Riadh Zghal: Les nouvelles générations, acteurs du futur
Beaucoup d’enseignants, tous cycles confondus, se plaignent de la désaffection des élèves et des étudiants à l’égard des cours, de la recherche et autres espaces d’apprentissage perçus davantage comme des contraintes que des opportunités de savoir et d’épanouissement. Il semble que ce qui suscite leur curiosité, c’est la découverte du monde réel par l’expérience. L’école américaine d’écologie humaine (School of Human Ecology, University of Wisconsin-Madison) va plus loin en adoptant une devise particulièrement suggestive pour ses étudiants : «Et si nous nous comprenions nous-mêmes et les gens qui nous entourent de manière à être plus heureux, en meilleure santé et mieux préparés à changer le monde ?». Une devise déclinée en d’autres par les groupes d’étudiants réunis autour d’un projet associatif: «Rehausser le quotidien tous les jours», «Ce qui compte vraiment c’est la vraie vie», «Vous constaterez que nous trouvons une meilleure solution(1)».
Derrière ces devises, il y a une pédagogie tout à fait en phase avec les changements du monde actuel et l’avènement de l’intelligence artificielle qui brise les frontières entre les langues, celles de l’accès à l’information scientifique en plus de la formation dans la branche pointue d’un domaine scientifique ou technique grâce aux tutoriels qui pullulent sur la Toile.
Il est reconnu que, pour mieux préparer les nouvelles générations au rythme des changements exponentiels qui caractérisent le monde d’aujourd’hui, il y a nécessité d’une refondation des systèmes éducatifs. La refondation signifie l’adoption de nouveaux paradigmes. C’est à partir des exigences de l’activité d’employé ou d’entrepreneur qu’il faudra revisiter les paradigmes soutenant les systèmes actuels.
Si l’on admet, par hypothèse, que l’économie se dirige inexorablement vers la domination de la connaissance, alors les capacités nécessaires pour y trouver une place seront centrées davantage sur le rôle de l’individu acteur que sur celui d’exécutant. En conséquence, pour être employable il faudra, en plus des compétences techniques, faire preuve de capacités de communication, de collaboration, d’esprit critique, de leadership, d’initiative, de flexibilité…
Parallèlement, si l’on reconnaît que les opportunités d’emploi pour les diplômés de l’enseignement supérieur qui souffrent plus que les autres de chômage dans notre pays, le système éducatif devrait offrir une préparation à l’entrepreneuriat. Cela devrait débuter à l’école primaire où il s’agit aussi de faire éclore les talents, et continuer à l’université où il faut stimuler l’initiative. L’entrepreneuriat nécessite, en plus des capacités favorables à l’employabilité, des qualités comportementales, des prédispositions et des habiletés particulières(2). Parmi ces qualités, on évoque, entre autres, la recherche et la saisie des opportunités, la créativité, la prise de responsabilité, la gestion autonome, le réseautage, l’usage de l’intuition et du jugement pour prendre des risques calculés…
Les moyens de découvrir par les apprenants la réalité qui les entoure se fait par l’ouverture des établissements éducatifs et universitaires à des personnes de divers domaines d’activité qui ouvrent d’autres horizons de connaissance enrichis par l’expérience. En revanche, les qualités comportementales ne peuvent se former que par la pratique. Des opportunités d’exercice pratique sont offertes par les clubs et la vie associative dans certains établissements et à l’université. L’investissement dans la création et le soutien des associations fait partie des arguments de compétitivité de certaines universités pour attirer des étudiants à la recherche d’occasions pour pratiquer et développer leurs vocations. L’intérêt pour l’étudiant est double lorsque la contribution à l’activité associative donne l’occasion au jeune de participer à la société civile.
La tendance des universités tunisiennes à inscrire la vie associative dans leur présentation sur site est loin d’être générale. Certaines universités mentionnent l’existence de clubs d’étudiants plutôt que d’associations. De même on ne trouve pas d’étude scientifique sur le paysage associatif du milieu universitaire. Cela est un indicateur du faible intérêt qui lui est consacré. Malheureusement, ce sont autant d’occasions perdues pour de jeunes adultes de mesurer et de développer leurs capacités de tisser des liens, former une équipe, exercer un leadership, gérer un projet collectif, exercer sa créativité et participer à forger une créativité collective, lever des fonds, révéler l’utilité de la communauté estudiantine pour la société et peut-être provoquer des changements dans les curricula et les méthodes pédagogiques.
L’initiation et la participation des jeunes à la vie associative correspondent à un réel besoin de notre société qui vit une période de transition ouverte sur plus d’un possible. Ce sera peut être un revers éclatant conduisant à l’instauration d’une nouvelle dictature, pire que les précédentes car accompagnée de déconstruction des acquis dans tous les domaines. Une telle hypothèse est d’autant plus probable que le débat public est bridé. Une seconde hypothèse souhaitable sera la poursuite du long processus de la transition sur un chemin certes cahotant vu les écueils dressés par ceux qui ont soif de pouvoir et ceux qui craignent de perdre le leur. Si c’est le cas, il y a nécessité d’apprentissage d’une réelle démocratie constituée aussi bien d’un système politique stable mais aussi de valeurs, dont celle de l’intérêt général.
A cet égard, toutes les occasions offertes aux jeunes adultes de se comporter en acteur social sont d’un intérêt vital pour asseoir une démocratie non pas formelle mais fondée sur des valeurs sociales partagées.
Bien encadrée, la participation à une activité associative, fût-elle un club de culture et de loisir, induit l’immersion dans un groupe chargé de divergences d’opinion et d’intérêt. C’est un espace de sociabilité où se forment progressivement des habitudes de tolérance du pluralisme, d’acceptation des différences. Dans cet espace psychosocial émergent une majorité et une minorité ainsi que des leaders dont peut-être le participant lui-même. C’est alors qu’il sera confronté à des responsabilités d’animation, de gestion des conflits tout en entretenant l’intérêt de la minorité pour le fonctionnement du groupe. Il aura aussi à veiller à la performance collective dans la conception pertinente et la réalisation des projets convenus par le groupe. Cet apprentissage par l’action lui permettra de découvrir les écueils qui se dressent sur le chemin de la coopération. Finalement, il s’agit d’un entraînement à l’action politique si nécessaire pour les futurs leaders de la nation, sachant que le besoin de changement est pressant et que l’«on ne peut changer la société par décret ».
Riadh Zghal
(1) École d’écologie humaine – UW-Madison (wisc.edu)
(2) Allan Gibb (2007), Enterprise in Education. Educating Tommorrows Entrepreneurs Gibb.pdf (jyu.fi)