Chine -Afrique: partenariat stratégique, global et asymétrique

Par Mongi Lahbib - Bordée par les Océans indien et atlantique, la méditerranée, la mer rouge et le golfe d’Aden l’Afrique est à la jonction avec l’Asie, le Moyen Orient, l’Europe et l’Amérique. Elle abrite 17% de la population mondiale, 25% à l’horizon 2050 et 40% à la fin du siècle.
Le continent dispose du 1/3 des réserves minières mondiales, en particulier des terres rares et minerais critiques. 60% des terres arables non cultivées de la planète sont africaines.
«Mal partie», aux débuts de la période post coloniale, l’Afrique souffre encore de dissensions politiques, du terrorisme, de déficit de gouvernance et de guerres civiles attisées par des luttes d’influence de puissances mondiales et régionales.
Le continent est passé au second plan des intérêts de l’Union Européenne après l’élargissement de cet ensemble focalisé, depuis, sur la lutte sécuritaire de l’immigration irrégulière africaine. L’augmentation des dépenses d’armement européen -suite au désengagement américain- risquerait d’affecter les programmes de coopération de l’Union Européenne pour les pays tiers méditerranéens et ceux de l’Afrique- Caraïbes-Pacifique (ACP).
La Russie est actuellement absorbée par la guerre en Ukraine. Les Etats Unis ont réduit les crédits de l’US Aid, supprimé la contribution américaine au fonds africain de développement et suspendu un programme pour la modernisation des infrastructures en Afrique.
La Chine 2e puissance économique mondiale est liée, depuis 2003, avec le continent par des programmes de coopération et de partenariat stratégique. Ce pays fait face, encore, aux retombées du covid, à l’atonie de son marché intérieur et aux défis la guerre commerciale mondiale déclarée par le Président Trump, visant notamment Beijing.
I- De relations erratiques au partenariat stratégique
1- Des relations sino africaines anciennes et distendues
L’Afrique constitue un carrefour des routes de la soie, de l’encens et des épices. Les premiers liens sino-africains remontent au 2e siècle av J-C sous la dynastie Han au cours de laquelle fut lancée la route de la soie et fut développée la navigation en haute mer.
L’Amiral, musulman, Zheng Hean conduisit au milieu du 15e siècle notamment deux expéditions maritimes en Afrique Orientale. Les relations sino africaines se sont distendues depuis, pendant plus de 5 siècles, à la suite de la destruction de la flotte impériale, l’interdiction de sorties en haute mer, le repli de la Chine sur les terres et «le siècle de la honte» qui suivit le déclenchement des guerres d‘opium.
2- La reprise des relations sino africaines avec la République Populaire de Chine
Suite à la proclamation de la RPC, en 1949, les relations sino africaines furent partiellement et progressivement (r)établies notamment à la suite de la conférence des non-alignés à Bandoung en 1955.
Le Premier Ministre chinois Chou En Lai entreprit fin 1963- début 1964 un périple dans 10 pays africains, dont la Tunisie. Beijing apporta aide et soutien aux mouvements de libération nationale africains. Les voix africaines à l’Assemblée Générale de l’ONU avaient largement contribué à l’intégration de la RPC au sein de cette organisation, en 1971, au détriment de Taiwan appuyée par les EU.
Depuis la fin de la révolution culturelle, en 1976, l’aide de Chine aux pays africains est accordée pour des considérations politiques, économiques et pragmatiques plutôt qu’idéologiques. Beijing fut soumise à une série de sanctions décrétées par des pays occidentaux, suite aux événements de 1989 de la place Tien Amen, alors que la majorité des pays africains manifestèrent à cette occasion leur soutien à la Chine.
A partir de 1991 les Ministres des Affaires Etrangères chinois réservent régulièrement leurs premières visites diplomatiques, au début de chaque année, à des capitales africaines.
Les relations entre les deux parties furent institutionnalisées en 2000 avec la création du Forum sino africain de coopération, une année avant la conclusion de l’accord d’adhésion de la Chine à l’OMC et l’annonce, par ailleurs, du nouveau partenariat de développement de l’Afrique (NEPAD).
3- Le forum sino -africain de coopération (FOCAC)
Focalisée sur le programme de réformes économiques structurelles Beijing avait temporisé au sujet de la création du FOCAC, d’autant que certains pays africains cherchaient, de leur côté, à maintenir des relations bilatérales privilégiées avec la Chine.
Les réunions au sommet du FOCAC se tiennent régulièrement tous les 3 ans alternativement à Beijing et l’une des capitales africaines. La dernière en date, tenue en 2024, a adopté un plan d’action pour la période 2025-2027 comportant notamment:
• Une enveloppe de 50 milliards de $ sous forme d’aide (11 milliards $), de prêts (29) et IDE (10).
• 10 programmes d’industrialisation et de création de zones économiques spéciales.
• 30 projets africains trans frontaliers.
Ce programme intègre notamment le plan de développement de l’Afrique à l’horizon 2063, celui du développement des infrastructures du continent ainsi que les objectifs de la zone continentale de libres échanges. 3 corridors économiques sont programmés en Afrique sur les 6 prévus dans le cadre de la nouvelle route de la soie.
II- Un bilan de coopération mitige, globalement positif
La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique, son premier créditeur bilatéral et le premier opérateur et financier du la modernisation de l’infrastructure du continent.
1- Développement des échanges commerciaux
Le volume des échanges commerciaux est passé de 11 milliards $ en 2000 à 295 en 2024 avec un déficit de près de 62 milliards $, au profit de la Chine. Ceci représente 20% des échanges du continent, contre 4% du commerce extérieur de la Chine. Le montant du déficit, en 2022, représentait 2,6% du PIB africain de la mème année.
89% des exportations africaines vers ce pays provenaient d’industries extractives (pétrole et minéraux) alors que 94% des importations, en provenance de la Chine, étaient constitués de produits manufacturiers.
Ce déficit commercial chronique et la structure des échanges commerciaux entre les deux parties reflète le retard du continent en termes d’industrialisation et d’intégration économique, l’Afrique ne contribue que pour 3% au commerce mondial contre 13% pour la Chine.
2- Contribution de la Chine au financement du développement de l’Afrique
La Chine est devenue le premier créancier bilatéral de l’Afrique dont la part des créances est passée de 1% en 2000 à 17% en 2022. Le montant total de ces créances entre 2000 et 2023 a atteint 182,3 milliards $ au profit de 49 pays africains, notamment de l’Afrique australe à hauteur de 64%.
Ces prêts ont servi particulièrement au financement de projets d’infrastructure de transport, de mines et l’énergie et accessoirement au profit du secteur des TIC (6%).
Le continent ayant bénéficié ainsi de 25% du total des prêts accordés dans le cadre du financement de projets de la nouvelle route de la soie.
Le rythme de financement a cependant régressé, suite aux retombées économiques du covid et aux difficultés en rapport avec la soutenabilité de la dette. Selon le FMI 21 pays africains sont actuellement surendettés ou à haut risque de surendettement. Outre l’octroi de dons la Chine a procédé, à différentes reprises, à l’effacement de prêts en particulier en faveur de pays africains les moins avancés.
S’agissant des investissements directs étrangers le stock enregistré au cours de la période 2000-2022 s’est élevé à 112,3 milliards $ notamment pour des énergies fossiles, l’extraction et la transformation de produits miniers et accessoirement le secteur des énergies solaires et éoliennes (8%) et des TIC (6%), alors que la Chine est le premier fabricant et fournisseur mondial d’équipements de la transition énergétique et numérique.
3- Contribution à la modernisation des infrastructures
La Chine a contribué à la construction de 100 000 km de routes,10 000 km de voies ferrées et à une centaine de projets d’énergie verte, en plus de 66 000 km de lignes électriques. Huawei a, pour sa part, participé à l’installation de la majorité du réseau téléphonique de base et des réseaux 3G et 4G en plus de l’installation d’instituts TIC dans 28 pays africains.
La Chine est associée à 55 des 204 ports commerciaux en Afrique, dans 26 pays, particulièrement en Afrique occidentale. Ceci à travers le financement, la participation, la construction ou la gestion portuaires notamment de 3, sur 4, terminaux de conteneurs.
Plusieurs de ces ports maritimes sont de nature duale civile et militaire, la Chine ayant installé à Djibouti sa première base militaire maritime à l’étranger.
Les crédits alloués à l’infrastructure représentent 4 % du PIB en Afrique contre 14% en Chine. La commission économique pour l’Afrique évalue les besoins du continent à ce sujet à 1 milliard $ par an, soit un gap annuel moyen de 108 milliards $.
Ce qui nécessite une meilleure coordination entre les différents programmes en la matière et la diversification des modes de financement : concessions privées, partenariat public-privé, fonds souverains sur la base de l’efficience, la transparence et la redevabilité en vue de favoriser la connectivité et l’interopérabilité des infrastructures.
A cet égard les BRICS + pourraient apporter, à travers la nouvelle banque de développement et l’expertise des pays membres, une importante contribution à ce sujet.
III- Perspectives d’avenir: défis et enjeux
1- Pour un partenariat plus équilibré et inclusif
Le différentiel de poids économique et de niveau de développement entre les deux parties est structurel et difficilement comparable. La Chine «pèse» plus de 6 fois que l’Afrique en termes de PIB et demeure moins dépendante que le continent du fait de la diversification de ses sources d’approvisionnement, de son statut de puissance globale et l’accroissement de son influence.
Outre sa position géostratégique, son poids démographique et son potentiel en ressources agricoles énergétiques et minières, l’Afrique dispose de 54 voix à l’ONU et au sein des différentes instances internationales. Elle enregistre les taux de croissance les plus élevés, après l’Asie, avec une moyenne annuelle de 5%.
L’Union Africaine a l’expérience – à travers l’Agence du NEPAD et l’appui de la BAD- pour mieux participer, préparer, évaluer et suivre les projets du FOCAC. La Chine peut initier, aider et accompagner le processus de développement de l’Afrique mais non s’y substituer.
Les frictions apparues, au cours de la réalisation de projets par des entreprises chinoises, pourraient être circonscrites à travers une meilleure coordination inter africaine et, au niveau local, par l’implication et l’appropriation des régions et populations bénéficiaires.
Certains malentendus sont souvent dus à des dissemblances culturelles: langues, traditions alimentaires, rythme de travail. Au lieu d’être facteur d’émulation la culture asiatique de discipline et de productivité se transforme parfois en frein à l’avancement de projets communs.
D’autres considérations peuvent être relevées, en particulier l’absence d’études d’impact sur l’environnement, les conditions sociales et le nombre limité d’emplois locaux créés.
Cette situation semble moins critique en raison de la baisse du nombre des ouvriers et employés chinois expatriés en Afrique. Le nombre des entreprises chinoises installées au continent varie entre 3000, chiffre des autorités chinoises, et 10 000 selon certaines estimations occidentales constituées en majorité des micro entreprises ou auto entrepreneurs, plus visibles et intrusifs, dont le nombre est appelle à diminuer pour des raisons démographiques et économiques.
2- Vers un développement diversifié et une montée en gamme de l’industrie et des services africains
Le Conseil d’affaires Chine Afrique a publié une étude sur les conditions et modalités de développement industriel en Afrique portant notamment sur:
• Les perspectives d’intégration régionale dans le cadre de la zone continentale de libres échanges appelée à être la plus grande au monde, sachant que le commerce intra africain est estimé actuellement à 17% contre 59% en Asie et 68% en Europe.
• L’importance des infrastructures, de la formation et de la recherche et développement.
• La maitrise de la dette et le développement de l’intégration et de l’inclusion financières.
Pareilles mesures seraient de nature à hisser le partenariat à un niveau compatible avec la qualité des relations politiques entre les deux parties, suite à l’expérience des premiers projets réalisés peu capitalistiques, à faible valeur ajoutée et induisant des transferts technologiques limités.
L’installation progressive de parcs industriels, de technopoles et centres d’excellence est susceptible de développer des filières et activités à haute valeur ajoutée et contenu technologique élevé.
Les pays africains étant appelés à améliorer le cadre macroéconomique, valoriser leurs ressources humaines, renforcer l’attractivité des sites de production et la sécurité juridique des IDE.
Face à l’importance de la stabilité et de la sécurité régionales les expériences de l’Union Européenne et de l’Asie, à ce sujet, constituent des sources d’inspiration pour transcender les différends politiques inter africains et intensifier la concertation pour survivre dans un monde en pleine mutation géopolitique, économique, technologique et environnementale.
A cet égard il y a lieu de relever le projet de l’Union Africaine concernant la grande muraille verte du Sahara et du sahel regroupant 20 pays, dont la Tunisie, pour lutter contre la désertification et la sécheresse englobant une vaste zone allant de l’Afrique du Nord à la Corne de l’Afrique. La réussite de la grande muraille verte chinoise et les succès enregistrés par ce pays pour la mise en valeur d’espaces désertiques pourrait servir d’exemple à suivre.
3- Vers un partenariat Sino - Africain volontariste, intégré et ouvert
L’initiative de la nouvelle route de la soie constitue un cadre adéquat pour renforcer l’ouverture de l’Afrique sur son voisinage immédiat et lointain, en raison du caractère mondial de cette initiative et l’esprit qui préside à sa mise en œuvre, au moment de la montée du protectionnisme et le recul de la coopération multilatérale.
Le prochain sommet sino européen, pourrait constituer une occasion pour aborder l’opportunité de partenariats tripartites. Il en est de mème des possibilités de coopération triangulaire avec des pays du Moyen Orient et d’autres espaces économiques intéressés.
Pareille orientation serait en accord avec les initiatives globales chinoises sur le développement et la civilisation d’autant que l’initiative ceinture et route (IBR) pourrait constituer, plus qu’une route commerciale, un espace de brassage de civilisations.
L’Afrique, à la fois unique et plurielle, a enfanté de brillantes civilisations à différentes étapes de l’Histoire. Elle œuvre, après une longue nuit coloniale et néo coloniale, à se hisser au niveau des défis et enjeux présents et futurs.
Ce qui implique un sursaut africain mobilisateur et fédérateur accompagné de mutations profondes politiques, des mentalités et comportements en cours.
Au-delà de sa contribution financière et entrepreneuriale, la Chine a un rôle catalyseur et de source d’inspiration, du fait de proximités historiques et politiques et la convergence des objectifs pour «forcer le destin» en direction de la renaissance et du renouveau africains.
Ce qui constituerait le couronnement d’un partenariat prometteur Sud-Sud, et si possible Nord -Sud, susceptible de renforcer la stabilité, la sécurité et la prospérité du continent, loin des tentations égocentriques et du tout sécuritaire visant à endiguer une immigration croissante vers l’Europe avec le dérèglement climatique et l’explosion démographique en Afrique.
Un continent fier de son africanité, chargé de promesses, appelé à devenir la nouvelle frontière de l’économie mondiale. Ce qui constitue à la fois un pari, un enjeu et un défi au réveil de siècles de déclin, d’occupation et de léthargie…
Mongi Lahbib
Ancien ambassadeur
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