News - 31.01.2025

Kamel Ayadi: Où va notre Monde?

Kamel Ayadi: Où va notre Monde?

Où va notre monde ? Elon Musk, qui travaille d’arrache-pied à la relocalisation de l’espèce humaine sur la planète Mars, détient peut-être la réponse ! Son alliance avec Donald Trump soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’avenir du monde. Forts de leur puissance politique et technologique respectives, ils pourraient exploiter cette convergence pour assouvir des ambitions irrationnelles, chacun dans son domaine. Jamais la technologie n’a suscité autant d’inquiétudes que d’espoir. Décidément, le monde a davantage besoin de philosophes et d’éthiciens que d’ingénieurs et de scientifiques pour guider son évolution et prévenir les dérives.

Il y a environ 40 ans, seulement cinq ans après la création de Microsoft, Bill Gates promettait de mettre un ordinateur dans chaque bureau et dans chaque foyer. Aujourd’hui, cette promesse a été pleinement tenue. L’informatique est devenue une composante essentielle de notre vie quotidienne, transformant le monde de manière spectaculaire. Sans elle, de nombreux progrès scientifiques n’auraient jamais vu le jour, notamment dans des domaines tels que la biotechnologie ou l’astrophysique, où des phénomènes célestes sont désormais prédits avec une précision remarquable. De même, la finance ne serait pas aussi sophistiquée qu’elle l’est aujourd’hui, et la qualité de vie ainsi que les services rendus aux citoyens seraient restés à un niveau quasi primitif. C’est dire combien une seule personne peut transformer avec sa propre vision et sa forte détermination les conditions de vie de milliards d’individus à travers le monde.

Aujourd’hui, Elon Musk nous fait quatre promesses qui relèvent de la science-fiction, mais qui semblent bel et bien en voie de se concrétiser. Passons-les en revue de manière sommaire, sans entrer dans les détails de leurs impacts, ce qui n’est pas l’objet de cette contribution.

La première: il nous promet 25 milliards d'humanoïdes, soit trois fois la population humaine, qui feront irruption dans nos usines et nos foyers. Le terme irruption n’est pas fortuit, car cette prédiction ne se compte pas en décennies, mais en seulement quatre à cinq ans. D’ici là, nul ne peut prédire avec précision les impacts de ces créatures artificielles, dotées d’une apparence et de caractéristiques physiques semblables à celles des humains, ainsi que de comportements imitatifs dans l’exécution de tâches domestiques – sans exclure d’autres fantasmes.

La seconde promesse est de remplacer progressivement nos voitures actuelles par les voitures automatisées, qui offrent plus de confort et beaucoup plus de sécurité routière. Les véhicules fabriqués par Tesla sont déjà bien présents dans les paysages urbains de beaucoup de pays. Mise à part les défis gérables associés aux biais logarithmiques dans l’apprentissage de la machine qui sera amenée à prendre des décisions et faire des choix en cas d’accident, cette innovation favoriserait la transition énergétique vers l’utilisation des énergies renouvelables et la réduction de l’utilisation des énergies fossiles et leurs conséquences dramatiques sur l’environnement. 

La troisième promesse concerne l’implantation de puces dans le cerveau humain. Neuralink, l’une des entreprises de Musk spécialisées dans ce domaine, réalise des avancées spectaculaires en permettant à des patients atteints d’hémiplégie ou de handicaps moteurs de retrouver le contrôle de leurs membres, qu’ils soient biologiques ou artificiels. Cette technologie repose sur l’interface cerveau-ordinateur (Brain-Computer Interface, BCI), qui capte et interprète les signaux neuronaux via la puce implantée, puis les transmet à un ordinateur chargé de les rediriger vers l’organe défaillant ou la prothèse.

Les premières expérimentations sont prometteuses, et cette innovation s’annonce comme une avancée technologique majeure, offrant une nouvelle lueur d’espoir aux personnes souffrant de handicaps moteurs ou de troubles neurologiques sévères. Cependant, Elon Musk ne cache pas son ambition d’élargir l’usage de cette technologie à des individus sans déficience, dans le but de développer des humains augmentés, dotés de capacités cérébrales potentiellement supérieures aux normes actuelles. Cette perspective soulève des questions éthiques majeures, notamment sur le risque de creuser les inégalités entre les humains et d’ouvrir la voie à une forme de dopage cognitif.

La quatrième promesse de Musk constitue l’une des plus remarquables aventures technologiques de l’humanité. Elle consiste à envoyer des humains pour s’installer durablement sur la planète Mars. E. Musk est fortement déterminé dans ce projet qui va au-delà de l’ambition de l’exploration spatiale pour trouver un refuge durable afin de préserver la pérennité de l’espèce humaine au cas où la vie sur Terre deviendrait impossible. Le projet de Musk est assez avancé, et les premières missions habitées sont prévues pour 2028 et 2030.

Tout est dans la qualité des entrepreneurs

La conscience humaine, avancée comme argument dans ses discours, est tellement précieuse pour Musk qu’il estime nécessaire de la préserver sur une planète alternative, face à la bêtise humaine qui risque de provoquer son extinction sur Terre.

L’avenir seul nous dira si ce projet est une idée folle ou un coup de génie. Mais quelques questions sont légitimes. Y a-t-il dans ce projet une reconnaissance implicite que la vie sur Terre est réellement menacée dans un avenir proche ? Ne serait-il pas préférable qu'E. Musk se soucie de l’avenir de l’homme sur Terre et s’engage pour juguler les menaces, comme l’a fait avant lui Al Gore pour le réchauffement climatique, ou comme le font des entrepreneurs tels que Bill Gates pour éradiquer les maladies et réduire les risques de pandémies, au lieu de se projeter dans une perspective de recherche d’alternative ?

Elon Musk reconnaît bien dans ses déclarations que l’IA présente des risques existentiels bien plus graves que l’armement nucléaire, mais s’associe à Trump qui est contre toute régulation de l’IA. Il a même entamé son mandat en revenant sur les dispositions limitées prises par Baiden contre les bais algorithmiques. Et si ce projet de voler au secours de l’espèce humaine se réalise, qui aura la chance d’en bénéficier ? Quelle race, quelles nationalités auront le privilège de voyager les premiers vers Mars ? On peut trouver des réponses approximatives dans les comportements de Musk, notamment dans son soutien à des partis nationalistes, xénophobes comme en témoigne son appui au parti allemand d'extrême droite, Alternative für Deutschland (AfD), via des publications sur sa plateforme X. E. Musk dispose d’un pouvoir d’influence énorme à travers son réseau social X (ex-Twitter), qu’il a utilisé pour soutenir la campagne de réélection de Donald Trump.

La sagesse des scientifiques

Je prends beaucoup de plaisir à écouter les conférences et à lire les livres d’entrepreneurs de la génération de Bill Gates, Steve Jobs, Tim Cook et Warren Buffett. Je trouve qu’ils possèdent une profondeur humaine et des qualités de leadership responsable qui dépassent même leurs capacités entrepreneuriales. Leurs engagements philanthropiques en faveur de causes nobles en témoignent. Malheureusement, on ne retrouve pas ces qualités ni cette profondeur humaine chez la jeune génération d’entrepreneurs, ce qui est inquiétant au vu du pouvoir d’influence qu’ils détiennent.

On est loin de la sagesse des scientifiques et des ingénieurs de l’époque de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la communauté scientifique s’est clairement démarquée de l'utilisation militaire de ses recherches, notamment avec la bombe atomique au Japon. La mobilisation des scientifiques de l’époque a créé une conscience collective qui a permis l’émergence d’une culture anti-nucléaire et l’orientation de l’usage de la science nucléaire vers le bien-être de l'humanité.

Ce sursaut a donné naissance à des initiatives ayant conduit à une régulation internationale forte, stricte et contraignante, notamment avec la création de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), dotée de pouvoirs étendus. Cette régulation a permis d’éloigner le spectre de la guerre nucléaire. Aujourd’hui, enrichir un kilogramme d’uranium nécessite la production de sept kilogrammes de documents administratifs, tant les procédures et les contrôles sont complexes et rigoureux.

C’est ce type de régulation que des voix sages parmi les grands spécialistes, scientifiques et philosophes ont appelé à instaurer il y a deux ans pour maîtriser les risques associés à l’IA. l’émergence d’alliances comme celle de Trump et Musk rend presque impossible tout espoir de régulation internationale de l’IA, dont les conséquences dépassent de loin celles de l’armement nucléaire. Elon Musk lui-même reconnaît ce risque, tout comme les grands spécialistes de l’IA, notamment Geoffrey Hinton, lauréat du prix Nobel et l’un des pionniers de l’apprentissage profond.

Bien au contraire, l’émergence de cette alliance confirme durablement la logique de la course à l’IA. L’avènement récent de l’IA chinoise DeepSeek, qui a secoué les Américains, et la réplique instantanée de Trump annonçant son intention de doubler la vitesse de la recherche en IA illustrent la férocité de cette compétition. Rien n’arrêtera cette course, sauf une tragédie.

L’ambition tragique et ses conséquences destructrices sont un thème récurrent dans les œuvres de Shakespeare. Il y explore comment l’ambition, lorsqu’elle dépasse les limites de la raison ou de l’éthique, mène inexorablement à la chute et à la destruction.

Kamel Ayadi
Consul de Globethics pour la Région MENA
Ancien Ministre