Abdelaziz Kacem: Vulgarité, mensonge et gangstérisme

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Nous sommes les témoins oculaires d’un monde qui s’autodétruit. Nous avons le triste privilège de mettre un nom sur le visage hideux des cavaliers de l’apocalypse. Je suis fortement démangé par le désir de commenter l’actualité. Mais elle est si affolée que, sitôt dit, le plus pertinent des commentaires, est vite frappé de caducité. Le fin mot de l’histoire est loin d’être dit. Le sera-t-il, dans les horribles clameurs des monstres. Le dialogue des cultures n’a plus de sens.
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Un phénomène nouveau et révélateur colle et commande aux événements: la vulgarité. Ma profession de foi maintes fois déclarée est bien celle-ci : «J’aime les mots, j’ai foi en la littérature.» Étudiant ou enseignant, j’ai toujours cultivé l’amour du mot bien dit. Ce raffinement est le seul luxe auquel j’ai constamment sacrifié. En lettres, cela va de soi, mais aussi en sciences politiques. N’est-ce pas aussi la vocation de la diplomatie ?
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Je l’ai dit et écrit et je le répète, j’ai appris le français chez mes classiques, mes romantiques, mes surréalistes et tous les esthètes du verbe, jusque chez un écrivain latin par excellence, le général de Gaulle. Un intellectuel du XIXe siècle finissant, académicien et professeur au Collège de France, disait : le français ne sera jamais une langue réactionnaire. Que si, hélas, Monsieur Renan ! Là, je ne parlerai ni d’une extrême droite inculte, ni d’intellectuels moralement handicapés, ni de journaleux virussés et véreux, mais d’hommes d’État sans panache…
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Dans les années vingt du siècle dernier, Habib Bourguiba, étudiant en droit et Science Po, à Paris, allait souvent au Palais Bourbon, rien que pour écouter les joutes oratoires des ténors de l’Assemblée nationale. Peu lui importait leur appartenance politique. C’était pour la qualité du verbe qu’il tenait à les écouter, un verbe qu’il retournera contre ceux d’entre eux qui se montraient sourds aux revendications des peuples assujettis. Jusqu’à Jacques Chirac inclus, tous les hommes politiques de gauche ou de droite libérale tenaient un discours soutenu et truffé de références. Mais depuis le très présidentiel «Casse-toi, pauv’ con!», le niveau chuta vertigineusement.
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Bien évidemment, le Guinness de la vulgarité en politique revint de droit à George W Bush, avant d’en être dessaisi par Donald Trump. Son élection démocratique, certes, nous renseigne plus sur le degré d’encanaillement d’un électorat que sur la trivialité d’un élu. Malheureusement, ce comportement choquant est en train d’être banalisé. Le président actuel des États-Unis sait parfaitement dans quel mépris il est tenu par les élites du monde. Il s’en fiche. Grand bien lui fasse ! Sauf que cette méconduite déteint sur une planète en dérèglement suicidaire. Ses gros mots, ses gestes obscènes, son mépris de la morale ne dédouanent pas ses prédécesseurs. Le monde est, depuis 1492, malade de son nouveau monde.
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Et Netanyahu dans tout cela ? Juste un mafieux, un arsouille, sans foi ni loi. Sans le soutien massif des différents présidents américains, sans la pusillanimité des Européens, le boucher de Gaza n’aurait pas fait autant de dégâts. En 1998, lassé par les louvoiements de ce Méprisable, le président Jacques Chirac lui a jeté en pleine figure : «Je ne crois pas un seul mot qui sort de votre bouche, toute votre politique consiste à provoquer les Palestiniens.» Mais n’est pas Chirac qui veut.
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Menteur, le chef du régime israélien a été à bonne école. C’est aux États-Unis que se fabrique le mensonge à une échelle industrielle : les imaginaires armes de destruction massive en Irak, la supposée menace nucléaire, les incubateurs prétendument volés par l’armée irakienne à l’hôpital de Koweït-City, après en avoir extirpé les bébés prématurés. Mais Netanyahu ne ment pas quand il dit que ce sont les sénateurs américains qui l’exhortent à vider Gaza par tous les moyens. C’est Trump qui exhibe la carte d’Israël en soulignant son exiguïté. C’est aussi pour l’agrandir qu’il entend redessiner les frontières découlant de la partition tracées par le duo de sinistre mémoire, Sykes-Picot.
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Lors de la conférence de presse, du 4 février 2025, à la Maison Blanche, Donald Trump, au grand plaisir de Netanyahu, exhibait la carte géographique de la Palestine historique. Un «petit territoire qui a la taille d’un stylo sur mon bureau, dit-il» et d’ajouter : «il n’est pas bon qu’Israël dispose d’un si petit État», sous-entendu, il faut l’élargir au mépris du droit international et au détriment des pays voisins, la Syrie, le Liban, mais aussi l’Égypte. Dans le cadre du Grand Moyen-Orient.
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Le nombre de juifs qui s’opposent au génocide s’accroît. Ils méritent notre respect. Mais nul n’ignore que tuer les Goyim pour disposer de leurs biens est une obligation talmudique. Dans son roman, Le cimetière de Prague, Umberto Eco écrivait : «Les hommes ne font jamais le mal aussi complètement et aussi ardemment que lorsqu’ils le font par conviction religieuse.»
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C’est du gangstérisme aux dimensions cosmiques. Rappelons-nous les mémoires du général Smedley Butler (1888-1940) parus sous le titre de La guerre est un racket. «Quand je repense à tout ça, avoue-t-il, je pourrais donner à Al Capone quelques conseils. Le mieux qu’Al Capone pouvait faire, c’était de racketter trois quartiers. Moi j’agissais sur trois continents.» Le Président américain s’est rendu récemment aux pays que l’on sait pour empocher cinq mille milliards de dollars, prix de la protection qu’il leur procure contre le danger que lui-même représente. En suivant les reportages, je n’ai pu m’empêcher de penser à un chef de la Camorra rackettant les commerces qu’il protège contre lui-même.
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La Russie et la Chine s’évertuent à abattre l’unipolarité, pour un ordre mondial plus équilibré. In God we trust ! Cette profession de foi est inscrite sur le billet vert. Elle est vouée au dieu-dollar, qui semble invincible. La dédollarisation est la décolonisation de demain.
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La Russie et la Chine s’évertuent à abattre l’unipolarité, pour un ordre mondial plus équilibré. Mais le dieu-dollar semble invincible. Le poète le savait :
Karl a perdu c’était prévu c’était fatal
Le Veau d’or finit par ruiner le Capital
Non point en opposant le mental au mental
Mais à coups de milliards le dollar est létal
Abdelaziz Kacem
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