News - 28.04.2025

Zouhaïr Ben Amor: 60 % de banane en nous? Ce que notre ADN dit de la vie

Zouhaïr Ben Amor: 60 % de banane en nous? Ce que notre ADN dit de la vie

Par Zouhaïr Ben Amor. Dr. En Biologie Marine

Introduction

Dire à quelqu’un que l’être humain partage environ 60 % de son ADN avec une banane provoque souvent des sourires incrédules, des haussements d’épaules ou des plaisanteries. Et pourtant, ce chiffre, étonnant à première vue, révèle l’une des vérités les plus profondes et les plus poétiques de la biologie moderne : toute vie sur Terre est cousine, lointaine peut-être, mais cousine tout de même.
Qu’est-ce que cela veut dire, concrètement ? Sommes-nous faits des mêmes briques biologiques que ce fruit jaune et courbé ? Est-ce une manière provocante de dire que l’espèce humaine n’est pas si spéciale ? Ou bien s’agit-il d’un malentendu scientifique souvent répété hors contexte ? L’objectif de cet article est de lever le voile sur cette parenté inattendue entre les êtres humains et les autres formes de vie. Car comprendre cette similitude génétique, c’est toucher du doigt une réalité universelle, souvent ignorée du grand public, mais pourtant essentielle pour penser notre place dans la nature.

I. L’ADN, la molécule de la vie

L’ADN, ou acide désoxyribonucléique, est la molécule qui contient les instructions de construction et de fonctionnement de tous les êtres vivants. Présente dans le noyau de presque toutes les cellules, elle se présente sous la forme d’une double hélice, un long ruban torsadé constitué de seulement quatre bases : adénine (A), thymine (T), cytosine (C) et guanine (G). Ce langage à quatre lettres suffit à coder la diversité prodigieuse du vivant.

L’ADN fonctionne comme une bibliothèque où chaque gène est une recette: une séquence bien ordonnée d’instructions pour fabriquer une protéine, ces petites machines moléculaires responsables de toutes les fonctions vitales, de la digestion à la vision, du mouvement à la mémoire.

Mais ce qui est le plus fascinant, c’est que toutes les formes de vie utilisent exactement ce même langage, des bactéries aux baleines, des plantes aux humains. Un alphabet universel, commun à la banane, au dauphin, à la levure et à vous, lecteur.

II. L’évolution: une histoire partagée

Pour comprendre pourquoi nous partageons une telle portion de notre ADN avec la banane, il faut faire un saut dans le temps, à l’époque des origines de la vie. Il y a environ 3,5 milliards d’années, un premier ancêtre commun est apparu : un être unicellulaire très simple, mais porteur de ce précieux ADN.

Au fil du temps, les descendants de cet ancêtre se sont diversifiés, adaptés à leurs environnements, formant des branches multiples sur l’arbre du vivant. Certaines de ces branches ont donné les plantes, d’autres les animaux, d’autres encore les champignons ou les bactéries. Mais tous partagent encore aujourd’hui une base génétique commune, transmise de génération en génération, comme un héritage indélébile.

Les gènes les plus anciens, ceux qui assurent des fonctions vitales comme la production d’énergie, la division cellulaire ou la synthèse des protéines, ont été conservés avec une incroyable fidélité. Car quand un mécanisme fonctionne bien, la nature ne le change pas. Ainsi, même une banane, malgré son apparence bien différente de la nôtre, possède une grande partie de ces gènes ancestraux.

Un exemple célèbre de gènes conservés concerne les gènes Hox, qui contrôlent la structuration du corps chez les animaux. On les retrouve chez la mouche, la souris, l’humain… Ces gènes, vieux de plusieurs centaines de millions d’années, témoignent d’une unité fondamentale du vivant.

III. Ce que veut dire “partager 60 % d’ADN avec une banane”

Mais alors, que signifie ce chiffre souvent cité ? Dire que l’humain partage 60 % de son ADN avec une banane ne veut pas dire qu’un humain est 60 % banane – encore heureux ! Ce pourcentage fait référence à la ressemblance entre certaines séquences d’ADN, en particulier les gènes codants (ceux qui servent à fabriquer des protéines).

En d’autres termes, sur les milliers de gènes présents dans le génome humain, environ 60 % ont une version semblable dans le génome de la banane. Cela inclut, par exemple, des gènes qui codent pour des enzymes de base, des protéines membranaires ou des éléments impliqués dans la respiration cellulaire.

Cela s’explique par le fait que nos cellules – bien qu’appartenant à des règnes différents (animal vs végétal) – partagent des besoins fondamentaux : elles doivent produire de l’énergie, réparer leur ADN, se diviser, contrôler ce qui entre et sort. Pour cela, elles utilisent des outils génétiques similaires.

Le reste de notre ADN, soit environ 40 %, concerne des fonctions plus spécifiques: la différenciation des organes, le développement du cerveau, le système nerveux, les fonctions reproductrices, etc. Ces régions diffèrent davantage entre espèces.

Il est aussi important de rappeler que plus de 90 % de l’ADN humain ne code pas directement pour des protéines. Cette “part d’ombre” du génome – longtemps qualifiée à tort d’ADN poubelle – joue pourtant un rôle crucial dans la régulation des gènes. Et même là, certaines séquences sont partagées avec d'autres espèces.

IV. D’autres parentés étonnantes

Voici quelques pourcentages souvent cités par les généticiens pour illustrer notre parenté avec d’autres espèces:

Espèce ADN partagé avec l’humain
Chimpanzé ~98,8 %
Gorille ~98,4 %
Souris ~85 %
Chat ~90 %
Chien ~84 %
Vache ~80 %
Poulet ~60 %
Banane ~60 %
Mouche drosophile ~60 %
Levure de boulanger ~30 %

Comme on le voit, plus on se rapproche d’un point de divergence récent sur l’arbre évolutif, plus le pourcentage est élevé. Mais même avec la levure, un organisme microscopique unicellulaire, nous partageons un tiers de nos gènes !

Cela montre que les bases de la vie sont anciennes et profondément enracinées. L’évolution n’a pas "recommencé à zéro" à chaque fois : elle a modifié, amélioré, recombiné des structures déjà existantes.

V. Une leçon d’humilité et de lien

Cette proximité génétique avec les autres espèces nous invite à revoir notre vision de la nature. L’être humain n’est pas une île, isolé du reste du vivant. Il est un rameau parmi des milliards sur l’arbre de la vie, un produit de l’évolution, au même titre que la fougère, le corail ou le papillon.

Il n’y a pas de mur biologique entre nous et les autres formes de vie, mais un continuum, une fraternité moléculaire. Le comprendre, c’est aussi prendre conscience de la fragilité de cette grande famille. Détruire une espèce, c’est comme couper une branche de notre propre arbre.

C’est aussi une manière de réfléchir éthiquement à notre rapport au vivant. Peut-on traiter les animaux comme des machines ? Peut-on breveter le vivant ? L’idée que nous partageons tant d’ADN avec eux, que nous sommes issus des mêmes sources, bouscule nos certitudes.

Enfin, c’est une invitation à l’émerveillement. Si l’on retrouve dans la banane une partie de notre propre code, alors même le plus banal des fruits devient un miroir biologique, un rappel silencieux de notre unité avec le monde.

VI. Demain: vers une biologie universelle?

Aujourd’hui, la biologie entre dans une nouvelle ère : celle de la biologie de synthèse. Des chercheurs conçoivent de l’ADN artificiel, créent des organismes génétiquement modifiés, et rêvent d’un jour reproduire la vie à partir de zéro.

Comprendre l’universalité du code génétique permet justement ces exploits : puisque les mêmes bases sont utilisées dans tous les êtres vivants, on peut transférer des gènes d’une espèce à l’autre, créer des vaccins, réparer des mutations, ou cultiver des plantes résistantes.

Mais ce pouvoir immense s’accompagne d’une responsabilité non moins immense. Car jouer avec les gènes, c’est jouer avec le vivant, son histoire, ses équilibres subtils. Plus nous comprenons que nous ne sommes qu’un chapitre dans le grand livre du vivant, plus nous devons écrire ce chapitre avec sagesse.

Conclusion

Nous voilà donc au terme d’un voyage génétique qui nous a conduits de la cellule originelle à la banane, de la double hélice au chimpanzé, du laboratoire au champ de bananiers. Ce fameux “60 %” que nous partageons avec le fruit du marché n’est pas une plaisanterie, mais un témoignage bouleversant de notre origine commune.

En comprenant cela, nous ne perdons rien de notre humanité. Au contraire, nous l’approfondissons. Car reconnaître en nous les traces du monde végétal, animal, bactérien, c’est retrouver une unité, un souffle commun, une trame invisible qui relie toutes les formes de vie.

Peut-être alors regarderons-nous une banane autrement. Non plus seulement comme un fruit à consommer, mais comme un cousin muet, qui, sans le savoir, nous rappelle d’où nous venons – et, peut-être, ce que nous devons préserver.

Zouhaïr Ben Amor
Dr. En Biologie Marine


 

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