Ahmed Ouanïes évoque le souvenir de Béchir Salem Belkhiria à l'occasion de la création de l'Association qui porte son nom
Par Ahmed Ounaïes - Je rappelle que notre président Ali Bouzayane ne manquait jamais d’évoquer la mémoire de son ami Bachir Salem Belkiria, chaque année, le dernier vendredi de Novembre, à la tribune du Club. Je tiens ce soir à saluer à mon tour sa mémoire, au nom de Bochra al-Khayr. Il nous a quittés il y a 39 ans, le 26 novembre 1985.Il avait succombé à un arrêt cardiaque, subitement, alors qu’il donnait une conférence à la faculté des sciences de Monastir sur les sciences et le développement technologique. Sa vie et son œuvre nous éclairent sur le sens du dévouement pour l’idéal patriotique et pour l’essor du savoir et de la culture.
Sans l’avoir connu personnellement – il est mon aîné de six ans – je partage avec les membres de notre Club une dette à l’égard de cet aîné, une dette de reconnaissance et une dette d’honneur. C’est en son nom que ce Club était fondé par ses camarades de classe à Sadiki, unis dans l’association Liens Solides, Al-‘Urwa al-Wuthqa, qu’il avait contribué à fonder avec eux.
Il appartient à cette jeune génération formée dans les plus prestigieuses institutions d’Europe et des Etats-Unis et qui avait assumé l’édification de la Tunisie au cours des années de labeur, les années 1960, 1970 et 1980. Son parcours est typique de la jeunesse qui avait vécu le Protectorat et l’Indépendance, le régime Beylical et la République, le kuttab, Sadiki et les universités, et qui a contribué à former un esprit, l’esprit qui nous unit et dans lequel nous nous reconnaissons.
J’évoque les noms de certains de ses camarades, qui étaient devenus ses amis: Dr Ali Bouzayane, Youssef Ben Romdhane, Abdelwahab Bouhdiba, Tijani Chelli, Tahar Belkhoja… qui avaient tous participé à la fondation de l’Association Al-‘Urwa al-Wuthqa et à la fondation de notre club. Tous ont rappelé, à notre tribune, les vertus de Béchir Salem Belkhiria en évoquant le jeune élève doué, l’entrepreneur imaginatif, le créateur débordant et généreux. Je suis témoin que sa mère, sa tante, ses nièces et ses neveux sont fidèles à ses vertus, à sa vision et à sa générosité.
Je voudrais donner une idée de l’envergure de ce Tunisien exceptionnel. Il avait, au début des années 1960, opté d’emblée pour le secteur privé. Au-delà du rôle qu’il avait joué dans la diversification de l’économie tunisienne, il avait donné un élan puissant à l’effort de réforme de la qualité dans tous les secteurs d’activité en Tunisie. Dans cet enjeu, il a associé des industriels et des praticiens du Japon, qui font autorité et qui ont volontiers exposé, en Tunisie, les performances de l’industrie Japonaise sous l’effet de l’investissement certes, mais surtout de l’amélioration méthodique et continue de la qualité.
Béchir Salem Belkhiria était non seulement mûr pour réaliser sa propre vision, sa volonté d’entreprendre, sa capacité de moderniser des structures archaïques et de promouvoir le travail, mais il était aussi certainement impressionné par l’exemple du Japon et par le bond en avant des pays du Sud-est Asiatique, dont la part dans l’économie mondiale à l’époque, entre 1960 et 1985, avait triplé, passant de 4 % à 12 %. Le parcours de ces pays, à l’exemple du Japon, établissait la preuve que l’organisation du travail humain était un facteur décisif de la croissance.
Voici une idée de ses réalisations:
• Il avait d’abord fondé une société (Ikdam) spécialisée dans la climatisation, la ventilation et le chauffage, en ouvrant une voie nouvelle dans le marché tunisien;
• Il avait ensuite fondé la société BSB, axée sur la Bureautique, et introduit en Tunisie les produits relatifs à partir des Etats-Unis et du Japon;
• A son tour, BSB est devenue la matrice d’une série d’entreprises de production dans un arc très large: citons les Industries de Jemmal, fournissant en menuiserie le parc hôtelier en forte croissance;
• La société XB, lançant les machines à coudre JUKI produites au Japon;
• La société GES pour la diffusion des produits Rank Xerox à partir des Etats-Unis;
• La représentation des produits Sharp, à partir du Japon;
• La représentation de la marque Toyota, où se distingue aujourd’hui son neveu Moez Belkhiria, le soutien principal du club Bochra al-Khayr;
• Une ferme d’élevage de chèvres alpines en vue de la production de fromages, de cuir et de viande;
• L’élevage du ver à soie (sériciculture) en relation avec une entreprise de Bangalore en Inde;
• La société Khayrate spécialisée dans les semences sélectionnées pour l’agriculture;
• Le Centre Mecatronic, qui recrute les élèves de 7ème année secondaire pour les former en deux ans dans les diverses spécialités : mécanique, électricité, électronique et langue anglaise, afin d’assurer l’après-vente; les stagiaires reçoivent une bourse consistante à travers la banque Al-aman (ex Crédit Foncier et Commercial) qu’ils s’engagent à rembourser à tempérament et avec un faible intérêt dès qu’ils acquièrent un emploi; tous étaient rapidement embauchés; plusieurs ont été élevés dans leurs carrières à de hautes responsabilités;
• La société Tunisie-Foires afin de promouvoir en particulier l’agriculture; il avait organisé la première foire agricole, inaugurée alors par le président Bourguiba;
• L’hebdomadaire de langue arabe Al-Anwar dont le premier rédacteur en chef était Slaheddine Amri et qui avait maintenu une ligne éditoriale indépendante;
• La création du concours des inventeurs tunisiens qui, en dépit d’une brève interruption au début de la décennie 1980, s’est poursuivi jusqu’à nos jours, et qui illustre les innovations de plus en plus hardies des industriels, des artisans et de la jeunesse tunisienne;
• Bachir Salem Belkhiria avait introduit le rugby dans le sport tunisien, et avait ensuite lancé la production du ballon de rugby;
• Il était parmi les fondateurs de l’Association Jeunes-Science dont nous réalisons le rayonnement jusqu’à ce jour;
• Il avait également fondé l’Association d’Amitié Tunisie-Asie, qui avait parrainé plusieurs visites de groupes dans des pays asiatiques pour des chefs d’entreprise tunisiens; l’association était reprise par son neveu Dr Hamda Belkhiria que j’avais connu en cette qualité quand j’étais directeur général d’Asie au ministère des affaires étrangères.
• Deux projets étaient ébauchés, qu’il n’a pu faire aboutir de son vivant: l’énergie photovoltaïque et le tourisme saharien.
Béchir Salem Belkhiria établissait le lien entre culture et développement. Il tentait d’inculquer la culture de l’entreprise par la valorisation du travail. Sa philosophie sociale était clairvoyante, lucide et volontariste.
Il s’inscrit dans la lignée des Réformateurs de la société tunisienne. Nous partageons sa foi. Notre vœu, dans ce club qui porte son nom, est d’honorer son message.
Ahmed Ounaïes
Bochra al-Khayr
Vendredi 29 novembre 2024
Béchir Salem Belkhiria
Le défi permanent
Du Dr Hamda Belkhiria
Editions Leaders, juillet 2024,
628 pages, 70 D
En librairies et sur
www.leadersbooks.com.tn
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