L’édito de Taoufik Habaieb: L’Ugtt face à une lourde responsabilité
La force d’impulsion des réformes politiques et économiques viendra-t-elle de l’Ugtt ? Parvenue à surmonter ses dissensions internes et réussir son 25e congrès, la centrale ouvrière historique entend peser de tout son poids sur la scène tunisienne. Ses motions — générale et professionnelle— l’affirment clairement, fixant au nouveau bureau exécutif un mandat aussi fourni que précis.
L’institutionnel vient en tête des préoccupations, parallèlement à l’économique et au social. La réforme du système politique ainsi que la révision de la loi électorale, de la loi sur les associations, du code des collectivités locales et des instances supérieures, à commencer par l’Isie, ont fait l’objet de propositions détaillées soumises au chef de l’Etat. L’audit des finances publiques et de l’endettement, le sauvetage des entreprises publiques, la lutte contre l’économie de rente et un dialogue national sur un nouveau modèle économique figurent parmi 14 points-clés du programme de redressement économique adopté.
La marge de manœuvre laissée au bureau exécutif est fort réduite. Trois balises sont fixées en lignes rouges infranchissables : la cession des entreprises publiques, la renonciation aux augmentations salariales et l’approbation de mesures en vue de réduire le pouvoir d’achat des Tunisiens. Quant à la liste des revendications professionnelles, elle s’étend de la titularisation des travailleurs occasionnels à la révision du montant des allocations familiales et du taux des heures supplémentaires, l’octroi d’une promotion exceptionnelle de trois ans avant le départ à la retraite ou la généralisation des tickets-restaurant et autres mesures.
Noureddine Taboubi et ses coéquipiers n’auront pas la tâche facile. Leur mission sera double : porter les revendications des travailleurs et s’investir au premier plan dans le processus des réformes politiques et économiques. Dans ce rôle moteur, l’Ugtt sera au cœur des débats, des décisions et des grandes échéances que connaîtra la Tunisie tout au long de la période à venir. Jugée à l’aune de son sens de la responsabilité, de sa modération et de sa flexibilité, sur les aspects économique et social, elle s’annonce irréductible quant au modèle de société à forger et au processus démocratique à faire aboutir.
La première épreuve à réussir est la finalisation du programme des grandes réformes. La signature de l’Ugtt, ainsi que celle de l’Utica, du document final soumis aux bailleurs de fonds, le FMI en tête, endosseront les engagements de la Tunisie et les sacrifices des Tunisiens. Débloquer ce processus au plus vite sera capital. Tout le génie de l’Ugtt sera d’y parvenir, sans hérisser ses syndiqués, ni renoncer à la défense des populations défavorisées.
La refonte institutionnelle et politique est également un enjeu de taille. En tête de la société civile et forte de la confiance de la plupart des partis politiques, l’Ugtt est légitimement investie dans cette ultime démarche. Promouvoir autour du président de la République, comme elle l’a souligné, un dialogue inclusif, sans sujets tabous, enrichir le débat et faire converger les différentes positions vers le plus large accord possible s’érigent pour elle en devoir national.
Force d’inspiration, de modération et de mobilisation, l’Ugtt doit transcender son propre statut de centrale syndicale pour incarner, avec les autres forces vives, un nouveau destin national. Bousculer, s’il le faut, les uns et les autres, balayer les préjugés, rétablir les ponts, pousser au compromis et redonner confiance aux Tunisiens quant à un avenir meilleur possible : les héritiers de Hached et d’Achour retrouveront alors leur rôle historique.
Les délais sont serrés. Fin mars, une première synthèse des consultations annoncées par le chef de l’Etat est escomptée. Elle doit nourrir les propositions devant être soumises à référendum dans moins de cinq mois, le 25 juillet prochain. Le désenchantement des Tunisiens ne fait que s’accroître, au risque de susciter un fort taux d’abstention lors de ce scrutin. La situation économique et sociale se dégrade de jour en jour. Le facteur temps exerce toute sa pression, jouant à contre-courant.
Apaiser les tensions, restaurer la confiance, instaurer le débat et réussir les réformes consensuelles: c’est ce qu’attendent les Tunisiens. Le président Kaïs Saïed doit s’investir corps et âme. L’Ugtt, en tête d’un nouvel élan collectif à créer, sera d’une précieuse contribution.
Taoufik Habaieb