Agriculture et gestion de l'eau: Vers des pratiques durables et économes à travers le monde
Par Zouhaïr Ben Amor. Universitaire - En Tunisie, un pays marqué par un climat aride et semi-aride, la question de l’eau est un défi crucial pour l’agriculture, qui consomme près de 80 % des ressources en eau disponibles. La gestion de ces ressources devient d'autant plus urgente face aux périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes dues au changement climatique. Avec une population croissante et une demande alimentaire en constante augmentation, l’agriculture tunisienne doit innover pour répondre à ces besoins tout en préservant ses ressources en eau.
Dans un contexte où la pénurie d’eau devient un défi mondial majeur, les pratiques agricoles traditionnelles, qui consomment une grande partie des ressources hydriques, ne sont plus viables à long terme. L’agriculture est en effet responsable de 70 % de la consommation mondiale d’eau douce, un chiffre alarmant lorsque l’on considère l’augmentation prévue de la population mondiale et les impacts du changement climatique. Face à cette urgence, des innovations agricoles émergent pour réduire la consommation d’eau, tout en maintenant, voire améliorant, la productivité. Nous explorons dans cet article les techniques et pratiques d’une agriculture à faible consommation d’eau, en s’appuyant sur des exemples concrets à travers le monde.
1. Agriculture de précision: optimiser l'utilisation de l'eau
L'une des méthodes les plus prometteuses pour réduire l'utilisation d'eau dans l'agriculture est l’agriculture de précision. Cette approche repose sur l’utilisation de technologies telles que les capteurs, les drones et l’imagerie par satellite pour surveiller les besoins en eau des cultures de manière précise et en temps réel.
Exemple: Le projet GRAP de Californie
La Californie, un des états américains les plus touchés par la sécheresse, a mis en place plusieurs initiatives pour rendre l'agriculture plus économe en eau. Le projet GRAP (Gestion des Ressources Agricoles par la Précision) est une initiative innovante qui permet aux agriculteurs d’ajuster la quantité d’eau distribuée en fonction des données recueillies par des capteurs placés dans les champs. Cette technique permet d’économiser jusqu’à 25 % d’eau tout en augmentant la production de certaines cultures, comme les amandes et les agrumes, particulièrement demandeuses en eau.
2. L'irrigation goutte à goutte: une méthode largement adoptée
L'irrigation goutte à goutte, ou micro-irrigation, est une technique éprouvée pour économiser l'eau en fournissant de petites quantités d’eau directement à la racine des plantes. Contrairement aux méthodes d'irrigation traditionnelles par aspersion ou inondation, cette méthode réduit les pertes d’eau par évaporation et infiltration profonde. Les rendements augmentent tandis que la quantité d’eau utilisée est drastiquement réduite.
3. Les cultures résistantes à la sécheresse: une adaptation aux environnements arides
Une autre approche pour limiter la consommation d'eau en agriculture consiste à cultiver des plantes résistantes à la sécheresse. Ces plantes nécessitent naturellement moins d’eau pour croître, ce qui en fait des solutions idéales pour les régions où l’accès à l’eau est limité. Les chercheurs travaillent également à la sélection de variétés génétiquement modifiées ou adaptées pour mieux résister à des conditions hydriques extrêmes.
Exemple: Les variétés de mil en Afrique de l’Ouest
En Afrique de l’Ouest, notamment au Sénégal et au Niger, des variétés de mil résistantes à la sécheresse ont été introduites pour contrer les effets du changement climatique. Le mil est une céréale rustique, capable de survivre dans des conditions de chaleur et de sécheresse extrêmes. Grâce à l’amélioration variétale et à des techniques de conservation des sols, comme le zaï (une méthode traditionnelle d’irrigation à faible coût), les agriculteurs ont réussi à augmenter leurs rendements malgré une disponibilité d’eau en baisse.
4. L’agriculture en milieu contrôlé: une innovation qui révolutionne l’utilisation de l’eau
Les systèmes d'agriculture en milieu contrôlé, tels que les serres et les fermes verticales, permettent une utilisation optimisée de l'eau grâce à des conditions environnementales contrôlées. Dans ces systèmes, l’eau est recyclée, ce qui réduit les pertes par évaporation. De plus, ces environnements contrôlés permettent d’éliminer l’exposition des cultures aux aléas climatiques, garantissant ainsi des rendements constants.
Exemple: Les fermes verticales de Singapour
Singapour, une ville-État avec très peu de terres arables, a adopté l’agriculture en milieu contrôlé à grande échelle. Des fermes verticales, où les cultures poussent sur plusieurs niveaux dans des bâtiments urbains, permettent d’optimiser l’utilisation de l’eau grâce à des systèmes d'irrigation en circuit fermé. Sky Greens, une des premières fermes verticales commerciales du pays, utilise 95 % moins d’eau que l’agriculture traditionnelle tout en produisant des légumes frais pour la population locale.
5. L'agriculture sèche (dry farming): cultiver sans irrigation
L'agriculture sèche, ou dry farming, est une technique ancestrale qui consiste à cultiver des plantes sans irrigation, en se basant uniquement sur les précipitations naturelles et en maximisant l'humidité du sol. Cette méthode est particulièrement adaptée aux régions arides où les ressources en eau sont limitées. Les agriculteurs pratiquant cette technique se concentrent souvent sur des cultures capables de supporter des périodes de sécheresse prolongée.
Exemple: La culture des olives en Espagne
L’Espagne est le premier producteur mondial d’olives, et une grande partie des oliveraies est cultivée en agriculture sèche. Les oliviers, connus pour leur résistance aux conditions arides, peuvent survivre et produire des fruits même dans des sols peu irrigués. L’agriculture sèche pratiquée en Andalousie, une des régions les plus arides d'Europe, permet aux oliviers de se développer sans irrigation, tout en produisant de l’huile d’olive de haute qualité. Des techniques traditionnelles, comme le labour pour conserver l’humidité du sol, sont couramment utilisées pour maximiser l’efficacité de l’eau disponible.
6. L’aquaponie: associer culture et élevage pour recycler l'eau
L'aquaponie est une méthode innovante qui combine la culture des plantes avec l’élevage de poissons dans un système symbiotique. L'eau riche en nutriments des bassins de poissons est utilisée pour irriguer les plantes, tandis que les plantes filtrent et purifient l’eau avant qu’elle ne soit renvoyée dans les bassins. Ce système permet une réutilisation quasi totale de l'eau, réduisant ainsi drastiquement les besoins en irrigation.
Exemple: Les fermes aquaponiques d'Australie
En Australie, un pays confronté à des périodes de sécheresse récurrentes, plusieurs fermes aquaponiques ont vu le jour pour répondre à la demande en nourriture tout en minimisant l'impact sur les ressources en eau. La ferme Aquaponics World, par exemple, utilise 90 % moins d’eau qu'une ferme conventionnelle tout en produisant des légumes et du poisson de manière durable. L’eau circule dans un cycle fermé, réduisant ainsi les pertes.
Les cultures qui demandent peu d'eau sont généralement adaptées aux climats arides ou semi-arides. Elles sont résistantes à la sécheresse et peuvent prospérer avec des précipitations limitées ou un arrosage minimal. Voici quelques-unes des cultures les plus répandues et économes en eau, souvent adaptées aux conditions de pays comme la Tunisie:
1. L'olivier
L’olivier est l'une des cultures les plus emblématiques des régions méditerranéennes, y compris en Tunisie. Les oliviers sont extrêmement résistants à la sécheresse et peuvent pousser avec très peu d’irrigation. Ils sont souvent cultivés en agriculture sèche, ne nécessitant que les pluies saisonnières pour survivre. La Tunisie est d'ailleurs l'un des principaux producteurs d'huile d'olive dans le monde.
2. Le cactus (figuier de barbarie)
Le figuier de barbarie, ou cactus, est une culture très répandue dans les régions arides de la Tunisie. Cette plante est particulièrement adaptée aux environnements secs, car elle stocke l'eau dans ses tissus charnus. Le figuier de barbarie est utilisé pour la production de fruits, ainsi que pour l’alimentation animale, surtout en période de sécheresse.
3. Le mil
Le mil est une céréale rustique qui pousse bien dans des sols pauvres et sous des conditions de faible apport en eau. Il est particulièrement répandu dans les régions subsahariennes et commence à être de plus en plus valorisé dans des pays comme la Tunisie. Le mil peut se développer avec très peu d'eau, ce qui en fait une culture clé dans les zones à faible précipitation.
4. L'orge
L'orge est une autre culture céréalière adaptée aux climats secs. Elle nécessite moins d'eau que le blé et peut être cultivée avec des précipitations limitées. En Tunisie, l’orge est souvent utilisée comme aliment pour les animaux, mais elle est aussi transformée en produits alimentaires pour l’homme.
5. Les légumineuses (lentilles, pois chiches, fèves)
Les légumineuses telles que les lentilles, les pois chiches et les fèves sont bien adaptées aux environnements arides. Elles ont des besoins en eau relativement faibles et enrichissent le sol en azote, améliorant ainsi sa fertilité. Ces cultures sont souvent plantées en rotation avec des céréales pour maximiser l'efficacité des ressources disponibles.
6. Le sorgho
Le sorgho est une autre céréale résistante à la sécheresse, capable de pousser dans des conditions climatiques difficiles. Il est souvent utilisé pour l'alimentation humaine ou animale, et peut tolérer des périodes prolongées sans eau, grâce à ses racines profondes.
7. Les plantes aromatiques (thym, romarin, lavande)
Les plantes aromatiques comme le thym, le romarin et la lavande sont également très adaptées aux climats secs. Elles poussent naturellement dans les sols pauvres et avec peu d’irrigation, tout en offrant des produits de grande valeur ajoutée pour les secteurs pharmaceutiques et cosmétiques.
Ces cultures permettent de maintenir une productivité agricole dans les régions où l'eau est rare, tout en s'adaptant aux contraintes climatiques. En Tunisie, la combinaison de ces cultures et de techniques agricoles économes en eau pourrait jouer un rôle clé dans la gestion durable des ressources hydriques.
Conclusion
L’agriculture moderne fait face à des défis sans précédent, et la gestion de l’eau en est l’un des plus pressants. Cependant, des solutions existent, et elles se multiplient à travers le monde, avec des innovations telles que l’irrigation goutte à goutte, l’agriculture de précision, et l’agriculture en milieu contrôlé. Chaque région, chaque pays, développe ses propres approches en fonction de ses ressources naturelles et de ses besoins. L’adoption de ces techniques est essentielle non seulement pour préserver l’eau, mais aussi pour assurer la sécurité alimentaire des générations futures. Les exemples présentés dans cet article montrent qu’une agriculture durable, respectueuse des ressources en eau, est non seulement possible, mais qu’elle est déjà une réalité dans de nombreuses.
Zouhaïr Ben Amor
Universitaire
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