Huile d’olive : Produire, c’est essentiel. Bien vendre, c’est vital

Par Ridha Bergaoui - La Tunisie est le 3ᵉ producteur mondial d’huile d’olive après l’Espagne et l’Italie. La consommation nationale est faible (entre 3 et 4 kg/an/habitant) et environ 90 % de la production est destinée à l’exportation. La Tunisie se positionne comme le 2ᵉ exportateur net mondial.
La campagne d’huile d’olive 2024-2025 a été exceptionnelle, avec une récolte estimée à 340 000 tonnes d’huile. Un climat d’euphorie régnait parmi les acteurs de la filière, d’autant que les prix de l’huile, au niveau national comme international, avaient atteint des sommets inédits la saison précédente, dépassant les 9 euros/kg.
Toutefois, avec le démarrage de la campagne, les prix se sont brusquement repliés, descendant à 3 et 4 euros/kg. Cette baisse brutale des prix, conjuguée à une récolte abondante, a durement frappé les agriculteurs. Elle a également entrainé, au niveau national, une chute des recettes en devises provenant de l’exportation de l’huile, comparées à l’année dernière à la même époque. L’ONAGRI, dans son dernier bulletin de suivi des exportations, a indiqué que la Tunisie, sur les six premiers mois de la campagne (novembre 2024 - avril 2025), a exporté plus d’huile (180 200 tonnes contre 128 700 tonnes l’année précédente). Cependant, les recettes ont reculé à 2 442,4 millions de dinars (contre 3 436,1 millions de dinars), en raison d’un prix moyen de vente en forte baisse (12,7 DT/kg contre 20,1 DT/kg).
Aperçu sur le marché mondial de l’huile d’olive
La production mondiale annuelle d’huile d’olive oscille entre 3 et 3,2 millions de tonnes, selon les conditions climatiques dans les différents pays producteurs. L’Espagne, à elle seule, fournit environ 50 % de la production mondiale, suivie de loin par l’Italie, la Grèce, la Tunisie et la Turquie (avec près de 10 % pour chaque pays). La consommation annuelle globale est proche de 3,1 millions de tonnes.
Les deux dernières campagnes (2022-23 et 2023-24) ont été marquées par une sécheresse sévère en Espagne entraînant une chute importante de la production (respectivement 650 000 tonnes et 850 000 tonnes). Ceci a entrainé une contraction de l’offre mondiale et un déséquilibre, face à une demande plutôt croissante, qui a conduit à une flambée des prix. En 2024-25, avec une reprise de la production espagnole, estimée à 1,4 million de tonnes, et malgré une baisse de production en Italie, les marchés se sont rééquilibrés et les prix ont retrouvé leurs niveaux habituels des années précédentes.
A part l’huile d’olive italienne extra-vierge dont le prix reste élevé, partout on a assisté à une baisse notable des prix de l’huile avec des prix pratiqués dans les principaux pays producteurs très proches variant de nos jours entre 3,5 et 4 euros/kg (Oleista, la plateforme spécialisée dans le commerce de l’huile). En Tunisie, le prix moyen de l’huile d’olive est resté modéré, entre 11 et 12 dinars/litre (soit environ 12 à 13 DT/kg), grâce entre autres à l’exportation qui a absorbé une grande partie de la production.
Italie et Espagne: deux stratégies opposées
L’Italie et l’Espagne dominent le marché mondial, mais avec deux approches différentes. L’Italie mise sur la qualité et l’image de marque, l’Espagne travaille surtout sur la quantité et la compétitivité. L'huile d'olive italienne est la plus chère car elle combine tradition, qualité artisanale, faible volume, forte demande et excellente réputation. La production repose en grande partie sur de petits producteurs qui cultivent des oliviers en collines ou en montagnes. Les rendements par hectare sont faibles, la récolte est souvent manuelle et les coûts de production élevés.
En 2024-25, la production italienne a chuté de 324 000 à environ 225 000 tonnes seulement, en raison de conditions climatiques défavorables. Malgré qu’elle soit un grand producteur, l’Italie importe chaque année entre 400 000 et 500 000 tonnes d’huile d’olive, en partie pour répondre au déficit de la demande intérieure, mais surtout pour exporter après reconditionnement et valorisation. L’Italie exporte principalement vers les États-Unis, l’Allemagne et la France. Elle fait face néanmoins à plusieurs défis : coûts élevés, fraudes fréquentes, baisse de la consommation locale et production fluctuante.
L’Espagne est le premier producteur et exportateur mondial en termes de volume. La filière est hautement structurée, organisée et mécanisée. Elle combine de grandes exploitations modernes avec des structures coopératives très actives. Elle s’appuie sur l’innovation et la durabilité pour renforcer sa compétitivité. Le secteur reste toutefois vulnérable aux aléas climatiques (notamment la sécheresse) et subit la pression des coûts de production de plus en plus élevés et de la volatilité des prix.
Tunisie: un potentiel confirmé et des défis importants
L’oléiculture tunisienne couvre près de 2 millions d’hectares, sur une SAU totale de 5 millions d’hectares. L’essentiel de la culture est en sec, les superficies irriguées sont limitées (environ 250 000 ha). La production est très variable, dépendant du climat et de l’alternance biennale naturelle de l’olivier. En année favorable (comme 2019-20), la production peut atteindre 400 000 tonnes. En 2022-23 et 2023-24, elle était tombée à 180 000 tonnes pour reprendre à la hausse lors la saison en cours (340 000 tonnes).Le rendement moyen reste faible (entre 100 et 200 kg/ha, soit 10 à 20 kg d’olives/arbre), en raison essentiellement d’une conduite majoritairement extensive, traditionnelle. La consommation nationale se stabilise à 30 000 tonnes par an, le reste étant exporté, surtout vers l’UE (Espagne, Italie) et les Etats-Unis. La plus grande partie de l’huile est exportée en vrac, seuls 10% de la production est conditionné. La quantité d’huile, produite sous le mode biologique, exportée généralement conditionnée, est d’environ 50 000 tonnes/an. L’huile Tunisienne a reçu de nombreux pris et trophées lors de manifestations et concours internationaux.
La Tunisie ambitionne consolider sa position internationale et même devenir un leader mondial en matière de l’huile d’olive. L’oléiculture ne cesse de se développer, elle n’occupait que 700 000 ha en 1960. La Tunisie œuvre également pour l’intensification de la production (développement de l’irrigation et introduction de variétés hyper-productives) et la modernisation du secteur y compris celui des huileries. Un grand projet phare de développement de l’oléiculture dans le Sud tunisien, visant la création d’une oliveraie de 1 000 ha, est en cours dans la région de Tataouine. Les oliviers seront conduits en hypertensifs avec mécanisation intégrale et irrigation en goutte à goutte à partir de sondages profonds. A moyen terme, exporter 1 million de tonnes d’huile d’olive/an semble réalisable.
Une bonne récolte 2024-25, toutefois un marché perturbé
La récolte s’annonçait excellente. Le changement climatique semble avoir entrainé une précocité de la floraison et de la formation des olives. Echaudés par un prix de l’huile d’olive élevé durant la saison précédente, les agriculteurs se sont rués pour cueillir les olives avant même l’annonce de l’ouverture officielle des huileries. Celles-ci se sont trouvées rapidement débordées sachant que leur capacité de stockage était limitée et les exportations n’ont pas encore démarré.
Au niveau mondial, suite à l’abondance de l’offre, les prix de l’huile d’olive se sont effondrés. Au niveau local, les prix ont également suivi causant une vive déception chez les oléiculteurs surtout face à des couts de production fort élevés. Certains ont dû même abandonner leurs olives sur pied pour éviter les frais élevés de la cueillette. Les acheteurs et les exportateurs ont fini par hésiter à s’engager en attendant que les prix se stabilisent. L’Office national de l’huile a réagi tardivement, avec des mesures peu efficaces, une capacité de stockage insuffisante et des prix proposés aux agriculteurs jugés trop bas. Certaines quantités ont été écoulées via des mutuelles et grandes surfaces à un prix satisfaisant de 12 DT/litre, afin d’améliorer les conditions de stockage. Deux affaires ont particulièrement marqué la saison et aggravé la situation. Le premier et plus grand exportateur d’huile d’olive a été arrêté au mois de novembre pour blanchiment d’argent et corruption et un second, non moins important opérateur, a pris la fuite à l’étranger après avoir accumulé plus de 500 millions de dinars de dettes, impactant gravement les banques et causant la faillite de nombreuses huileries et agriculteurs.
Malgré ce climat un peu tendu et perturbé, la Tunisie est arrivée à exporter, entre novembre et avril, 180 200 tonnes d’huile, plus que l’année dernière, l’objectif étant d’exporter, d’ici la fin de la campagne, les 300 000 tonnes d’huile produite.
Perspectives: anticiper pour mieux valoriser
Les perspectives pour la campagne 2025-2026 sont globalement optimistes. Les conditions climatiques s’annoncent favorables dans l’ensemble du bassin méditerranéen. La production pourrait dépasser la moyenne des dernières années et même supérieure à celle de la campagne en cours. Les prix devraient se maintenir à des niveaux relativement stables.
En Tunisie, tous les signaux sont au vert pour une bonne récolte. Mais il ne suffit pas de produire, il faut aussi bien récolter, transformer et surtout valoriser notre huile d’olive. Pour y arriver, plusieurs leviers doivent être activé :
1/ Mettre en place une stratégie qualité tout au long de la filière
Une approche qualitative s’impose, de l’olivier au conditionnement final. Cela implique:
• Au niveau de l’agriculteur: récolte au bon stade de maturité, transport rapide et dans de bonnes conditions vers les huileries, interdiction de mélanger des olives fraîches avec celles tombées à terre.
• Au niveau des huileries: équipements modernes répondant aux normes d’hygiène et de qualité, maîtrise de l’ensemble du processus de trituration.
• Au niveau national: formations régulières des différents acteurs de la filière, subventions à la modernisation des unités de transformation, encouragement à la certification (biologique, AOC, etc.) et à la labellisation des produits de qualité.
2/ Stimuler et promouvoir la consommation locale
La consommation nationale reste faible (autour de 3 à 4 kg par habitant et par an), bien loin des niveaux observés dans d'autres pays producteurs (8 à 12 kg/hab/an). Cette consommation limitée est souvent liée au prix jugé élevé de l’huile d’olive, comparée aux autres huiles des graines commercialisées dans le pays. Revaloriser la place de l’huile d’olive dans l’alimentation quotidienne des Tunisiens est à la fois un enjeu de santé publique et de souveraineté alimentaire. Doubler la consommation nationale est un objectif réalisable à moyen terme. Pour cela, il est nécessaire de:
• Lancer des campagnes d’information et de sensibilisation sur les bienfaits nutritionnels et sanitaires de l’huile d’olive;
• Mobiliser les médias, les réseaux sociaux, les chefs cuisiniers et les influenceurs culinaires pour intensifier son usage;
• Organiser des dégustations dans les lieux publics, les écoles, les universités etc.
Augmenter la consommation locale permet de stabiliser les prix pour les producteurs, d’atténuer les effets de la volatilité des marchés internationaux et de renforcer la résilience de toute la filière oléicole.
3/ Moderniser et dynamiser la commercialisation
La mise en bouteille et le conditionnement de l’huile d’olive doivent être intensifiés. Ce secteur connaît de nombreuses innovations, permettant :
• De préserver la qualité de l’huile;
• De réduire les coûts et les impacts environnementaux liés aux emballages;
• De renforcer l’image de l’huile tunisienne sur les marchés internationaux.
Il est aussi essentiel de déployer des campagnes de promotion ciblées sur l’image d’une huile d’olive tunisienne haut de gamme, authentique, saine et produite avec soin. L’huile d’olive tunisienne n’a rien à envier à l’huile italienne.
Conclusion
L’olivier est un arbre béni, symbole de vie et de résilience. Il fait vivre des centaines de milliers de familles et soutient une part importante de notre économie. Produire est essentiel. Bien vendre, valoriser et faire connaître notre huile d’olive est vital pour l’économie nationale, indispensable à la rentabilité pour les agriculteurs et fondamental pour assurer la durabilité du secteur oléicole. Dans un monde où les marchés mondiaux sont instables et volatils, valoriser la consommation locale et mieux faire connaître notre produit à l’étranger sont deux stratégies complémentaires indispensables pour assurer la durabilité et l’épanouissement du secteur oléicole.
Notre huile est une véritable richesse, elle mérite toute notre attention. Elle doit être connue partout, reconnue et appréciée à sa juste valeur.
Ridha Bergaoui
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