hommes qui les servent, et la génération de Hached et ses camarades, a plié bagage, sans retour.
Maintenant que M. Taboubi a assuré son poste, il sera certainement plus conciliant avec les exigences du FMI et apposera sa signature sans problèmes sur des décisions comme la réduction de la masse salariale, le gel des recrutements, celui des augmentations de salaires dans la fonction publique. Il pourra même « envisager » la participation du secteur privé dans des institutions publiques qui agonisent.
Si vous voulez juger un individu ne le croyez pas sur les slogans éculés qu’il éjecte du haut d’une tribune, ou sur un plateau télé. Suivez-le lorsqu’il peaufine ses petites magouilles derrière des portes fermées. Portes si bien fermées que démocratie et honnêteté restent dans le couloir ! Après avoir arrangé leurs affaires, ces messieurs ouvrent la porte, reprennent la démocratie qui traînait encore dans le coin, et s’en vont bravement faire leur déclaration à la presse qui attend dehors. Elle n’est pas belle, la politique ?
Par Azza Filali