Le neuromanagement : quand les neurosciences réinventent la conduite du changement

Par Fredj Bouslama - En 1992, dans son kimono japonais brandissant un aimant géant, le biophysicien et neuroscientifique Seiji Ogawa et ses complices John Belliveau et Pierre Bandettini annoncent au monde le lever de rideaux sur le cerveau en action. Presqu’un tour de magie, ces illuminés ont mis au point une technologie inédite qui permet de visualiser en « live » l’activité cérébrale. Après 8 000 ans de tentatives humaines pour percer les mystères du cerveau, des observations philosophiques de l’Antiquité aux dissections anatomiques de la Renaissance, l’invention de l’Imagerie par Résonance Magnétique Fonctionnelle, le fameux IRMf constitue un tournant décisif dans l’histoire de neurosciences. Ce gros tube révolutionnaire bruyant, crée un champ magnétique puissant et des ondes radio qui traversent la barrière osseuse et le mou et fragile tissu cérébral sans les abîmer. Ces ondes, captées par des antennes, permettent de reconstruire des images détaillées du cerveau et de son activité. Ainsi, les chercheurs ont pu suivre l’augmentation du flux sanguin dans les zones activées par une tâche motrice ou cognitive. Depuis cette percée, le savoir sur le cerveau humain s’est métamorphosé. Chaque jour, 50 à 100 articles scientifiques viennent enrichir un domaine qui, en trois décennies, a produit 90 % des connaissances actuelles sur l’esprit humain.
Les neurosciences extramuros
Au-delà des applications pharmaceutiques ou militaires des neurosciences, une nouvelle vague d'innovateurs a vu dans les découvertes sur le cerveau humain une opportunité bien plus lumineuse. Plutôt que de se limiter à créer des médicaments aux effets restreints ou à développer des armes cérébrales et cognitives, déjà en cours d'élaboration et d'utilisation, ces pionniers ont choisi d'explorer le potentiel du cerveau pour éclairer le chemin de l’humain ordinaire dans sa vie de tous les jours. Surnommés Neuro-praticien, ces experts issus d'horizons variés se consacrent à démystifier les rouages du cerveau, révélant ses merveilles et ses limites. Leur mission consiste à traduire les avancées des neurosciences en outils concrets pour améliorer la qualité de vie, la réussite professionnelle, les relations humaines, la performance au travail et même le bien-vieillir.
Ce courant a donné naissance à une myriade de disciplines incluant le préfixe « neuro », particulièrement dans le monde du travail, comme le neuromarketing, la neurovente, la neuroergonomie cognitive, le neuroleadership ou encore le neuromanagement. Bien que ces approches varient en qualité, elles ouvrent des perspectives fascinantes pour les organisations.
Les découvertes sur le cerveau offrent des clés pour optimiser la prise de décision, stimuler la créativité et renforcer la cohésion des équipes. Dans un monde où l'économie se transforme rapidement, où les marchés évoluent et où les entreprises doivent s'adapter à une réalité en perpétuel changement, l'agilité et l'apprentissage deviennent continuellement des impératifs vitaux pour survivre et prospérer.
L'avènement du neuromanagement
Dans ce contexte, le neuromanagement apparaît comme une boussole inédite. En s'appuyant sur les neurosciences, cette discipline éclaire la conduite du changement organisationnel et managérial, offrant aux entreprises des outils pour orchestrer des transformations avec fluidité et aligner leurs équipes sur une vision commune face à l'incertitude.
Bien que le cerveau soit structurellement et biologiquement universel, son fonctionnement reste profondément culturel et subjectif, façonné par les contextes sociaux et les expériences individuelles.
Cet article explore ces deux réalités inséparables, l'universalité des mécanismes cérébraux et la spécificité de leur expression locale, pour illustrer l'apport théorique et pratique du neuromanagement. Dans un monde où le changement est devenu une nécessité incontournable, les entreprises tunisiennes s'engagent, bon gré mal gré, dans une dynamique de transformation pour s'adapter à un marché mondial en constante évolution.
En Tunisie, où les entreprises naviguent entre des traditions hiérarchiques ancrées et les pressions d'une économie mondialisée, le neuromanagement prend une résonance particulière. Les dynamiques psychosociales locales influencent la manière dont le changement est perçu et adopté. Les approches classiques de conduite du changement, souvent rigides, méritent un regard critique. La suite de cet article propose une analyse de ces dynamiques psychosociales et des limites des méthodes traditionnelles, éclairée par les apports des neurosciences et du neuromanagement.
Comment manager une population en colère, stressée et désengagée
Dans un climat où les émotions bouillonnent et où l'engagement s'effrite, le paysage managérial tunisien révèle des défis d'une rare intensité. Selon le rapport annuel « State of the Global Workplace » de Gallup, publié en 2024, seuls 9 % des employés tunisiens se disent engagés dans leur travail, une baisse par rapport aux 11 % de 2023. À l'inverse, 44 % affichent un désengagement actif, tandis que 53 % des Tunisiens vivent un stress quotidien, 38 % ressentent de la colère et 16 % de la tristesse, avec seulement 10 % se manifestent épanouis.
Ces chiffres, reflets des pressions économiques et sociales qui traversent le pays, dressent le portrait d'un environnement où les tensions psychologiques entravent la dynamique des organisations. Face à cette réalité, les approches managériales traditionnelles, souvent inadaptées à de tels contextes émotionnels, montrent leurs limites.
Les écoles de management classiques, orientées sur des modèles rigides et des processus, n'ont pas préparé les dirigeants à affronter les tempêtes émotionnelles et mentales.
C'est dans ce contexte que le neuromanagement, ancré dans les neurosciences, ouvre une voie nouvelle. En décryptant les dynamiques psychosociales tunisiennes, marquées par des tensions culturelles et économiques, il propose des stratégies tenant compte des réponses émotionnelles et cognitives des individus. Contrairement aux méthodes classiques, souvent linéaires et directrices, le neuromanagement s'appuie sur une compréhension fine des mécanismes du cerveau pour concevoir des accompagnements du changement plus humains et adaptatifs.
Les approches classiques sous la loupe du neuromanagement
1. La résistance au changement revisitée
Loin d'être une rébellion volontaire, la résistance au changement s'enracine dans une réalité biologique, comme le révèlent les neurosciences. Le cerveau, dans une quête d'efficacité énergétique, privilégie les habitudes, qui représentent environ 40 % des comportements quotidiens (Neal, Wood, & Quinn, 2006). Ce mécanisme, véritable prouesse biologique, optimise la consommation d'énergie d'un organe énergivore. Bien que le cerveau ne constitue que 2 % du poids corporel, il accapare 20 à 25 % des calories au repos, et jusqu'à 12 à 15 % supplémentaires en situation de stress. Le changement, par nature perturbateur, génère du stress. Pour ancrer un nouveau comportement, le cerveau doit répéter et affiner un circuit neuronal, renforçant la connectivité des neurones jusqu'à ce que l'action devienne automatique et reléguée à l'inconscient. Un changement impose donc de démanteler d'anciens circuits pour en construire de nouveaux, un véritable chantier cérébral.
Les approches classiques, qui perçoivent la résistance comme une opposition à corriger, méconnaissent cette dynamique. Forcer un changement brutal perturbe ce processus de restructuration neuronale et active l'amygdale, le centre cérébral de la peur, amplifiant la résistance par une réponse de menace (Phelps & LeDoux, 2005). Le neuromanagement, en revanche, propose une approche plus nuancée, tenant compte des mécanismes biologiques et émotionnels pour accompagner le changement avec fluidité. En s'appuyant sur les neurosciences, il offre des outils pour transformer les résistances en opportunités, alignant les dynamiques cérébrales sur les impératifs de transformation des entreprises tunisiennes face à un marché en mutation.
2. Les émotions, un levier sous-estimé dans la conduite du changement
Dans les approches managériales traditionnelles, les émotions étaient souvent reléguées au rang d'obstacles, considérés comme incompatibles avec la rigueur professionnelle. Longtemps marginalisées, voire stigmatisées, elles restaient absentes des pratiques de gestion, malgré une évolution progressive des mentalités. Pourtant, la réalité impose une évidence. Un climat de souffrance psychologique entraîne la productivité, tandis qu'un état d'épanouissement favorise naturellement la performance organisationnelle.
L'étymologie du mot « émotion », dérivée du latin e-movere (« mettre en mouvement »), révèle leur essence, à savoir des forces dynamiques qui propulsent les pensées, les actions et les réactions physiologiques.
Les neurosciences, à travers des travaux comme ceux d'Antonio Damasio dans L'Erreur de Descartes, bouleversent l'idée d'une rationalité pure. Loin d'être des machines logiques, les humains sont d'abord mus par des processus émotionnels et inconscients. Le système limbique, centre des émotions, précède souvent le cortex préfrontal, siège du raisonnement, dans la prise de décision.
Ainsi, les choix émergent davantage des ressentis que de la logique, le raisonnement intervenant souvent pour justifier des décisions déjà ancrées inconsciemment. Cette perspective redessine les pratiques managériales en replaçant les émotions au cœur des dynamiques humaines.
Dans un contexte de changement, les émotions jouent un rôle déterminant. Les neurosciences montrent que le stress chronique et les émotions négatives, comme la colère ou la tristesse, diminuent la capacité d'apprentissage de 25 % en inhibant l'hippocampe, siège de la mémoire (McEwen, 2007).
À l'inverse, les émotions positives, telles que la joie, augmentent la flexibilité cognitive de 31 %, facilitant l'adhésion au changement (Fredrickson, 2009). Les approches classiques, en ignorant ce levier émotionnel, échouent à mobiliser les équipes face aux tensions psychosociales locales. Le neuromanagement, en revanche, propose de canaliser ces dynamiques émotionnelles pour transformer les défis en opportunités, offrant des stratégies adaptatives qui alignent les besoins humains sur les impératifs de changement organisationnel dans un marché en constante évolution.
3. Apprendre, c'est désapprendre, la plasticité cérébrale en action
Tout changement, organisationnel ou individuel, implique de déconstruire les habitudes ancrées grâce à la plasticité cérébrale, capacité du cerveau à remodeler ses connexions neuronales en réponse aux expériences.
Ce processus, loin d'être instantané, exige un effort soutenu. Instaurer un nouveau comportement demande en moyenne 66 jours de répétition pour qu'il devienne automatique, une durée qui varie selon la complexité de l'habitude et la régularité des efforts (Lally et al., 2010). Les recherches montrent également que 70 % des tentatives de changement échouent sans un accompagnement par un feedback structuré (Neal, Wood, Labrecque, & Lally, 2015).
Le feedback, en activant le cortex cingulaire antérieur, joue un rôle clé dans la détection des erreurs et la régulation cognitive. Sans retours précis, le cerveau peine à ajuster ses automatismes ou à ancrer de nouvelles compétences.
Contrairement aux approches classiques, qui stigmatisent l'erreur comme un échec, les neurosciences révèlent son rôle central dans l'apprentissage. Les travaux en neuroéducation montrent que l'apprentissage est optimal lorsque le feedback suit immédiatement une tentative, même imparfaite, permettant au cerveau de comparer l'action réalisée à l'objectif attendu (Hattie & Timperley, 2007). Dans des environnements comme les simulateurs de formation, un retour immédiat et personnalisé peut augmenter la rétention de 40 à 60 %. À l'inverse, l'absence de retours cristallise des comportements inefficaces, freinant l'adaptation.
En négligeant le rôle du feedback et de l'erreur productive, les méthodes classiques entravent la plasticité cérébrale, essentielle au désapprentissage et à l'adoption de nouveaux comportements.
Le neuromanagement, propose une entrée alternative sur des feedback structurés et bienveillants, favorisant une culture d'apprentissage continu.
L’harmonisation des pratiques managériales avec les mécanismes cérébraux, offre des outils pour accompagner les transformations organisationnelles dans un environnement marqué par l'incertitude et les défis psychosociaux.
4. L'élan cognitif, un échauffement essentiel pour le cerveau
À l'image d'un muscle qui se fortifie par l'exercice, le cerveau gagne en efficacité grâce à une stimulation ciblée et régulière. Cette dynamique, qualifiée d'élan cognitif, s'apparente à un entraînement sportif. Chaque effort renforce les connexions neuronales, améliore la concentration, accélère la mémorisation et fluidifie la compréhension, comme un athlète affûtant sa précision.
Les neurosciences confirment l'efficacité de cette approche graduelle. Une méta-analyse de 50 études montre que les formations progressives améliorent la rétention des compétences de 40 % par rapport aux approches intensives (Hattie & Yates, 2013). À l'inverse, 60 % des échecs d'apprentissage en entreprise résultant d'une surcharge cognitive initiale, qui dépasse les capacités mentales (Sweller, Ayres, & Kalyuga, 2011).
Un environnement d’apprentissage optimal repose sur un climat de sécurité et de prévisibilité, favorisant la disponibilité mentale et l’ouverture à la nouveauté, conditions essentielles à une adaptation durable.
Les approches classiques, en imposant des changements sans anticiper les besoins cognitifs, freinent l'engagement et l'apprentissage. Le neuromanagement, propose une alternative proactive, où la formation précède et catalyse le changement. En structurant des parcours d'apprentissage graduels, alignés sur les mécanismes cérébraux, il permet d'accompagner les transformations organisationnelles avec agilité, renforçant la résilience et l’adaptabilité des entreprises.
5. Communication, au-delà du discours descendant
Les approches classiques de conduite du changement mettent l'accent sur la communication, mais souvent sous une forme réductrice, centrée sur la transmission rationnelle d'informations.
Communiquer des chiffres, objectifs ou plans d’action pour convaincre et mobiliser les acteurs s’adresse au cortex préfrontal, siège du raisonnement logique. Bien que nécessaire, cette approche reste insuffisante pour susciter l’engagement ou transformer les comportements. Une communication efficace, en période de transformation, mobilise l’ensemble des dynamiques cérébrales, notamment les émotions, au-delà de la seule logique.
Par ailleurs, l’usage exclusif de modèles descendants, où l’information circule de la direction vers les collaborateurs dans une logique verticale, renforce les distances hiérarchiques, alimente les résistances et freine l’engagement, surtout en contexte incertain.
Les neurosciences révèlent qu'une communication efficace repose sur l'écoute active, un levier permettant de saisir les représentations mentales des individus, de détecter leurs inquiétudes et de repérer les signaux faibles pour ajuster les stratégies aux réalités du terrain.
La persuasion, loin de se limiter à un discours rationnel, mobilise le système limbique, engageant les émotions et les instincts (Zaki, Bolger, & Ochsner, 2008). Une communication ascendante, prenant en compte les préoccupations individuelles, satisfait les besoins instinctifs du cerveau, qui privilégient la reconnaissance personnelle (Grant, 2013).
Les discours axés uniquement sur les objectifs collectifs ou organisationnels, en négligeant ces mécanismes émotionnels, affaiblissent l'engagement (Wood & Neal, 2007).
Les neurosciences de la persuasion suggèrent dans ce contexte une communication bidirectionnelle, intégrant l'écoute active et la persuasion émotionnelle pour aligner les aspirations individuelles sur les objectifs de transformation organisationnelle.
6. Changer l'organisation, c'est aussi changer les perceptions sensorielles
Une transformation organisationnelle ou managériale ne peut s'ancrer durablement sans tenir compte de la dimension sensorielle et perceptive des individus.
Le cerveau, en interaction constante avec son environnement, est façonné par ce qui est vu, entendu, touché ou respiré. Ces stimuli influencent l'attention, l'humeur et le niveau de stress, jouant un rôle clé dans l'acceptation du changement.
Reprogrammer délibérément la perception sensorielle de l’environnement de travail influence les processus mentaux supérieurs. En agençant convenablement l’expérience sensorielle quotidienne des employés et des acteurs de l’entreprise pendant la phase de changement, on favorise l’adhésion, qui dépend non seulement de la raison, mais aussi des sensations perçues.
Des stimuli sensoriels dans l’environnement de travail, comme des repères visuels, sonores ou tactiles, signalent qu’un changement est en cours et guident ainsi inconsciemment le cerveau dans son processus d’intégration du changement.
Les neurosciences montrent que des stimuli sensoriels correspondent au message de changement renforçant la sensation de sécurité, activant des circuits cérébraux d'ouverture et de coopération (Sarter et al., 2006). Une incohérence, comme un discours promettant le bien-être dans un cadre bruyant ou oppressant, stimule l'amygdale, centre de la peur et de la méfiance.
7. Le pouvoir des neurones miroirs, changeur par l'exemple
Les neurones miroirs, découverts dans les années 1990 par Giacomo Rizzolatti et son équipe à l'université de Parme, sont des cellules cérébrales qui s'activent à la fois lorsque nous exécutons une action et lorsque nous observons quelqu'un d'autre la réaliser. Cette activation permet de comprendre les gestes et les intentions d'autrui, facilitant l'apprentissage par imitation et l'empathie.
Ces cellules cérébrales sous-tendent environ 80 % des apprentissages moteurs, sociaux et émotionnels, qui passent par l'imitation (Rizzolatti & Craighero, 2004). Elles constituent le fondement biologique de l'apprentissage par observation, de l'empathie et de la synchronisation des comportements. Elles jouent donc un rôle clé dans les dynamiques collectives.
Dans un contexte professionnel, les collaborateurs absorbent les comportements avant même de les rationaliser. Les attitudes émotionnelles, relationnelles, voire posturales des dirigeants sont inconsciemment imitées, influençant le stress, la motivation et la collaboration au sein des équipes (Iacoboni, 2009). Ainsi, le comportement des dirigeants devient un modèle implicite, bien plus puissant que les discours ou les directives. Une incohérence entre les valeurs prônées, comme la transparence, et une posture distante crée une dissonance cognitive freinant l'adhésion au changement. À l'inverse, lorsque les dirigeants incarnent visiblement les pratiques attendues, les neurones miroirs facilitent une imitation naturelle, renforçant l'engagement.
Les approches classiques, qui exigent des transformations sans offrir de modèles comportementaux cohérents, se heurtent aux limites de la persuasion abstraite. Dans une approche neuro-managériale, les leaders deviennent des vecteurs vivants du changement. En exploitant le pouvoir des neurones miroirs, cette approche favorise une contagion comportementale, alignant les actions individuelles sur les objectifs de transformation, et renforçant la capacité des entreprises tunisiennes à évoluer dans un environnement en mutation rapide.
8. Tout est dans l'attention, le levier invisible du changement
Le cerveau humain, submergé par un flux constant d'informations, filtre rigoureusement ce qu'il traite. Environ 400 milliards de bits par seconde, issus de l'environnement externe et des signaux internes comme la proprioception, affluent vers le cerveau, mais seuls 2 000 bits sont traités consciemment (Nørretranders, 1998). Ce tri est orchestré par le Système d'Activation Réticulaire (SAR), une structure du tronc cérébral agissant comme un filtre attentionnel, bloquant jusqu'à 99 % des stimuli pour ne retenir que ceux alignés sur les priorités, émotions ou attentes du moment.
L'attention, en orientant la perception, façonne le comportement. Comme l'exprimait William James, pionnier de la psychologie moderne, « mon expérience est ce à quoi je choisis de prêter attention ». La réalité psychique, loin d'être un reflet objectif, dépend de ce que le cerveau sélectionne.
Dans un contexte professionnel, transformer des pratiques ou des postures nécessite de réorienter ces filtres attentionnels. Valoriser les succès collaboratifs, ritualiser les moments de coopération ou introduire des signaux visuels et émotionnels marquants permet de recentrer l'attention des équipes sur les nouvelles dynamiques souhaitées.
Les neurosciences cognitives confirment que l'attention, ressource limitée, est soumise à une compétition intense entre stimuli (Desimone & Duncan, 1995). Dans des environnements professionnels saturés de sollicitations, les approches classiques, qui négligent ce mécanisme, peinent à capter l'intérêt pour les nouvelles pratiques.
Le neuromanagement propose une approche stratégique pour guider les filtres attentionnels, non par contrainte, mais par une mise en lumière des comportements et résultats attendus. En canalisant l'attention, cette approche facilite l'adhésion aux changements, renforçant la résilience des entreprises tunisiennes face à un marché en perpétuelle évolution.
Conclusion, des leaders neuro-sensibles pour transformer les organisations
Les neurosciences, en révélant les mécanismes du cerveau humain, bouleversent les approches traditionnelles du changement. Le management classique, ancré dans une vision purement rationnelle de l’individu, néglige les leviers puissants que sont l’inconscient, les émotions, les perceptions sensorielles la plasticité cérébrale et les mécanismes attentionnels pourtant décisifs dans la conduite des transformations organisationnelles.
C’est dans cette faille que s’impose le neuromanagement, un champ disciplinaire désormais incontournable. En s’appuyant sur les découvertes neuroscientifiques, il offre aux leaders des méthodes éprouvées pour optimiser l’accompagnement du changement.
Dans un contexte où les mutations s’accélèrent, émerge une nouvelle figure : le leader neuro-sensible, capable de décrypter les réactions cérébrales (apprentissage, filtrage, adaptation) pour concevoir des environnements propices à l’engagement. Écoute active, cohérence comportementale, stimulation sensorielle et maîtrise de l’attention deviennent ainsi des outils stratégiques.
Face à une complexité managériale croissante et une nécessité d’adaptation permanente, cette approche constitue un avantage compétitif. Le neuromanagement ne se contente pas de piloter le changement ; il en crée les conditions neuronales et humaines pour une ancrage durable, renforçant la résilience des entreprises dans un marché en mutation constante.
Fredj Bouslama
Neuropraticien
CEO Octogo formation et conseil
Références bibliographiques
Belliveau, J. W., Kennedy, D. N., McKinstry, R. C., Buchbinder, B. R., Weisskoff, R. M., Cohen, M. S., ... & Rosen, B. R. (1991). Cartographie fonctionnelle du cortex visuel humain par imagerie par résonance magnétique. Science, 254(5032), 716–719. https://doi.org/10.1126/science.1948051
Fredrickson, B. L. (2009). Positivité : une recherche révolutionnaire révèle comment exploiter la force cachée des émotions positives. Archétype de la Couronne.
Gallup. (2020). État du lieu de travail mondial. https://www.gallup.com/workplace/349484/state-of-the-global-workplace.aspx
Grant, A. M. (2013). Donner et recevoir : une approche révolutionnaire du succès. Penguin Books.
Hattie, J., & Yates, G. C. R. (2013). L'apprentissage visible et la science de l'apprentissage. Routledge.
Iacoboni, M. (2009). Imitation, empathie et neurones miroirs. Annual Review of Psychology, 60, 653–670. https://doi.org/10.1146/annurev.psych.60.110707.163604
Ito, M. (2008). Contrôle des activités mentales par des modèles internes dans le cervelet. Nature Reviews Neuroscience, 9(4), 304–313. https://doi.org/10.1038/nrn2332
Kotter, J. P. (1995). Mener le changement : pourquoi les efforts de transformation échouent. Harvard Business Review, 73(2), 59–67. https://hbr.org/1995/03/leading-change-why-transformation-efforts-fail-2
Lally, P., Van Jaarsveld, C. H. M., Potts, H. W. W., & Wardle, J. (2010). Comment se forment les habitudes : modélisation de la formation des habitudes dans le monde réel. Revue européenne de psychologie sociale, 40(6), 998–1009. https://doi.org/10.1002/ejsp.674
McEwen, B. S. (2007). Physiologie et neurobiologie du stress et de l'adaptation : rôle central du cerveau. Physiological Reviews, 87(3), 873–904. https://doi.org/10.1152/physrev.00041.2006
Neal, D. T., Wood, W., & Quinn, J. M. (2006). Habitudes – une performance répétée. Current Directions in Psychological Science, 15(4), 198–202. https://doi.org/10.1111/j.1467-8721.2006.00435.x
Neal, D. T., Wood, W., Labrecque, J. S., & Lally, P. (2015). Comment les habitudes influencent-elles le comportement ? Déclencheurs perçus et réels d'habitudes dans la vie quotidienne. Journal of Experimental Social Psychology, 60, 49–58. https://doi.org/10.1016/j.jesp.2015.04.018
Nørretranders, T. (1998). L'illusion de l'utilisateur : réduire la conscience à sa juste mesure. Penguin Books.
Phelps, E. A., & LeDoux, J. E. (2005). Contributions de l'amygdale au traitement des émotions : des modèles animaux au comportement humain. Neuron, 48(2), 175–187. https://doi.org/10.1016/j.neuron.2005.09.025
Rizzolatti, G., & Craighero, L. (2004). Le système des neurones miroirs. Annual Review of Neuroscience, 27, 169–192. https://doi.org/10.1146/annurev.neuro.27.070203.144230
Sarter, M., Gehring, W. J., & Kozak, R. (2006). Une attention accrue est nécessaire : la neurobiologie de l’effort attentionnel. Brain Research Reviews, 51(2), 145–160.
Sweller, J., Ayres, P., & Kalyuga, S. (2011). Théorie de la charge cognitive. Springer.
Thaler, R. H., & Sunstein, C. R. (2008). Nudge : améliorer les décisions concernant la santé, la richesse et le bonheur. Presses universitaires de Yale.
Wood, W., & Neal, D. T. (2007). Un nouveau regard sur les habitudes et l'interface habitude-objectif. Psychological Review, 114(4), 843–863. https://doi.org/10.1037/0033-295X.114.4.843Z
aki, J., Bolger, N., & Ochsner, K. (2008). Mécanismes cérébraux de la persuasion : comment le « pouvoir expert » module la mémoire et les attitudes. Neurosciences sociales, cognitives et affectives, 3(3), 235–246. https://doi.org/10.1093/scan/nsn020