Slim Laghmani : A Chawki

Beaucoup traversent la vie comme une ombre, beaucoup «ont eu» plutôt qu’ils n’«ont été», Chawki الله يرحمو وينعمو «a été» au sens le plus profond du verbe être.
J’ai connu Chawki étudiant, en troisième année de maîtrise de droit public, il y a de cela quarante-deux ans, j’étais son assistant en travaux dirigés de droit international. L’étudiant, élégant, sérieux et studieux, est ensuite devenu l’ami et le frère.
Chawki a été aussi mon enseignant : il me voyait peiner à rédiger manuellement ma thèse et m’a initié au traitement de texte, et il m’a vu préparer artisanalement un répertoire de jurisprudence et m’a appris le traitement de fichiers… Combien de fois l’ai-je appelé au secours ? Je ne sais pas, mais certainement un nombre de fois qui donne une idée de l’infini.
Pendant quatorze ans, nous avons également été voisins. Voisins grâce à lui, puisque c’est à son initiative que nous avons, Monia et moi, acheté un appartement dans la même cité. Une jolie cité dont nous avions constitué le syndic, un syndic actif et efficace, en grande partie grâce à Chawki.Quand Chawki entreprenait quelque chose, il s’y donnait tout entier, sans compter son temps. Ce fut le cas à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis et ce fut, ensuite, le cas à l'Instance nationale de protection des données personnelles qu’il a dirigée jusqu’à son départ à la retraite. D’autres pourraient parler mieux que moi de sa présidence de l’Inpdp, mais je sais qu’il y consacrait tout son temps et aussi son argent. Je sais qu’il y faisait tout, notamment tout ce qu’un « président » ne fait pas. Mais de la Faculté je peux parler : pendant les six années de départ, pendant le décanat de Si Abdelfattah Amorالله يرحمو, nous y passions plus de temps que chez nous. L’informatisation de l’administration, de la bibliothèque, de la gestion des examens, c’était Chawki. S’il y avait une ambiance de famille à la Fac, si l’harmonie l’emportait dans les rapports entre étudiants, fonctionnaires, agents et enseignants, c’était, certes, grâce à Si Abdelfattah, mais aussi grâce à Chawki.
Chawki était un homme honnête. Il a suivi dans sa vie les règles fondamentales de la justice : honeste vivere, alterum non laedere, suum cuique tribuere (vivre honnêtement, ne pas faire de tort à autrui, donner à chacun ce qui lui revient).
Chawki était un homme poli, prévenant et serviable, en un mot : aimable et, donc, aimé. Il ne manquait pas de nous informer des bonnes et des moins bonnes nouvelles, de nous indiquer les itinéraires, de nous fournir les contacts…
Chawki était un homme généreux : donner était, pour lui, une nature. Il n’a cessé de donner de son temps et de son argent. Non pas de son temps perdu ou de son argent thésaurisé, non cela ce n’est pas de la générosité, mais un investissement ; il a donné de son temps utile et de l’argent dédié à ses besoins.
Chawki était un homme de principes, son dévouement à la cause d’élections honnêtes et transparentes et, ensuite, à celle de la protection des données personnelles en témoigne. Protection des données personnelles ! Quoi de plus éloigné de notre culture communautaire qui confond intimité avec secrets inavouables et qui ne voit dans l’affirmation des droits de l’individu qu’une marque d’individualisme. Pourtant, Chawki, par sa science et sa sincérité, a su convaincre, il a laissé son empreinte et ainsi contribué à l’enracinement de la modernité.
Je n’ai jamais eu une bonne mémoire et je crains qu’en en appelant à mes souvenirs pour rendre grâce à Chawki, ils ne m’aient trahi. Je dirai alors mes sentiments : je dirai la solitude dans laquelle son départ m’a enfermé ; je dirai qu’il a fallu son absence pour que je sache à quel point il était présent ; je dirai le vide sidéral que, dans mon âme, son départ a laissé ; je dirai les larmes qui sont sorties de je ne sais où, moi qui ne me savais pas encore capable de pleurer comme un enfant.
Et à toi, Chawki, je dirai : « Au revoir mon ami ».
Slim Laghmani
Lire aussi
Yadh Ben Achour - Chawki Gaddes: le juriste, entre l’art et la science
Neila Chaabane: Hommage à Chawki Gaddes
- Ecrire un commentaire
- Commenter