News - 02.08.2025

Najet Brahmi - La loi n°2025/14 portant réforme de quelques articles du code pénal: Jeu et enjeux?

Najet Brahmi - La loi n°2025/14 portant réforme de quelques articles du code pénal: Jeu et enjeux?

1- Par la loi n° 2025/14 du 28 juillet 2025, le législateur tunisien a modifié les deux articles 96 et 98 du code pénal régissant l’infraction de l’usage de la qualité pour se procurer un avantage injustifié(1).

2- Et pour le rappel, l’article 96 du code pénal a généré après la révolution du 14 janvier 2011 un des contentieux les plus importants puisqu’il a servi de base légale pour les condamnations de plusieurs responsables de l’Etat à qui on a imputé des faits criminels synonymes de l’usage par le responsable de sa qualité pour se procurer un avantage injustifié(2).

3- La pratique judicaire tunisienne sensible à ce double état de droit et de fait a signalé plusieurs dysfonctionnements au niveau de l’article 96(3). Le besoin de changer le texte s’est fait sentir. La réforme de l’article 96 ne devait pas se faire à titre isolé. Elle devrait s’inscrire dans une logique de réforme globale qui embrasse tous les articles en lien avec l’article 96 dont notamment les articles 97 et 98 du même code. Un avant-projet de réforme desdits articles a été soumis à l’assemblée des représentants du peuple par une partie des députés conformément à l’article 68 de la constitution et aux articles 122 et 123 du règlement interne de l’ARP. Cette soumission a eu lieu le 10 octobre 2023(4). L’avant -projet avait pour objet la double modification des articles 96 et 98 d’une a été part et l’abrogation de l’article 97 du même code. Après débats et plusieurs séances d’écoute des différentes parties prenantes un projet de loi a été voté par l’assemblée des représentants du peuple. Il passe outre l’abrogation de l’article 97 proposée dans l’avant-projet de loi et s’en tient à la modification des articles 96 et 98 du code pénal.  Ce projet voté a donné lieu à la loi la loi n° 2025/14 du 28 juillet 2025 portant modification de quelques articles du code pénal(5).

4-Touchés par le même texte de loi, les deux articles 96 et 98 sont fondamentalement liés dans la mesure où l’article 98 n’est autre qu’un complément de l’article 96. Celui-ci régissant aussi bien l’incrimination que la peine principale encourue en cas de commission de l’infraction à l’encontre de quiconque use de sa qualité pour se procurer un avantage injustifié; et l’article 98 de régir l’obligation de restitution ainsi que les peines complémentaires encourues pour cette même infraction. Rien n’empêchait le législateur de fusionner les deux textes en un seul. Cela devait répondre d’une meilleure sécurité juridique dans ce sens où la disposition combinée aurait régi aussi bien l’incrimination que la peine dans sa double forme principale et complémentaire. La disposition aurait eu le mérite de l’unicité. Mais ce n’était pas le choix des auteurs de la nouvelle loi qui; fidèles à l’ancienne légistique, ont cru bon de maintenir en la forme les deux dispositions des articles 96 et 98 du code pénal. Au fond, les deux textes ont changé. Une comparaison des deux dispositions anciennes et nouvelles des articles 96 et 98 traduit la marque d’une réforme fondamentale qui touche aussi bien à l’incrimination (Ière partie) qu’à la peine (IIème partie).

I- L ’incrimination au sens de l’article 96 nouveau du code pénal

5- Une comparaison des deux dispositions ancienne et nouvelle de l’article 96 nouveau, permet de souligner d’une part un

remarquable passage d’une nature matérielle à une nature intentionnelle de l’infraction(A), et une nette restriction du domaine des faits matériels caractéristiques de l’infraction(B) de l’autre.

A) L’infraction de l’article 96 du code pénal est désormais une infraction intentionnelle

6- Retenue par le code pénal de 1913, l’infraction de l’article 96 a répondu d’une première modification en 1985(6). Cette réforme n’a pas touché aux éléments de l’infraction qui; inchangée quant à sa nature, a gardé son caractère matériel synonyme de «l’usage par le criminel de sa qualité pour se procurer un avantage injustifié». Il a fallu attendre la récente réforme du 28 juillet 2025 pour voir le législateur se prononcer ouvertement et pleinement en faveur d’une infraction intentionnelle. Désormais, l’infraction de l’article 96 n’est établie que contre quiconque «aura intentionnellement usé de sa qualité pour se procurer un avantage injustifié».

7- Expressément consacré dans le nouveau dispositif de l’article 96, l’élément matériel participe ainsi d’une nouvelle qualification de l’infraction de cet article qui passe désormais pour une infraction intentionnelle qui exige au-delà des faits matériels, l’établissement d’une intention criminelle. Dans sa nouvelle forme, l’infraction de l’article 96 répond du principe de l’article 37 du code pénal qui érige l’élément intentionnel au rang d’un élément principal de toute infraction sauf dispositions spéciales du texte(7).

Cet élément devant dans la définition classique de l’infraction s’ajouter à deux autres éléments en l’occurrence l’élément légal et l’élément matériel pour constituer les trois éléments fondamentaux de toute infraction(8). L’élément intentionnel se reconnait le plus souvent par le terme «intentionnellement» que le législateur retient pour  signaler le caractère intentionnel de l’infraction. L’usage de ce terme permet de contourner tout risque d’erreur sur la nature de l’infraction d’autant plus que dans ses fondamentaux, le droit pénal s’oppose en principe à l’idée de l’interprétation des textes et n’en tolère le jeu qu’à titre exceptionnel et limité(9).
Pour les auteurs de la réforme de l’article 96 du code pénal, l’introduction de l’élément intentionnel permet de «restreindre le domaine de l’infraction et de tracer une ligne de démarcation entre les fautes commises de bonne foi lors de l’exercice par le fonctionnaire public de ses fonctions, et les actes où la mauvaise foi est établie»(10). L’élément intentionnel synonyme de mauvaise foi du fonctionnaire public répond «selon les auteurs du projet de la loi «dans le cadre d’une tentative de conciliation entre les intérêts de l’administration d’une part et la protection du fonctionnaire public de l’autre contre les poursuites judiciaires qui risquent d’être  alors qu’il n’a fait qu’une mauvaise  appréciation de l’acte qu’il a effectué sans pour autant être de mauvaise foi.(11)» 

8- Participant d’un élément fondamental de l’infraction, l’élément intentionnel se déduit de tout acte ou fait antérieur ou concomitant à la commission de l’infraction qui traduit la volonté du criminel à commettre l’infraction. Le fait par exemple pour le criminel d’être muni d’une arme blanche et de se trouver dans les lieux où l’infraction d’homicide volontaire a été commise, sont pour la jurisprudence tunisienne des éléments suffisants pour établir l’élément intentionnel. Le criminel peut cependant apporter la preuve contraire.

9- S’agissant de l’infraction de l’article 96 du code pénal, elle a été toujours qualifiée d’infraction matérielle qui n’exige point d’élément intentionnel. La formulation du texte surtout dans sa version arabe devait cependant prêter à la confusion. «L’usage de la qualité en vue de se procurer un avantage injustifié tel que retenue dans la version française du texte a été pour longtemps la marque d’une mauvaise traduction du terme «abuser de sa qualité pour se procurer un avantage injustifié»(12). Or, l’abus s’il ne porte pas intégralement le sens de la mauvaise intention, il n’en est pas moins sans y répondre si l’on devait retenir la conception double de l’abus. Or, si l’abus est la marque d’une mauvaise foi, il serait de nature à faire glisser l’infraction de l’ancien article 96 de la catégorie des infractions matérielles vers celle des infractions intentionnelles. L’ancienne version du texte autorisait cette interprétation qui cadrait mal avec le principe de l’interprétation stricte du texte pénal. La nouvelle version du texte aura donc le mérite de contourner ce risque de confusion et de restreindre le domaine de l’infraction aux seuls faits commis à titre intentionnels. Et s’agissant de faits criminels, la nouvelle disposition de l’article 96 témoigne également d’une restriction de leur domaine! L’infraction de l’article 96 ne recouvre désormais qu’une seule réalité et ce contrairement à l’ancienne version du texte qui en recouvrait deux !

B) L’élément matériel de l’infraction de l’article 96 est désormais unique

10- Dans sa version ancienne, le fait criminel de l’infraction devait répondre d’une double hypothèse. Désormais, l’article 96 n’en retient qu’une seule(a). Cela est de nature à restreindre le domaine de l’infraction ce qui n’est pas moins sans contribuer à un meilleur assainissement du climat des affaires en Tunisie. Mais ce n’est pas le seul assainissement à devoir relever ! La nouvelle disposition de l’article 96 traduit une nette harmonisation du statut des auteurs de l’infraction ce qui est, lui aussi, de nature à remettre de l’ordre à une version ancienne confuse(b).

a) Les auteurs de l’infraction

11- Dans sa version ancienne, l’article 96 retenait une liste spécifique des auteurs de l’infraction. Il en va autrement dans la nouvelle version du texte où le législateur s’en tient à une simple liste générique.

1- La liste spécifique des auteurs de l’infraction: Une source de confusion de l’article 96 ancien

12- Dans sa version ancienne, l’article 96 réputait criminels : «tout fonctionnaire public ou assimilé, tout directeur, membre ou employé d’une collectivité publique locale, d’une association d’intérêt national, d’un établissement public à caractère industriel et commercial, d’une société dans laquelle l’Etat détient directement ou indirectement une part quelconque du capital, ou d’une société dans laquelle l’Etat détient directement ou indirectement  une part quelconque du capital, ou d’une société appartenant à une collectivité publique locale».

Ainsi spécifiés, les auteurs de l’infraction devaient prêter à confusion dans ce sens où le critère essentiel de leur définition tourne autour du double caractère public aussi bien de l’établissement pour qui ils travaillent que de l’autorité dont ils sont dépositaires; qui n’est autre que le critère de la définition de la notion générique du fonctionnaire public au sens de l’article 82 du code pénal.
L’article 82 du code pénal ne prévoit-il pas dans ce sens que: «Est réputé fonctionnaire public soumis aux dispositions de la présente loi, toute personne dépositaire de l’autorité publique ou exerçant des fonctions auprès de l’un des services de l’Etat ou d’une collectivité locale ou d’un office ou d’un établissement public ou d’une entreprise publique, ou exerçant des fonctions auprès de toute autre personne participant à la gestion d’un service public.

Est assimilé au fonctionnaire public toute personne ayant la qualité d’officier public, ou investie d’un mandat électif de service public, ou désignée par la justice pour accomplir une mission judiciaire».

L’article 82 du code pénal, de par la diversité de la double notion aussi bien du fonctionnaire public que de son assimilé, devrait donc embrasser toutes les qualités spécifiées dans l’article 96 du code pénal. D’où l’appel à un assainissement des dispositions de l’article 96 dans le sens d’une unicité générique de la notion de fonctionnaire public et assimilé.

2- Une liste générique des auteurs de l’infraction: Une marque d’assainissement de la disposition de l’article 96 nouveau

13-Dans l’exposé des motifs appuyant l’avant-projet de la réforme de l’article 96, les auteurs de ce dernier ont signalé les inconvénients qui s’attachent à la liste spécifiant les criminels au sens dudit article. Il a été à juste titre signalé que: «l’établissement par le législateur d’une liste énumérative et spécifique de certaines fonctions qui ne sont autres que des consécrations de celles du fonctionnaire public ou de son assimilé, a été source de polémique juridique autour d’une notion unique ce qui n’a pas été sans générer la discordance entre les tribunaux d’une part et freiné leur œuvre de lutte contre les infractions de corruption et d’abus financier et administratif»(13). La proposition a été retenue et l’article 96 nouveau s’en tient aujourd’hui à une liste générique des criminels qui couvre «le fonctionnaire public, son assimilé é et toute personne».

Ainsi formulée, la liste des auteurs de l’infraction permettrait une meilleure application du texte de l’article 96 du code pénal qui retient désormais une conception restreinte des faits incriminés.

b) Les faits incriminés : De la diversité à l’unicité!

14- Dans sa conception ancienne, l’article 96 retenait deux hypothèses de faits générateurs de l’infraction. Le fait pour le criminel «d’user de sa qualité pour se procurer à lui-même ou à un tiers un avantage injustifié ou causer un préjudice à l'administration» d’une part ou   de «contrevenir aux règlements et régissant les opérations relevant de ses fonctions-en l’occurrence la vente, l’achat, la fabrication, l’administration ou la garde de biens quelconques – en vue de la réalisation de l’avantage ou de préjudices précités». L’infraction au sens de l’article 96 se justifiait alors dans deux hypothèses différentes qui sont respectivement:

- L’usage de la qualité en vue se procurer un avantage pour lui ou un tiers ou de causer un préjudice à l’administration:

15- Le fait incriminé peut selon sa finalité recouvrir trois réalités différentes:

Un usage de la qualité en vue de se procurer un avantage pour lui-même.
Un usage de la qualité pour en vue de se procurer un avantage pour autrui.
Un usage de la qualité pour porter préjudice à l’administration.

- L’infraction aux règlements régissant les opérations qu’il est amené à engager dans le cadre de ses fonctions en vue de se procurer un avantage à lui ou un tiers ou pour porter préjudice à l’administration.

16- Ainsi définie, l’infraction de l’article 96 recouvre à son tour trois réalités qui correspondent respectivement à:

L’infraction aux règlements dans le cadre des transactions effectuées à l’occasion de l’exercice de leur fonction en vue de se procurer un avantage à soi-même.
L’infraction aux règlements dans le cadre des transactions effectuées à l’occasion de l’exercice de leur fonction en vue de se procurer un avantage pour autrui.
L’infraction aux règlements dans le cadre des transactions effectuées à l’occasion de l’exercice de leur fonction en vue de porter atteinte à l’administration.

L’infraction de l’article 96 devait alors se présenter sous six cas de figure.
Ainsi définies, «ces six infractions traduisent, pour les auteurs de la réforme une extension du domaine de l’infraction ainsi que des imperfections au niveau de la formulation qui se traduisent essentiellement par manque de rigueur»(14). Le besoin de la réforme se faisait alors sentir.

17- Dans sa nouvelle conception, l’article 96 nouveau s’est tenu à une seule catégorie d’infractions synonyme de l’usage par le criminel de sa qualité en vue de se procurer un avantage à lui, à un tiers ou en vue de porter atteinte à l‘administration. La deuxième catégorie de l’infraction synonyme de l’infraction aux règlements a été abrogée toutes réalités confondues. L’article 96 nouveau dispose dans ce sens que: «Tout agent public ou assimilé, ou tout employé d’une institution économique ou sociale dans laquelle l’Etat  détient une participation, qui, en raison de ses fonctions, est chargé de vendre, fabriquer, acheter, gérer ou stocker des biens et qui abuse intentionnellement de ses fonctions pour causer un préjudice matériel à l’administration en échange d’un avantage indu pour lui-même ou pour autrui , est puni de six ans d’emprisonnement  et d’une amende égale au montant du préjudice causé à l’administration».

II- La peine

18-Régie par les deux articles 96 et 98, la peine encourue en cas d’établissement de l’infraction de l’abus par le criminel de sa qualité en vue de se procurer un avantage ou de porter préjudice à l’administration, est régie par l’article 96. Des peines complémentaires sont prévues par l’article 98 qui oblige le criminel à restituer les biens spoliés ou les avantages procurés à titre injustifié. Dans leurs nouvelles versions, les articles 96 et 98 ont apporté des modifications aussi bien aux peines principales, qu’aux peines complémentaires ainsi qu’à l’obligation de la restitution.

A) Les peines principales:

19- Deux peines principales étaient prévues par l’ancien article 96. Il s’agit respectivement de la peine de prison et de l’amende. Dans sa nouvelle version, l’article 96 nouveau, tout en confirmant le principe même des deux peines y a apporté des modifications dans le sens de la réduction aussi bien de la durée de la peine privative de la liberté que de l’amende.

a) La réduction de la durée la peine privative de liberté

20- Dans sa disposition ancienne, l’article 96 ancien prévoit une peine de dix ans de prison à l’encontre des auteurs de l’infraction. Désormais, l’article 96 nouveau réduit cette durée et la ramène à six ans. L’infraction garde toujours sa nature criminelle. Les crimes étant définis comme étant les infractions dont la peine dépasse cinq ans de prison.

b) La modification exceptionnelle du montant de l’amende encourue

21- Dans sa version ancienne, l’article 96 prévoyaient qu’«est puni de dix ans de prison et d’une amende égale à l’avantage reçu ou le préjudice subi par l’administration, tout fonctionnaire public…etc.». Le montant de l’amende est resté inchangé dans la nouvelle version de l’article 96. Il correspond désormais «au montant du préjudice causé à l’administration en contrepartie de l’avantage reçu».

Cependant ajoute l’article 96 nouveau «si le dommage est subi à une institution dans laquelle l’Etat détient une participation, l’amende est calculée proportionnellement à la participation de l’Etat ».Cette nouvelle exception est de nature à contourner les  inconséquences de l’application de l’article 96 ancien qui obligeait à payer au trésor public l’intégralité du montant du préjudice causé à l’administration alors que l’Etat était détenteur d’une partie du capital de la société qui a causé le préjudice. L’Etat détenteur d’actions dans le capital de ladite société devait L’amende versée au trésor public tenait donc d’une anomalie puisqu’

B) Les peines complémentaires

22- Comme son nom l’indique, la peine est réputée complémentaire lorsqu’elle vient compléter une peine principale. Elle est prononcée par le juge dans le cas prévu par loi. Et selon les cas, la peine complémentaire est obligatoire ou facultative pour le juge. Le droit tunisien règlemente ces peines dans l’article 5 du code pénal qui en dresse une liste restrictive de ces peines dressée comme suit:
a- Peines complémentaires:

1- Abrogé par la loi n 95/9 du 23 janvier 95
2- L’interdiction de séjour.
3- Le renvoi sous la surveillance administrative
4- La confiscation des biens dans les cas prévus par la loi
5- La confiscation spéciale.
6- La relégation dans les cas prévus par la loi.
7- L’interdiction d’exercer les droits et privilèges suivants:

a) les fonctions publiques

b) le port d’armes et tous insignes honorifiques
c) Le droit au vote

8- La publication par extrait de certains jugements ».

23- Comme la peine principale, la peine complémentaire ne peut être prononcée que lorsqu’un texte la prévoit et en détermine la portée. Le juge ne peut la prononcer que lorsqu’elle est prévue dans son principe pour l’une ou l’autre des infractions qu’il est appelé à juger. Le principe de la légalité des crimes et des peines l’exige.

Paradoxalement, l’article 96 ancien du code pénal devait en retenir la substance. Sa formulation était cependant loin d’investir le juge d’un pouvoir explicite d’appliquer les peines complémentaires. La pratique judicaire y a toujours recouru en dépit de la formulation confuse du texte. Et pour s’en convaincre, il y’a lieu de rappeler le dispositif de l’article 98 alinéa 2 ancien qui prévoyait dans sa version arabe que que: «Dans tous les cas visés par les articles précités, le tribunal pourra faire application aux coupables de tout ou partie des peines de l’article 5» Et dans la mesure où l’article 5 régit les deux catégories de peines principales et accessoires, le défaut de spécification de la catégorie ainsi signalée devait s’opposer au principe de la légalité des infractions et des peines.

24- Malgré cette confusion au niveau de la formulation, la jurisprudence tunisienne a prononcé des peines complémentaires aux peines principales dans les cas où elle a été appelée à juger sur la base de l’article 96. La formulation confuse de l’article ne l’a pas empêché de compléter les peines principales par des peines complémentaires. Elle aurait certainement trouvé dans la bonne formulation de la traduction au français de l’article 98 une véritable échappatoire pour contourner la confusion de la version arabe du texte qui d’ailleurs doit faire foi en droit tunisien.

Dans sa version nouvelle, l’article 98in fine nouveau remet de l’ordre à l’ancienne la formulation du texte. On y lit expressément que: «Dans tous les cas prévus dans l’article 96, le tribunal pourra faire application aux coupables de tout ou partie des peines accessoires de l’article 5».

Dans son alinéa 2, l’article 98 nouveau a maintenu le principe de l’obligation qui pèse sur le coupable de restituer l les choses détournées ou soustraites. On y lit cependant la marque d’une adaptation du montant à restituer lorsque le dommage est subi par une institution dans laquelle l’Etat détient une participation.

C)L’obligation de restitution

25- Outre les peines principales et complémentaires que le juge pénal est en mesure de prononcer à l’encontre des coupables de l’article 96, «le tribunal devra prononcer la restitution des choses détournées ou soustraites, ou de la valeur de l’intérêt ou du gain obtenu, même au cas où ces biens auront été transmis aux ascendants, descendants, collatéraux, conjoint et alliés du coupable, et qu’ils soient demeurés en leur état ou transformés en quelque autre bien que ce soit».

Ainsi définie, l’obligation de la restitution a été confirmée par la nouvelle disposition de l’article 98 nouveau qui prévoit cependant une exception au cas où le dommage est causé par une institution dans laquelle l’Etat détient une participation au capital. Le législateur a choisi d’aligner désormais le montant de la restitution sur ce celui de l’amende. Le montant de la restitution sera égal au montant du «préjudice causé à l’administration en contrepartie de l’avantage reçu».

26- La nouvelle formule cherche ainsi à remettre de l’ordre à de dysfonctionnements vécus dans le passé où les institutions qui ont causé préjudice étaient condamnées à restituer l’intégralité du montant du préjudice subi alors que qui n’est pas proportionnelle à la participation de l’Etat.

Malgré ces avancées, l’obligation de restitution semble appeler à davantage de réflexion surtout par rapport à sa nature juridique et ses fondements. Une des questions sur lesquelles le débat relatif aux deux articles 96 et 98 reste nourri, est de savoir si la condamnation du coupable à la restitution des choses détourées ou soustraites à la partie lésée, empêche celle-ci d’intenter l’action civile en vue de la réparation de son préjudice? Dans l’affirmative, cela ne risque -t-il pas d’alourdir la charge du coupable qui va se trouver obligé de répondre trois fois du montant de la chose détournée? Il le fera en premier lieu au titre de l’exécution de l’amende au sens de l’article 96, en deuxième lieu au titre de restitution de la chose détournée ou soustraite et en dernier lieu au titre de réparation du dommage causée à la partie lésée demanderesse à l’action. C’est dire en fin de compte tout l’intérêt qui s’attache à la réflexion sur l’obligation de restitution. La pratique des nouveaux textes des articles 96 et 98 du code pénal participera d’une meilleure réponse à ces questions nous l’espérons ! Les jours porteront conseil !!

Najet Brahmi
Cheffe du département Sciences criminelles à la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis
Avocate près la Cour de cassation

1) JORT n 96 du 29juillet 2025, p2246.
2) La jurisprudence tunisienne est très fournie en la matière. Voir à titre d’exemple : 
3)  L’on s’en tient aux plaidoiries des grands maitres du droit pénal qui ont toujours rappelé dans leurs plaidoiries les insuffisances de l’article 96 du code pénal.
4)  La date est apposée sur l'avant projet de loi et l'exposé de ses motifs
5) JORT n du 29 juillet 2025.
6) Loi n85/85 du 11 aout 1985.
7) Aux termes de l’article 37 du code pénal: «Nul ne peut être puni que pour un fait accompli intentionnellement sauf dans les cas spécialement prévus par la loi».
8) Voir sur cet aspect de la question, Pradel(J), Droit pénal
9) Voir dans ce sens, Jlassi, Leçons de droit pénal, CPU 2025, p39.
10) Exposé des motifs, ARP, 10octobre 2023.
11) Exposé des motifs, ARP ,10 octobre 2023.
12) Dans sa version arabe, l’article 96 ancien prévoyait ce qui suit: "يعاقب بالسجن مدة عشر أعوام وبخطية تساوي قيمة المنفعة المتحصل عليها... الموظف العمومي او شبهه وكل مدير هو....  استغل صفته لاستخلاص فائدة لا وجه لها.."
13) Exposé des motifs, assemblée des représentants du peuple, République tunisienne,10 octobre 2023.
14) Exposé des motifs, ARP, République tunisienne, 10octobre 2023.

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