Le Palais de Justice de Tunis: Aux origines d’un monument et d’une institution

Imposant de par son architecture et sa décoration, historique de par les grands procès qui s’y sont déroulés, le Palais de Justice de Tunis est un véritable monument patrimonial. Classé monument historique dès 2001, il garde une originalité particulière. Nombreux sont les justiciables, les avocats et leurs clercs, les experts judiciaires et les militants qui le fréquentent, sans pour autant connaître son histoire et ses secrets. C’est ce que nous fait découvrir Néji Zaïri dans son nouvel ouvrage «La salle des pas perdus» qui vient de paraître aux Editions Nirvana. Au moment où le projet de construction d’un nouveau Palais de Justice prend forme, l’ouvrage marque une œuvre initiale et son temps.Ni historien, ni architecte, mais journaliste, c’est-à-dire doté d’un sens de l’investigation et d’une plume bien trempée, il n’a d’autre prétention que de faire revisiter, documents puisés à bonne source, l’histoire de ce monument et faire visiter ses différentes composantes. Parler du Palais de Justice de Tunis, c’est aussi parler de l’ordre juridictionnel, des lieux, de leur architecte et des magistrats qui y ont officié. C’est ce que propose l’auteur.
Les lieux et leurs maîtres
L’évocation de l’architecture renvoie nécessairement à la volonté des autorités françaises de l’époque de doter la Tunisie d’édifices emblématiques qui symbolisent la puissance du pouvoir. Mais aussi traduire une forte imprégnation de l’architecture arabo-mauresque à «enrichir, raffiner et lui faire épouser le sens de la fonctionnalité». C’est ainsi que le Palais de Justice construit sur le boulevard Beb-Bnet (donnant de l’autre côté sur celui de la Ceinture, devenu 9-Avril), s’inscrit dans l’enfilade des bâtisses allant de l’actuel ministère des Finances, sur la place de la Kasbah, à celles des ministères de l’Education et des Affaires sociales. Des variations sur un même style, sous la touche d’architectes différents. Il s’agit notamment de Jean-Emile Resplandy, Guy Raphaël, Henri Saladin et de leurs contemporains. Leurs empreintes sont encore visibles à Tunis, mais aussi à Sousse, à Sfax et dans d’autres villes.Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils sortent tous de l’Ecole des beaux-arts de Paris, sont arrivés jeunes à Tunis, parfois après un passage par Alger, et entendaient faire preuve d’innovation et de créativité. Ils effectueront leurs premières armes à la Direction des travaux publics et certains parmi eux finiront par prendre les rênes de cette importante direction, ce qui leur permettra de superviser de nombreux chantiers à la fois.
Un projet ambitieux
La construction d’un nouveau Palais de Justice à Tunis avait été rendue nécessaire par l’encombrement des locaux affectés à la justice au Palais Kheireddine. Trois emplacements avaient été envisagés : le palais Mustapha Ben Ismail, rue Al Pacha, un terrain sur le boulevard Beb-Bnet et un autre dans la ville européenne. Le choix se portera sur celui du boulevard Beb-Bnet, offrant 4 643 m3, avec une façade de 72 m2.C’est l’architecte Jean-Rémy Resplandy (né en 1866 à Perpignant et mort en 1926 à Tunis) qui sera chargé du projet. Les travaux commenceront en 1900 et seront achevés pour accueillir la nouvelle année judiciaire 1902-1903. L’architecte déploiera tout son talent, assisté pour la décoration par Régis Petit. La construction sera engagée par étapes successives. Au départ, il s’agissait d’accueillir les services de Justice avec le tribunal qui ne comptait que deux chambres. Le reste du palais devait être affecté à la Direction du service topographique et abriter un commissariat de police. Des extensions progressives interviendront en 1914, 1926, 1930 et 1940 (pour abriter la Cour d’appel). L’ordonnancement du Palais de Justice fera merveille avec sa façade majestueuse, en retrait, avec de multiples entrées latérales, son grand escalier d’honneur, sa salle des pas perdus, ses salles d’audiences, les bureaux des magistrats, le greffe, les archives, le bureau du conseil de l’Ordre des avocats et sa bibliothèque, et autres. De hauts plafonds, partout un marbre soigneusement choisi, de grandes portes en bois massif, des ameublements appropriés et un sens aigu des impératifs de sécurité, mais aussi de la fluidité de la circulation à l’intérieur.
Là où tout se noue et se dénoue
Véritable lieu de transition, ce grand vestibule qu’est la salle des pas perdus est à la fois le passage obligé, de croisements et de rencontres. La salle fait plus de 530 m2 (53.6 x 10), surplombée par un grand lustre pendant d’un toit richement décoré. Des vies, des affaires, des secrets, des négociations, des joies et des peines : tout est là. C’est ce qui lui a valu le titre du livre, comme l’explique l’auteur. Jean-Émile Resplandy s’exercera à travers le Palais de Justice à décliner le style Art nouveau qu’il introduit pour la première fois en Tunisie. Il développera son talent dans d’autres édifices, notamment le Théâtre municipal de Tunis, l’ancien Hôtel de Ville de Tunis (avenue de Carthage), le ministère de l’Education, et autres. Il supervisera les plans et la construction de l’hôtel de la Compagnie des phosphates de Gafsa (Les Oliviers) et l’Hôtel de Ville de Sfax, conçu par son disciple Raphaël Guy…
Vers d’autres pistes
Au-delà de l’architecture, l’ouvrage évoque la justice tunisienne après l’indépendance, mentionne les traditions protocolaires respectées lors des séances solennelles d’ouverture de l’année judiciaire, et autres moments forts. Il citera les différents magistrats qui se sont succédé depuis l’indépendance à la présidence du tribunal de première instance de Tunis. L’ensemble est illustré par une iconographie abondante en textes, plans et documents.Le mérite de Néji Zaïri, à travers ce livre, est d’attirer notre attention sur la richesse de ce patrimoine et de nous inviter à découvrir d’autres pistes, qu’il s’agisse de l’histoire de la justice ou de l’architecture précoloniale et coloniale. Dans sa préface, l’historien Hédi Timoumi n’a pas manqué de le saluer.
La salle des pas perdus
Aux origines du palais
de Justice de Tunis
de Néji Zaïri
Editions Nirvana, 2025, 10 pages, 40 DT.