Riadh Ben Sliman: L’ONU et la question palestinienne : sommes-nous face à un tournant ?
Par Riadh Ben Sliman, ancien ambassadeur. En 1987, Brian Urquhart, ancien Secrétaire Général Adjoint de l'ONU pour Les Affaires Politiques Spéciales affirmait dans un de ses écrits qu’il regrettait que «le problème de Palestine ait hanté le développement des Nations Unies depuis 1948 … et que l’implication de l’ONU dans la question palestinienne a terni l’image de l’Organisation, sa réputation et son prestige comme aucun autre problème ne l’a fait».
Brian Urquhart a fait ce constat lorsqu’il évoquait dans ses mémoires(1) l'assassinat du Comte Folke Bernadotte, alors médiateur de l'ONU pour la Palestine en 1948. Le Comte Bernadotte, de nationalité suédoise, fut assassiné par des extrémistes sionistes suite à la publication de son rapport qui affirmait le droit des réfugiés palestiniens au retour.
Le Rapport du Comte Bernadotte et notamment les recommandations qu’il contenait ont ouvert la voie à l’adoption le 11 décembre 1948 par l’Assemblée Générale des Nations Unies de la très importante Résolution 194, restée lettre morte jusqu'à ce jour, et qui affirmait le droit des réfugiés palestiniens au retour et à l'indemnisation.
26 ans plus tard, Kishore Mahbubani, ancien diplomate singapourien et l’un des plus éminents experts actuels dans le monde en relations internationales écrit « Pour sauver l’ONU et renforcer la diplomatie multilatérale, nous devons rapidement régler la question israélo-palestinienne parce qu’elle envenime la politique internationale beaucoup plus que tout autre problème. Cela a conduit à la double perte de légitimité de l’ONU: perte de légitimité de l’ONU aux yeux du public américain parce que les médias américains focalisent sur les positions anti-israéliennes au sein de l’Assemblée Générale et la perte de légitimité de l’ONU aux yeux de 1,6 milliard de musulmans qui perçoivent mal les positions pro-israéliennes du Conseil de Sécurité. Ainsi, jusqu'à ce que la question Israël-Palestine soit résolue, l’ONU sera effectivement paralysée et la diplomatie multilatérale aura un effet limité».(2)
Ces deux déclarations séparées dans le temps provenant de deux experts de renom de l’ONU illustrent les errements sur fond de manipulation que la question palestinienne a subie pendant de longues décennies aux Nations Unies.
La question palestinienne: victime d’un rempart
Outre que le droit international a été malmené pendant plus de 75 ans et travesti sur ce terrain même, au point de devenir l’outil protecteur de la puissance occupante lui garantissant tous ses droits, au dépend des droits légitimes nationaux du peuple palestinien, les instances onusiennes, en tant qu’émanation et somme des Etats membres de l’organisation mondiale, ne pouvaient aller plus loin dans les débats que de répéter les promesses et vœux pieux sur la question. Lors des interminables discussions qui marquent l’examen par les Nations Unies de la question palestinienne, un retour en arrière sur des faits historiques importants qui sont à la base de la plus grande injustice jamais infligée à un peuple dans l’histoire humaine n’a jamais été permis ni autorisé. L’examen de la question palestinienne est resté limité à la discussion de l’actualité du conflit et l’utopie des plans et initiatives de paix, servant davantage à donner l’impression d’entretenir une dynamique de paix illusoire sans aborder les injustices au cœur du drame palestinien créées depuis les débuts de l’entreprise coloniale et les plans coloniaux concoctés contre la population palestinienne autochtone en vue de la déposséder de ses terres.
Il existait un rempart érigé pour protéger l’entité sioniste empêchant toute discussion multilatérale sur la déclaration de Balfour, le plan de partage des Nations Unies de 1948, ou pour trancher sérieusement par le biais d’une décision sans équivoque sur l’acquisition par l’usage de la force des territoires palestiniens, la dépossession du peuple palestinien de ses terres, l’annexion de territoires palestiniens et arabes…
L’ordre établi imposait que les organes et instances onusiennes considèrent alors les accords, émanation de la persistance de l’esprit colonial comme légitime. L’adoption de Résolutions 181 (Résolution du partage), 194 (refugiés) et 302 (création de l’UNRWA) valide l’injustice d’un partage arbitraire sans prendre en compte la légitimité historique de l’existence du peuple palestinien sur sa terre.
Les Résolutions du Conseil de Sécurité qui découlent de la guerre de 1967 et de 1973, 237 (1967), 242 (1967), 252 (1968) et 446 (1979) légitiment la colonisation par leur incapacité de s’appliquer.
La non application de ces Résolutions a nourri encore davantage l’intransigeance de l’entité sioniste et sa persistance à utiliser la force, comme actuellement l’agression contre Gaza, et à prolonger l’occupation des territoires palestiniens, mettant en lumière l’incapacité des Nations Unies à passer du stade de gestion du conflit, qui a marqué son traitement de la question palestinienne depuis des décennies, au règlement définitif du conflit en dépit de l’expertise des Nations Unies en matière de décolonisation et l’abondance normative dont recèle l’Organisation mondiale sur la question et notamment sur l’autodétermination ainsi que sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Le régime d’occupation prolongée et l’impuissance de l’ONU d’y mettre fin
L’occupation prolongée des territoires palestiniens démontre que les Nations Unies n’ont prêté que peu d’attention à la question de la légalité du régime d’occupation dans son ensemble et à l’exigence qu’il doit être mis fin à cette occupation prolongée sans conditions.
Au lieu d’appréhender la légalité de l’occupation prolongée en mettant l’accent sur la responsabilité de la puissance occupante, l’action des Nations Unies s’est concentrée autour de l’actualité du conflit et de l’encouragement des parties à mettre fin à l'occupation par des négociations hautement déséquilibrées et largement discréditées.
Bien évidemment, ces négociations ne devaient pas prendre pour cadre l’organisation mondiale mais avoir lieu dans un cadre international sur lequel veilleraient les principaux acteurs internationaux.
Dans cet esprit, La politique suivie par certaines parties depuis des décennies s’efforçait de convaincre les palestiniens que le droit international n’est pas le moyen approprie pour parvenir à la paix et qu’insister sur une négociation ayant pour fondement la légalité internationale est une diversion inutile. Au lieu de cela, les partis (généralement les Palestiniens) devraient s’engager dans des négociations. Négocier d’une manière interminable sans s’investir dans le droit était la formule proposée aux palestiniens.
Il est devenu évident que la question palestinienne a été pendant des décennies objet de tentatives de liquidation (certains dirigeants de l’entité sioniste ont tenté non sans succès, de faire croire à leurs population et pays partenaires que la question palestinienne est réglée à jamais et qu’elle ne refera plus surface) alimentant ainsi l’idée auprès de certains cercles peux soucieux du drame palestinien que le peuple palestinien accepte d’être berné dans la Pax Israeliana.
L’une des conséquences a été que par son inaction, l’ONU a conféré une certaine légitimité (bien évidemment auprès de ceux qui soutiennent inconditionnellement l’entité sioniste) à l’occupation des territoires palestiniens à une étape ou paradoxalement, l’Organisation mondiale a joué un rôle de premier plan dans la mise en place d’instruments juridiques contraignants interdisant toute forme de domination, d’asservissement et d’exploitation, émanant de l’esprit de décolonisation qui a marqué l’émergence de pays nouvellement indépendants.
Pourtant, de nombreux juristes et militants de la cause palestinienne n’ont cessé d’appeler à qualifier l’occupation prolongée des territoires palestiniens d’illégale (unlawful prolonged occupation). Qualifier l’occupation d’illégale entrainerait des obligations accrues pour les Etats tiers de mettre fin à l’occupation. Ce débat est très présent au sein des cercles académiques anglo saxons et notamment parmi les militants du TWAIL (Third World Approach in International Law). (3 et 4)
Certes, l’action des Nations Unies en faveur de la question palestinienne est notable au plan institutionnel (création de comités, commissions et agences en faveur du peuple palestinien, à l’instar de l’UNRWA ou du non moins important Comité pour l’Exercice des Droits Inaliénables du Peuple Palestinien) et normatif (développement du principe de l’autodétermination et du droit des peuples à disposer d’eux même comme en atteste l’énorme masse de littérature onusienne qui abonde de principes découlant de l’esprit de décolonisation des années 1950 et 1960): la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (Résolution 1514 du 14 décembre 1960 sur le droit à l’autodétermination) et la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États (Résolution 2625 du 24 octobre 1970 sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes).Aussi, la charte elle-même pose les principes de «l’égalité de droit des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes» (art. 1, 2).
Néanmoins, les Nations Unies qui se sont érigées en force normative couvrant notamment tous les chemins et voies des activités humaines et se sont hissées en tant que défenseurs des voix des déshérités et des peuples vivant sous le joug colonial ne sont pas parvenus à mettre en pratique l’importante masse de documents, résolutions, plans, études, rapports préconisant le règlement de la question palestinienne et au-delà du conflit israélo -arabe.
Ce que nous appelons «l’immense gisement de documentation onusienne» sur les pratiques de la puissance occupante et ses violations massives du Droit International, du Droit International Humanitaire et du Droit International des Droits de l’Homme, ce gisement ne pouvait franchir le seuil de l’extraction et de la mise en application.
Le droit international victime de son impuissance
Le développement progressif du droit international porté au crédit des Nations Unies depuis sa création en 1945, illustré, entre autres, par l’adoption de Traités des Droits de l’Homme et des protocoles additionnels aux quatre Conventions de Genève de 1949, et la mise en place de juridictions internationales comme la Cour Internationale de Justice (CIJ) et la Cour Pénale Internationale (CPI) ainsi que le développement de normes, structures principes et mécanismes, tous ces acquis deviennent inopérants quand il s’agit de mettre un coup d’arrêt à l’entreprise d’acquisition illicite du territoire palestinien, d’occupation, d’annexion et de colonisation.
L’interaction du droit international et de la pratique a largement été utilisée par opportunisme politique pour servir les intérêts coloniaux de l’entité sioniste en Palestine, tout en entretenant l’illusion d’une légitimité internationale conçue pour servir les droits nationaux du peuple palestinien (comprendre par cela des droits nationaux interminablement suspendus).
Dans son excellent ouvrage de référence intitulé «Justice for some» publié en 2019, la militante et avocate américano- palestinienne, Noura Erakat, affirme que plutôt que d’agir comme arbitre impartial, le droit international a soutenu le colonialisme de peuplement israélien. Elle souligne que la neutralité perçue du droit international est une illusion, car il se trouve au cœur des rivalités de puissance à l’échelle internationale, ce qui entrave la quête de justice du peuple palestinien(5).
Dans le contexte palestinien, le droit international a été transformé « en chiffon de papier » pour reprendre le titre d’un livre de Jacqueline Rochette, Docteur en droit(6).
Le droit international s’est perdu dans les méandres du colonialisme de peuplement car il ne pouvait outrepasser la barrière érigée pour protéger la puissance occupante. Ceci est sur le point de changer.
Nouveaux horizons
Comme le souligne Kishore Mahbubani dans l’ouvrage précédemment cité, «cette distorsion mondiale au sujet de la question palestinienne pourrait à terme conduire à une tragédie pour Israël, lorsque la nouvelle corrélation des forces commencera à limiter considérablement la marge de manœuvre des puissances qui ont dominé le monde».
Cette corrélation des forces est très manifeste dans ce que j’appelle la juridictionnalisation de la question palestinienne, cette forte mobilisation de gouvernements, d’experts juridiques, d’universitaires de militants en faveur de la juste cause palestinienne pour porter la question devant les juridictions internationales telles que la CIJ et la CPI. Les procédures actuelles découlent d’une dynamique de changement actuellement en cours à l’échelle internationale appuyées par un vaste mouvement planétaire.
Betrand Badie, ancien professeur des universités à l'IEP de Paris (Sciences Po) a donné comme titre à un de ses célèbres ouvrages parus en 2016 «Nous ne sommes plus seuls au monde: un autre regard sur l’ordre international». Un titre évocateur des films de Stephen Spielberg sur les aliens(7).
Certainement le monde vit actuellement un profond changement, un éclatement de la puissance au profit d’un rééquilibrage des relations internationales, mais un rééquilibrage pas encore abouti et qui ne s’achèvera pas de sitôt.
Certes les différends et clivages perdureront mais le morcellement de la puissance pourrait conduire à une meilleure régulation des rapports de force ainsi qu’a une plus grande appropriation mondiale des thèmes qui mettent en danger la paix et la sécurité dans le monde.
Force est de constater que sans ce grand mouvement planétaire, cette mobilisation de gouvernements, experts juridiques et militants de la cause palestinienne notamment la jeunesse mondialisée, la CIJ serait léthargique ou même moribonde face à la question palestinienne.
Un mouvement planétaire mondial en soutien à la juridictionnalisation de la question palestinienne
Le mouvement a commencé il ya plusieurs années et bien avant le 7 octobre 2023.
Entamé avec la question du mur en 2004, il s’est poursuivi avec l’adoption le 31 décembre 2022 par l’Assemblée Générale des Nations Unies de la Résolution 77/400 soumettant la demande d’avis consultatif à la Cour Internationale de Justice en faveur d’un examen par la CIJ des points suivants:
(a) Quelles sont les conséquences juridiques découlant de la violation continue par Israël du droit du peuple palestinien à l'autodétermination, de son occupation prolongée, de sa colonisation et de son annexion du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem, et de l'adoption de lois et mesures discriminatoires connexes ?
(b) Comment les politiques et pratiques d’Israël affectent-elles le statut juridique de l’occupation, et quelles sont les conséquences juridiques qui découlent de ce statut pour tous les Etats et pour l’ONU?
Le 19 juillet 2024, la CIJ a rendu son avis consultatif très attendu examinant le statut juridique de l’occupation israélienne dans les territoires palestiniens de Jérusalem-Est, de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Les conclusions de la Cour contribuent sans aucun doute à l’arsenal jurisprudentiel qui confirme l’illégalité du régime d’occupation. La Cour a estimé qu’Israël violait diverses dispositions du Droit International Humanitaire et du Droit International des Droits de l’Homme qui lui incombe en tant que puissance occupante.
L’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques de l’entité sioniste dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, a soulevé une très grande vague d’intérêt international pour La Haye et ses juridictions. Depuis les évènements découlant d’octobre 2023, l’intérêt de l’opinion publique internationale pour la CIJ et la CPI a atteint un niveau jamais connu auparavant, appelant ces institutions à mettre fin aux massacres infligés par l’entité sioniste à Gaza. Si La Haye est devenue le bastion de ceux qui protestent contre l’entité sioniste, ceci atteste également de l’entrée du droit international et du langage de la légalité dans le champ de mobilisation de l’opinion publique. Peu de commentateurs et analystes parlent aujourd’hui de Gaza ou de la Palestine sans invoquer la légalité.
C’est dans ce contexte nouveau marqué par la «juridictionnalisation» de la question palestinienne (avis consultatif de 2004 sur le mur et demande d’avis consultatif sur l’illégalité de l’occupation palestinienne de 2024, ainsi que la saisine de la CIJ par l’Afrique du Sud sur la plausibilité du génocide à Gaza 2023) qu’évolue la question palestinienne sur le terrain et au sein des instances internationales.
La mobilisation du front juridictionnel profitant du fait que le monde n’est plus dominé par un centre mais que le centre de décision est devenu éclaté et que la périphérie a cessé d’être périphérie, constitue désormais une alternative à la léthargie internationale notamment onusienne vis-à-vis de la question palestinienne.
Les événements récents marquent une rupture claire avec un passé imposé pour reprendre l’expression du professeur et universitaire français Henry Laurens et l’entreprise génocidaire de l’entité sioniste a donné lieu par effet inverse à un véritable travail de récupération et d’exploitation de l’énorme masse de documents onusiens qui constituent une véritable mine d’information dans les procédures judiciaires en cours contre l’entité sioniste.
Dans sa requête à la CIJ, l’Afrique du Sud décrit l’agression de l’entité sioniste contre Gaza depuis le 7 octobre comme génocidaire. Pretoria présente une multitude de preuves puisées exclusivement de la documentation onusienne produite par les organismes et agences de l’organisation mondiale durant des décennies.
Sa première ordonnance du 26 janvier 2024 exige que l’attaque armée de la puissance occupante cesse et que son armée évite de commettre un génocide contre les Palestiniens de Gaza. L’ordonnance exige de prévenir toute incitation au génocide et de prendre des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture de services de base et l’accès à l’’aide humanitaire dont a grandement besoin la population de Gaza.
La Cour a rendu sa deuxième ordonnance de mesures conservatoires le 28 mars, ordonnant à Israël de prendre toutes les mesures nécessaires et efficaces pour garantir, sans retard, en coopération avec les Nations Unies, la fourniture sans entrave et à grande échelle de tous les services de base et l’aide humanitaire dont le peuple palestinien a grandement besoin.
Le 24 mai, la Cour rend sa troisième ordonnance consacrée cette fois ci à Rafah ordonnant à la puissance occupante de mettre fin immédiatement à son offensive militaire à Rafah, ainsi qu’à toute autre action menée dans ce territoire «susceptible d’infliger à ses habitants des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique ou partielle». La CIJ a aussi ordonné de maintenir ouvert le passage de Rafah pour permettre un accès sans entrave de l’aide humanitaire.
Alors que l'Afrique du Sud a de nouveau demandé un cessez-le-feu et que la Cour a encore une fois évité d’accéder à cette demande, les ordonnances de la CIJ celles du 26 janvier, du 28 mars et du 24 mai renferment un langage indiquant que la Cour estime nécessaire un cessez le feu pour l’exécution de ses ordres.
La Cour ne statuera pas sur le fond (to adjudicateon themerits) aussitôt et il faudra des mois, voire des années pour voir la Cour rendre son verdict final, mais elle peut entretemps continuer à prendre des mesures conservatoires.
Il y a des raisons de croire que la démarche de l'Afrique du Sud portera ses fruits quand il s’agit d’examiner le fond et la substance de la question outre les mesures conservatoires. Ces raisons incluent la masse de déclarations et propos génocidaires faits par des responsables de l’entité sioniste, la faiblesse des contre arguments de l’entité sioniste par rapport à la robustesse du dossier soumis par Pretoria, le volume de communications accessibles au public relatives aux preuves des crimes perpétrés par les soldats de la puissance occupante à Gaza, le nombre croissant de commentaires et d’analyses d’experts de l’ONU et de ses organismes fournissant les éléments de preuve du génocide, le nombre élevé de victimes civiles et la famine qui a mis en danger la vie de milliers de Gazaouis, les déplacements forcés massifs et le nettoyage ethnique, les crimes et massacres commis par l’entité sioniste tout au long du conflit.
Sud global et inter connectivité
Beaucoup voient dans les dernières avancées réalisées dans la saisine des juridictions internationales CPI et CIJ qui a conduit à la propulsion de la justice internationale au centre du jeu une marque de l’émergence du Sud global qui désormais s’approprie les outils juridiques pour les remodeler dans une perspective de rééquilibrage de l’ordre juridique international.
Les procédures liées à la Palestine devant la CIJ et la CPI reflètent le long cheminement de l’appropriation progressive par les pays du Sud des mécanismes et procédures pour promouvoir le droit des peuples encore sous le joug colonial comme c’est le cas actuellement pour le peuple palestinien. La majorité acquise aux pays du Sud à l’Assemblée Générale des Nations-Unies qui, il faut le dire n’est pas nouvelle, a ouvert la voie d’abord à l’adoption de la Résolution ES-10/14 (adoptée le 8 décembre 2003) soumettant la question du mur construit par la puissance occupante dans les territoires occupés à la CIJ (Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé) et a enchainé avec les procédures en cours à la CIJ et la CPI.
Toutefois, à notre avis il n’ya pas que l’émergence du Sud global et les transformations, bien que ponctuées d’incertitude, que connait le système global, qui profitent à la question palestinienne. Ces procédures hautement médiatisées alors que la justice internationale n’était pas un objet d’intérêt pour le grand public, marquent un basculement vers l’appropriation par des mouvements globaux d’une cause de justice sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Phénomène nouveau et inédit, les mobilisations massives sur le terrain et les procédures judiciaires se renforcent mutuellement.
Bertrand Badie, a axé ces dernières années ses travaux sur ce qu’il appelle les inter-socialités. Il affirme que «la mondialisation a créé un processus d’interdépendance réellement inédit. D’abord par l’effet du formidable essor de la communication qui a considérablement rapproché les sociétés les unes des autres et crée, au-delà du vieux principe de territorialité, des phénomènes de mobilité et d’inter-socialités inconnus au temps où les rapports internationaux étaient essentiellement pour ne pas dire exclusivement, interétatiques».(8)
Bertrand Badie affirme dans un autre ouvrage que « les relations internationales sont devenues inter-sociales loin des simplismes géopolitiques. Par ce nouveau concept, nous désignons toute relation sociale de pertinence internationale qui conditionne le jeu des Etats et qui se construit non pas sous le choc de puissances, mais au gré d’interactions impliquant des sociétés ou des groupes sociaux, sous l’effet de ce qu’ils énoncent, de ce qu’ils accomplissent ou des conséquences de leur comportement ».(9)
L’ancrage international des mouvements sociaux est davantage consolidé par l’inter connectivité sans précédent que connait notre monde(10), ce qui confère encore plus de teneur au récit palestinien. Le combat prochain sera porté sur le front du récit et du narratif. Il suffit de projeter un regard sur les prochaines parutions d’ouvrages dans d’autres contrées perpétuant le récit de la puissance occupante pour prendre la mesure de l’importance cruciale de notre récit a nous sur l’entreprise d’élimination de tout un peuple. Les procédures actuelles à la CIJ contribuent également à jeter les bases d’un nouveau récit nourri par les témoignages, rapports, enquêtes et travaux d’experts qui sont de nature à consolider le récit palestinien et mettre la lumière sur l’interminable drame qu’il vit.
Ce récit, n’est plus confiné aux cercles académiques ou politiques ou même culturels et artistiques mais s’étend aux masses avec toute la vérité qu’il véhicule bénéficiant des prouesses technologiques qui ont davantage rapproché les peuples. (Le récit a récemment fait son entrée en relations internationales et son importance va croitre dans l’avenir. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies l’a saisi il y a quelques années en organisant des réunions ou le narratif est abordé notamment celui du terrorisme.(11)
Cette inter connectivité a déjà facilité la mobilisation de militants et de juristes internationaux et a donné lieu à un foisonnement de débats publics très perceptibles sur les plateformes et réseaux sociaux constituant une alternative crédible à la manipulation de l’information par les médias de masse «mainstream media».
Un grand nombre de ces débats menés par des défenseurs de la cause palestinienne et des universitaires sont aussi vieux que les massacres perpétrés par l’entité sioniste contre le peuple palestinien pendant 75 ans mais ces débats ont pris une autre ampleur et ont gagné en intensité depuis le 7 octobre 2023.
Certains juristes notamment anglo saxons se penchent sur l’avenir du droit international tel qu’il émergera de la tragédie de Gaza. Tout en reconnaissant ses limites, ils restent optimistes quant au potentiel progressiste du droit international. John Quigley (OHIO State University) voit dans la conjoncture actuelle la perspective d’un droit international mobilisé pour la cause de la paix mondiale, tandis que Ruti Teitel (New York Law School) estime que les processus actuels à la CIJ et à la CPI pourraient restaurer un sentiment de légitimité en faveur de l’ordre juridique international. Pour sa part, Bill Bowring (University of London), souligne également la «profonde signification politique et morale» des récents processus juridiques.
L’on avait pensé que l’interdépendance, fruit de la mondialisation, serait économique ou même technologique mais voici que certains de ses aspects récupèrent et adoptent les justes causes et en premier lieu la cause palestinienne pour la hisser au rang de première préoccupation mondiale grâce à l’éveil des consciences que le drame palestinien a suscité auprès de centaines de millions de personnes.
Test de crédibilité
Pour avoir pendant des décennies caressées l'occupant dans le sens du poil, certains centres de pouvoirs dans le monde ont propulsé par effet adverse la question palestinienne au centre du système de sécurité et de stabilité international. Mais elle s’étend au-delà des cercles officiels pour devenir l’appropriation des peuples qui s’emparent d’une question à laquelle ils s’identifient, car l’homme n’a jamais cessé d’être à la quête de la justice, la vraie justice.
La question palestinienne se pose comme un test à la crédibilité du droit international, son avenir se jouant sur ce front. Certes le droit international a réussi à réguler les domaines d’activités de l’homme à mesure qu’il découvre des champs nouveaux d’exploitation, mais le Droit International demeure faible face à la propension des Etats à recourir à la force dans les relations internationales ou à ignorer l’arsenal juridique que la communauté internationale a mis au point prohibant non seulement la violence mais ouvrant la voie à l’extinction de la guerre.
Enfin, c’est grâce à la Palestine que les Nations Unies se sont vu conférer la personnalité juridique (sujet de droit c'est-à-dire être doté de droits et d’obligations et de la capacité nécessaire à leur exercice) lorsque suite à l’assassinat du Comte Folke Bernadotte en 1948 en Palestine par une organisation extrémiste sioniste «Stern», l’Assemblée Générale des Nations Unies a saisi la CIJ sollicitant un avis consultatif sur la protection juridique des agents de l’ONU et de la réparation des dommages subis. Dans son avis consultatif rendu le 11 avril 1948, la Cour a estimé que cette personnalité juridique est indispensable pour que l’ONU remplisse la mission qui lui a été assignée en vertu de la Charte.
Les Nations Unies rendront elles cet acquis juridique à la Palestine en recouvrant sa place de chantre de la défense des valeurs nobles de l’humanité comme l’émancipation des peuples et être animées d’une pleine détermination de statuer sur la plus grande injustice que l’histoire de l’humanité n’ait jamais connue plutôt que d’être soumis aux intérêts et calculs fortement déstabilisateurs d’un système global qui a tant besoin d’être apaisé?
Le Sommet de l’avenir qui se tiendra les 22 et 23 septembre 2024 à New York s’ajoutera à la longue liste des forums ou les questions touchant à l’avenir de l’humanité sont débattues mais sans progrès réel.
La tragédie de Gaza assombrit la tenue du Sommet et fait ressortir toutes les incohérences, limites et inadaptation du système en posant avec plus d’acuité la question cruciale de la réforme du Conseil de Sécurité.
Erigée en vœux pieux, cette aspiration mondiale d’une ONU plus efficace ne peut pour l’heure éluder la confrontation qui se dessine entre une opinion publique globale et une politique de puissance globale au sujet de la plus grande question de notre siècle et qui revêt une place hiérarchique suprême dans l’échelle des questions internationales: La Palestine chère à toutes celles et ceux épris de paix à travers le monde.
Riadh Ben Sliman
Ancien Ambassadeur
Notes bibliographiques
1- A life in Peace and War: Sir Brian Urquhart. W. W. Norton & Company, 1991.
2- The Oxford Handbook of Modern Diplomacy: Andrew F. Cooper, Jorge Heine and Ramesh Thakur. Oxford University Press, 2013.
3- International Law and the prolonged occupation, Israel and Palestine: Nada Kiswanson and Susan Power. Brill/Nijhof, Leiden 2023.
4- The United Nations and the question of Palestine: Rule by law and the structure of international legal subalternity: Ardi Imseis. Cambridge, 2022.
5- Justice for some. Noura Erakat. Stanford University Press, 2019.
6- Le traité ce chiffon de papier : Jacqueline Rochette. Pédone, 1986.
7- Nous ne sommes plus seuls au monde : un autre regard sur l’ordre international : Betrand Badie. La Découverte, 2016.
8- Le monde ne sera plus comme avant. Bertrand Badie et Dominique Vidal Edition les liens qui libèrent, Paris 2023.
9- Inter-socialités. Le monde n’est plus géopolitique. Bertrand Badie éditions CNRS, Paris 2020.
10- The Age of Interconnection: A Global History of the Second Half of the Twentieth Century. Jonathan Sperber. Oxford University Press, 2023.
11- Debating worlds: contested narratives of global modernity and world order: Edited by Daniel Deudney, G. John Ikenberry, and Karoline Postel-Vinay. Oxford University Press, 2023.