Samir Allal - La COP 29: Un accord décevant pas à la hauteur des enjeux
Apprendre à faire la paix sans détruire la planète
La 29e conférence climatique de l’ONU s’est tenue à Bakou, en Azerbaïdjan. Un grand raout organisé dans un État pétrolier réprimant les droits humains. L’enjeu principal de la COP 29, était de fixer le montant de l’aide climatique pour les pays en développement afin qu’ils se développent sans charbon ni pétrole, et puissent affronter plus de canicules et d’inondations.
La COP 29 à Bakou s’est soldée par un échec diplomatique. Si après plusieurs tentatives, les États ont fini par adopter un paquet de décisions dont le nouvel objectif de financement, (“New collective quantified goal”, NCQG dans le jargon onusien) celui-ci est largement insuffisant et incomplet.
De COP en COP, les relations internationales semblent soumises à un cycle répétitif et éternel. Pourtant, cette illusion de répétition peut nous égarer et nous tromper. Elle nous empêche de construire un modèle porteur de transformation et tourner le dos aux solutions politiques qui, restent trop solidaire de l’âge thermo industriel carboné et d’une volonté de partage des richesses fondé sur l’impératif d’une décroissance partagée.
Aujourd’hui le défi reste entier pour s’assurer que les pays vulnérables aux effets des changements climatiques reçoivent des soutiens adaptés à leurs besoins. Pour autant, si les résultats de la COP29 sont décevants:
1. Le processus de la COP vaut-il toujours la peine qu’on s’y engage ?
2. Est-ce que les gros pollueurs oseront bouger et corrigeront-ils le cap avant Belém (Brésil), ou continueront-ils à mettre en péril notre avenir ?
3. Que faire, d’autant qu’il convient d’agir en tension entre un monde dont on doit amortir l’effondrement tout en préparant une organisation alternative de la société ?
Les COP sont le seul espace multilatéral où les plus vulnérables peuvent faire entendre leur voix et obtenir des avancées significatives et structurantes pour l’avenir.
Malgré les résistances fortes qui s’organisent, ces étapes adoptées permettent d’ouvrir la voie à des politiques publiques nationales plus fortes pour réduire leurs dépendances aux énergies les plus polluantes, pour réorienter les subventions des énergies fossiles vers la production d’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique.
Mais, pour aller plus loin, la Convention Cadre des Nations unies aux changements climatiques doit désormais engager des réformes importantes au sein du processus lui-même, notamment pour empêcher les poids lourds et les défenseurs des intérêts des énergies fossiles (des milliers de lobbyistes) de continuer à nuire à la crédibilité des instances et en saper l’ambition.
Une COP pas très bien préparée, dans un contexte marqué par plusieurs ombres qui ont freiné l’adoption de mesures écologiques plus ambitieuses : celle de l’élection de Donald Trump et son désengagement international sur la cause écologique; l’endettement croissant des pays européens et des pays en développement ; et enfin les intérêts géopolitiques pas toujours convergents entre le Nord et le «Sud Global».
Les discussions à la COP 29 ont été bousculées par: les conflits au Moyen-Orient et en Ukraine, la guerre commerciale entre les USA, la Chine, et l'austérité budgétaire dans de nombreux pays.
Dette sociale, dette écologique, dette financière, un monde « d’échange inégal redoublé par une crise écologique et politique où les corps humains des uns ne semblent pas avoir la même valeur que ceux des autres, où les statistiques révélant le nombre de décès et de blessés à Gaza et au Liban, ne semblent pas affecter les institutions responsables.
Avec le retour de Trump, c’est un changement majeur de perspective qui s’annonce. Climatosceptique affiché, Donald Trump avait fait campagne sur la relance de l’exploration des hydrocarbures, l’allègement des contraintes environnementales et la sortie de l’Accord de Paris.
Son élection va bien au-delà d’un simple choix démocratique entre des orientations politiques opposées, c’est un saut dans l’inconnu, une rupture de la rationalité politique. Ses liens étroits avec les Bigtech et les multinationales du carbone n’ont jamais été aussi palpables.
Les cartes sont en train d’être rebattues. Des options protectionnistes seront confirmées. Tous les pays devront très rapidement faire face à des choix stratégiques difficiles. Il est probable que nous allons encore goûter un certain temps à «bien des désastres, bien des naufrages», avant que la raison puisse se faire entendre.
Avec ou sans soutien américain, le monde a le devoir moral et un intérêt stratégique à passer à la vitesse supérieure pour montrer que l’action climatique est bénéfique pour l’économie et la paix dans le monde.
Comment ne serions-nous pas obsédés par la question de savoir pourquoi ce «monde» (qu’on appelle la «communauté internationale») ne veut ou ne peut mettre fin à cette barbarie ? Notre Société des Nations moderne se révèle bien impuissante pour être une «force unie et de la décision légale unifiée».
Des COP en voie de fossilisation
Malgré les défis climatiques, géopolitiques, nous avons plus que jamais besoin du multilatéralisme. Les divergences autour des préoccupations écologiques, des rivalités économiques et de souveraineté se sont multipliées.
En géopolitique comme en économie, une crise peut devenir une opportunité, à condition de la traiter. Les COP ne parviennent plus à se réinventer, à dépasser le schéma dans lequel elles se sont engluées
Le Global Stocktake, ou «le Bilan Mondial» (un document important de la CCNUCC, qui dresse l’inventaire des mesures prises par les États depuis l’accord de Paris sur le climat scellé en 2015), a confirmé ce qui est de plus en plus évident : la crise climatique s’aggrave partout.
Le coût de l’inaction ne cesse d’augmenter et la désinformation, aussi forte soit-elle, ne peut masquer cette réalité. Les États accordent encore 7 000 milliards de dollars de subventions chaque année aux industries fossiles.
“Le pétrole est un don de Dieu” : ces mots prononcés par le président azerbaïdjanais le 12 novembre en séance plénière à la COP 29 illustrent bien les débats difficiles qui ont émaillé le sommet climatique de Bakou sur la question des énergies fossiles.
La présidence de l’Azerbaïdjan a été critiquée pour sa gestion des débats, ce qui a entaché la crédibilité de cette Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique COP 29.
Le rôle du pays hôte est stratégique pour faire avancer – ou pas – les négociations. L’Azerbaïdjan figure parmi les dix plus gros producteurs pétro gaziers, et dépend massivement des énergies fossiles, qui représentent 98% de son mix énergétique et 64% de son PIB.
C’est pour la troisième année consécutive que la COP se tient dans un pays pétrolier. (Égypte COP 27, Abu Dhabi COP 28, Bakou COP 29). Le lobby des hydrocarbures est de plus en plus actif dans les COP pour orienter les choix en matière de politique climatique.
La plupart des majors de l'énergie continuent d'investir dans de nouvelles infrastructures fossiles : on en répertorie au moins 425 à l'échelle de la planète, début 2023.
La forte mobilisation disruptive du lobby du carbone, avant, pendant et après les COP, sert à «légitimer une nouvelle forme de climato-scepticisme visant à décrédibiliser la sortie des énergies fossiles pourtant essentielle pour la transition climatique». (Voir le rapport InfluenceMap 2024)
Les acteurs du secteur des fossiles délaissent les traditionnels discours niant l’existence du réchauffement climatique, pour déployer à la place trois principaux narratifs contre la transition énergétique et les politiques de réduction des énergies fossiles: (1) un “scepticisme sur les solutions”, (2) “l’accessibilité et la sécurité énergétique”, et enfin (3) “le libre choix des marchés et des consommateurs”.
Le premier narratif, vise à décrédibiliser les solutions alternatives aux énergies fossiles ou à exagérer les difficultés liées à la transition énergétique, afin de soutenir le statu quo énergétique mondial. Ils minimisent l’intérêt de la transition énergétique, arguant que des solutions technologiques comme la capture du carbone ou les nouveaux carburants fossiles permettront de perpétuer l’usage des énergies fossiles en minimisant les impacts sur le climat.
Le second narratif, est celui de le “l’accessibilité et de la sécurité énergétique”, ou l’idée que la sortie des énergies fossiles serait une menace pour les prix de l’énergie, la sécurité énergétique nationale, ou même la stabilité économique ou l’emploi. Ces discours visent à faire passer les énergies fossiles comme des ressources essentielles au développement économique, et à exagérer les risques politiques, techniques ou économiques à organiser une sortie progressive des énergies fossiles.
Le troisième narratif, les acteurs des énergies fossiles s’opposent également à l’intervention des États et des pouvoirs publics en matière de la transition énergétique, arguant qu’il faut préserver le libre choix des marchés et des consommateurs. Ces discours critiquent notamment les subventions accordées aux énergies renouvelables, et réclament une prétendue “neutralité des politiques publiques” en matière de transition énergétique, niant ainsi le rôle des institutions politiques dans la définition des choix collectifs nécessaires à la transition climatique.
Pour Alexandre Jardin, «la fossilisation des acteurs des COP cause une perte progressive de leur légitimité, nécessaire pourtant à l’application politique de décisions prises pour prévoir et s’adapter au dérèglement climatique». Sans légitimité, pas d’applicabilité des décisions éventuelles auprès des citoyens des différents pays du monde.
Initialement créées pour susciter la coopération internationale contre le changement climatique, les COP tendent à se transformer en congrès économique où la justice climatique s’organise de concert avec l’exploitation des ressources fossiles restantes.
Les COP ne parviennent plus à se réinventer, à dépasser le schéma dans lequel elles se sont engluées.
Chaque année, c’est en effet la même suite logique, faite d’abord de cris d’alarme (rapports du Giec et déclarations alarmantes de responsables politiques à l’appui), suivis par des jours creux de négociations empâtées, accouchant finalement d’un compromis.
«Une certaine répétition s’est instaurée, et avec elle, une sorte de fossilisation, donc, peinant à s’extirper du cycle des fausses attentes et des déceptions planifiées à l’avance», affirme Alexandre Jardin.
En démultipliant les atteintes à sa propre légitimité politique, les COP, risquent de devenir cet étrange fossile que l’on exhume annuellement, histoire d’humer l’espoir déçu d’un futur décarboné … et de signer quelques contrats pétroliers au passage.
S'interroger sérieusement sur l'usage que nous faisons de notre temps
Se cantonner à la question du dérèglement climatique et donc des émissions de gaz à effet de serre nourrit l'illusion de solutions douces. Pour stabiliser les températures d'une manière supportable par l'humanité, il suffirait de décarboner ses activités.
On pourrait maintenir la même manière de vivre à condition, d'une part, de le faire moins intensément et, d'autre part, de se fier au développement de nouvelles technologies.
Face au carbone, la tentation est grande de mettre nos libertés entre les mains d’experts, d'ingénieurs chargés de planifier la transition énergétique. On ferait tout pareil mais moins de tout : moins de transports, moins de production, moins de consommation. On sauverait nos libertés en les restreignant.
Pour Pierre Noel Giraud, il est urgent de s'interroger sérieusement sur l'usage que nous faisons de notre temps au regard des trois grands défis que l'avenir nous lance, à savoir : modifier profondément notre rapport à la nature afin de la soigner et de la préserver; maîtriser la révolution informatique ; réduire des inégalités devenues excessives et cumulatives.
Relever ces défis exige une profonde transformation des usages que collectivement et individuellement nous faisons de cette ressource rare ultime qu'est notre temps. Pierre Noel Giraud (2024).
Réfléchir à ce que nous faisons de notre temps, c’est réfléchir à notre rapport aux autres et c’est le seul moyen de faire de nous des acteurs conscients des transformations qui s’imposent.
Le pacte entre démocratie et croissance est aujourd'hui remis en question par la montée du l’il libéralisme dans le monde, le changement climatique et le bouleversement des équilibres écologiques.
Il nous revient donc de donner un nouvel horizon à l'idéal d'émancipation politique, étant entendu que celui-ci ne peut plus reposer sur les promesses d'extension infinie du capitalisme industriel.
Pr Samir Allal
Université de Versailles/Paris Saclay