News - 18.07.2025

Yadh Ben Achour - Chawki Gaddes: le juriste, entre l’art et la science

Yadh Ben Achour - Chawki Gaddes: le juriste, entre l’art et la science

Par Yadh Ben Achour - Dans l’humaine transhumance de nos vies, il existe des moments intenses d’émotion, de douleur, de stupeur, de défi, au cours desquels le destin et le temps semblent suspendus. Un profond désarroi nous saisit alors. Chawki Gaddès n’est plus. La mort de Chawki vient de frapper sa famille, ses amis et son monde, notre monde. Que Salwa et ses enfants, que sa maman lla Monjia, que ses oncles et tous ses parents sachent que leur chagrin se vit dans le partage. Chawki, vous le savez, était un peu mon enfant.

Plus forte est la présence, plus douloureuse est l’absence. Encore étudiant, Chawki se distinguait déjà par sa péremptoire visibilité. Cette dernière n’était pas seulement de taille, mais d’être.  Chawki était toujours là, il est là, il sera là. Au Centre d’études de recherches et de publications, à l’Association tunisienne de droit constitutionnel, au cours de mon décanat à la faculté des Sciences juridiques, à la Haute instance de réalisation des objectifs de la révolution, à titre officiel ou officieux, il était là pour éclairer, conseiller, interroger. Cette qualité de la présence, il la conservera tout au cours de sa carrière d’universitaire. Chawki était toujours au charbon. Il donnait sans compter. Avait-on besoin d’organiser un évènement académique, avait-on besoin de conclure un travail quelconque, de numériser une bibliothèque : il était là pour parfaire. Ce n’est pas, loin s’en faut, qu’il s’imposait, mais que nous nous l’imposions nous-mêmes, par le seul fait de son engagement, de son savoir-faire, de sa délicatesse et de la clarté de son esprit.

Chawki avait en effet l’esprit clair, précis, millimétré. Je n’oublierai pas l’assiduité et la précision  avec lesquelles, en 1987, encore étudiant, il avait préparé son mémoire sur le «Recours en Cassation dans le contentieux administratif». Il faisait partie de ces juristes scientifiques et artisans, avec son sens du détail et sa précision artistique et technicienne.

Ce don de la technique et de l’art du bien-faire lui permit de déborder très largement le champ juridique pour embrasser des horizons éloignés, mais qu’il mit au service du droit, pour notre bonheur à tous. C’est ainsi qu’il devint la référence de l’informatique juridique, qu’il enseigna à la faculté des Sciences juridiques pendant une vingtaine d’années entre 1991 et 2010. Il devint également le spécialiste incontournable de la protection des données personnelles et présida entre 2015 et 2023  l’Instance nationale de protection des données personnelles. Dans l’exercice de cette activité, il mena des batailles d’idées, de projets et d’actions, parfois pénibles, contre certains malentendants. L’intelligence artificielle et les technologies avancées de la communication n’avaient pas pour lui de secret. Dans ces domaines, il était devenu notre guide et je peux témoigner que j’ai appris de lui, à mon plus grand profit, d’innombrables techniques pour travailler mieux, gagner du temps, économiser les efforts. Je me souviens du temps très éloigné, vers 1990, où prenant encore l’informatique en suspicion, je lui disais :  «Chawki, moi je travaille encore avec l’esprit du chandelier et de la plume d’oie ! Il ne me manque que le buvard à sable !!». Il me répondait avec un tendre sourire malicieux et complice: «Qui vivra verra!». On aura tout vu en effet. Avec toi, j’ai changé de siècle. Mais pouvais-je supposer que, de mon vivant, je verrais s’éteindre ta prodigieuse énergie? Tu me surprendras toujours, mon bon compagnon. Va ! La lumière à présent t’appartient.

Yadh Ben Achour
Ancien doyen de la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis

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