News - 24.10.2025

Rafaâ Ben Achour - L’avis de la Cour internationale de Justice du 22 octobre 2025: Obligations d’Israël

Rafaâ Ben Achour - L’avis de la Cour internationale de Justice du 22 octobre 2025: Obligations d’Israël

Obligations d’Israël en ce qui concerne la présence et les activités de l’organisation des nations unies, d’autres organisations internationales et d’états tiers dans le territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci

Par Rafaâ Ben Achour, Professeur émérite - Le 22 octobre 2025, le jour même où le parlement de l’ État d’Israël (Knesset) s’est prononcé pour l’examen de deux projets de loi visant à étendre la souveraineté israélienne en Cisjordanie (appelée "Judée-Samarie" par la droite israélienne), la Cour internationale de justice, organe judicaire principal de l’ONU, rendait son avis consultatif, demandé par l’Assemblée générale, réaffirmant, que la Puissance occupante (Israël) a l’obligation d’administrer le territoire occupé dans l’intérêt de la population locale et qu’Israël « n’avait pas droit à la souveraineté sur quelque partie du Territoire palestinien occupé ». Pour la Cour, « Israël, en tant que Puissance occupante, n’a pas droit à la souveraineté sur quelque partie du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et ne saurait y exercer des pouvoirs souverains » et que, Israël « En tant que Puissance occupante, […] doit s’abstenir d’étendre au territoire occupé ses lois internes de quelque manière incompatible avec l’obligation qui lui incombe de ne pas entraver l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination, y compris son droit inaliénable à l’intégrité territoriale dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé ». Mais pour les suprémacistes au pouvoir en Israël, le droit international n’a pas de valeur et rien ne peut empêcher l’édification du Grand Israël(1).

Revenons à cet avis consultatif du 22 octobre 2025, pour rappeler qu’il est le troisième du genre et fait suite à l’avis du 9 juillet 2004 (conséquences juridiques de: l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé) et celui du 19 juillet 2024 (Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est).

L’avis du 22 octobre 2025 s’inscrit dans la droite ligne des deux avis précédents, et réaffirme, à la quasi-unanimité des juges(2), les obligations d’Israël en ce qui concerne la présence et les activités de l’Organisation des Nations Unies, d’autres organisations internationales et d’États tiers dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci.

I. Raison d’être de l’avis ?

Suite à la décision prise par le gouvernement israélien d’empêcher l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) de poursuivre ses activités essentielles dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est(3). En effet,  Le Parlement israélien,  a adopté le 28 octobre 2024 des lois interdisant à l'UNRWA d'opérer sur ce qu'Israël considère comme son territoire souverain, ce qui inclut Jérusalem-Est. Ces lois interdisent également tout contact entre les fonctionnaires israéliens et l'UNRWA. Les lois sont entrées en vigueur le 30 janvier 2025. En conséquence, Israël a notifié aux Nations unies que l'agence devait quitter Jérusalem-Est. En février 2025, les premières fermetures de locaux de l'UNRWA à Jérusalem-Est ont été signalées. Depuis la fin janvier 2025, les autorités israéliennes n'accordent plus de visas ou de permis d'entrée pour le personnel international de l'UNRWA dans le territoire palestinien occupé.

Face à cette situation, le Secrétaire général de l’ONU, a saisi le Président de l’Assemblée générale de cette question. Après avoir exprimé sa profonde préoccupation quant aux conséquences désastreuses des lois israéliennes sur la situation humanitaire à Gaza(4), l’AG a décidé de s’adresser, de nouveau, à la CIJ pour l’éclairer sur la nature des obligations d’Israël en ce qui concerne les activités de l’UNRWA dans le territoire palestinien occupé.

L’Assemblée générale a décidé, conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la CIJ de donner, en vertu de l’article 65 du Statut, « à titre prioritaire et de toute urgence », un avis consultatif sur la question suivante, soumise à la Cour :

« Quelles sont les obligations d’Israël, en tant que puissance occupante et membre de l’Organisation des Nations Unies, en ce qui concerne la présence et les activités de l’Organisation, y compris ses organismes et organes, d’autres organisations internationales et d’États tiers dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci, y compris s’agissant d’assurer et de faciliter la fourniture sans entrave d’articles de première nécessité essentiels à la survie de la population civile palestinienne, ainsi que de services de base et d’une aide humanitaire et d’une aide au développement, dans l’intérêt de la population civile palestinienne et à l’appui du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ? »

II. Principales dispositions de l’avis du 22 octobre 2025 ?

Comme relevé plus haut, l’avis réaffirme ce qui a été déjà exprimé dans les avis de 2004 et de 2024 sur le statut d’Israël en tant que puissance occupante devant agir pour le bien des populations sous occupation. Les obligations particulières d’Israël en tant que Puissance occupante en ce qui concerne la présence et les activités de l’Organisation des Nations Unies, d’autres organisations internationales et d’États tiers sont régies par le droit international humanitaire, en particulier le droit de l’occupation (partie A), et par le droit international des droits de l’homme (partie B).

A. Obligation de respect du droit international humanitaire

La Cour note que les obligations pertinentes d’Israël découlent de la convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (ci-après, la « quatrième convention de Genève »), à laquelle cet État est partie. Ainsi que le confirme la jurisprudence de la Cour, la quatrième convention de Genève est applicable dans le Territoire palestinien occupé. Israël a aussi des obligations au regard du droit international coutumier

1. Le Statut d’Israël en tant que Puissance occupante dans la bande de Gaza

La Cour rappelle qu’elle a conclu, dans son avis consultatif de 2024, qu’après le retrait de sa présence militaire en 2005, Israël avait conservé la faculté d’exercer, et continuait d’exercer certaines prérogatives essentielles sur la bande de Gaza, et que ses obligations découlant du droit de l’occupation sont demeurées proportionnées au degré de son contrôle effectif sur ce territoire.

2. La pertinence des préoccupations d’Israël en matière de sécurité

La Cour fait observer que, même si certaines dispositions de la quatrième convention de Genève et d’autres règles du droit international coutumier autorisent la puissance occupante à tenir compte de considérations en matière de sécurité ou de la nécessité militaire, la protection des intérêts en matière de sécurité n’est pas un motif d’exception autonome permettant à un État de déroger aux règles du droit international humanitaire qui seraient autrement applicables. La Cour fait observer que, lorsqu’ils prennent des mesures de lutte contre le terrorisme, les États doivent se conformer aux obligations mises à leur charge par le droit international, en particulier leur obligation de respecter le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme.

3. Le cadre juridique pertinent en droit international humanitaire, en particulier le droit de l’occupation

La Cour fait observer que le droit international coutumier impose à toutes les parties à un conflit armé une obligation d’autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires destinés aux personnes civiles dans le besoin, sous réserve d’un droit de contrôle limité. Ces secours doivent être de caractère impartial et fournis sans aucune distinction de caractère défavorable. La Cour souligne que l’obligation qu’a Israël, en tant que Puissance occupante, d’accepter et de faciliter les actions de secours si la population locale est insuffisamment approvisionnée. L’obligation qu’a une puissance occupante d’accepter et de faciliter l’entrée de secours humanitaires dans un territoire occupé, conformément à l’article 59, ne remplace pas ses obligations fondamentales de veiller à la disponibilité des vivres et des produits médicaux essentiels à la survie de la population locale.

4. Les obligations d’Israël en ce qui concerne l’UNRWA

La Cour note que, selon les éléments versés au dossier, il n’existe aucune preuve que l’UNRWA, en tant qu’entité, ait manqué au principe d’impartialité au sens de l’article 59. La Cour estime que les informations dont elle dispose ne suffisent pas à établir un manque de neutralité de l’UNRWA aux fins de l’appréciation de son impartialité en tant qu’organisme au sens de l’article 59. En outre, la Cour constate qu’Israël n’a pas prouvé que, comme il l’allègue, une partie importante des employés de l’UNRWA « sont membres du Hamas … ou d’autres factions terroristes ». La Cour relève qu’une puissance occupante a en principe la liberté de choisir les organismes humanitaires par l’intermédiaire desquels elle s’acquitte de son obligation d’accepter et de faciliter les secours humanitaires. Cependant, l’article 59 limite le pouvoir discrétionnaire d’une puissance occupante en ce sens qu’il lui impose d’autoriser et de faciliter des secours suffisants pour assurer un approvisionnement adéquat de la population. L’UNRWA a été établie par l’Organisation des Nations Unies en 1949, 18 ans avant l’occupation du Territoire palestinien occupé par Israël. Elle est devenue depuis le principal office de l’Organisation pour le secours et l’aide aux réfugiés de Palestine dans le Territoire palestinien occupé et les États voisins, jouant un rôle essentiel dans la bande de Gaza. L’UNRWA est donc profondément intégrée dans l’infrastructure locale du Territoire palestinien occupé, pourvoyant aux besoins les plus fondamentaux de la population en lui fournissant notamment des vivres, de l’eau potable, des soins de santé et des abris. La Cour rappelle l’ampleur et l’urgence des besoins de la population de la bande de Gaza, ainsi que la relation unique et soutenue de l’UNRWA avec la population du Territoire palestinien occupé. Elle estime que, dans les circonstances présentes, il n’est pas possible de reproduire la capacité de l’Organisation des Nations Unies, agissant par l’intermédiaire de l’UNRWA, d’assurer un approvisionnement suffisant de la population de la bande de Gaza. L’UNRWA ne peut être remplacée à brève échéance et sans plan de transition approprié. La Cour observe par ailleurs qu’Israël lui-même n’a pas assuré un approvisionnement suffisant de la population dans la bande de Gaza. Elle rappelle que, outre qu’il a sévèrement restreint l’entrée de l’aide à différentes périodes après le 7 octobre 2023, Israël a bloqué l’entrée de l’aide humanitaire à partir du 2 mars 2025 et n’a autorisé la reprise de la livraison d’une quantité limitée de cette aide que le 19 mai 2025. Il ressort donc des éléments de preuve que, indépendamment du caractère remplaçable ou non des activités menées par l’Organisation des Nations Unies, agissant par l’intermédiaire de l’UNRWA, Israël n’a mobilisé aucun système de remplacement pendant une période de dix semaines. La Gaza Humanitarian Foundation, censée remplacer l’UNRWA, a été largement critiquée par l’Organisation des Nations Unies et d’autres acteurs internationaux, et il a été allégué que ses activités sont incompatibles avec certains principes humanitaires fondamentaux. L’Organisation a fait observer que le volume de l’aide fournie demeure bien inférieur à celui nécessaire pour répondre aux besoins de la population.

5. L’obligation de pourvoir aux besoins élémentaires de la population

La Cour souligne que, en tant que Puissance occupante, Israël est tenu de pourvoir aux besoins élémentaires de la population locale, notamment en lui fournissant les produits indispensables à sa survie. Les obligations à cet effet sont énoncées aux articles 55 et 56 de la quatrième convention de Genève, cette première disposition étant complétée par le paragraphe 1 de l’article 69 du protocole additionnel I.

6. L’obligation de respecter et de protéger le personnel de secours et le personnel médical, ainsi que leurs locaux

Pour la Cour, le principe voulant que le personnel de secours humanitaire soit respecté et protégé fait partie du droit international coutumier. Les activités du personnel de secours ne peuvent être limitées et ses déplacements temporairement restreints qu’en cas de nécessité militaire impérieuse. Le personnel qui participe aux actions de secours est aussi protégé par le principe de distinction, sauf s’il prend directement part aux hostilités et seulement le temps de cette participation. Les obligations d’une puissance occupante coexistent avec celles que le droit international humanitaire impose à toutes les parties à un conflit de protéger les hôpitaux civils et de respecter et protéger en toutes circonstances le personnel sanitaire exclusivement affecté à des tâches médicales.

7. L’interdiction du transfert forcé et de la déportation

La Cour fait observer qu’il est interdit à Israël, en tant que Puissance occupante, de limiter la présence et les activités de l’Organisation des Nations Unies, d’autres organisations internationales et d’États tiers dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci au point d’y créer, ou de contribuer à y créer, des conditions d’existence qui forceraient la population à partir.

8. Le droit des personnes protégées détenues de recevoir la visite du CICR

La Cour rappelle que l’article 76 de la quatrième convention de Genève exige d’une puissance occupante qu’elle autorise les personnes protégées détenues à recevoir la visite des délégués du CICR. Pour ces raisons, Israël est obligé d’autoriser le CICR à rendre visite aux personnes protégées du Territoire palestinien occupé détenues par les autorités israéliennes.

9. L’interdiction de l’utilisation de la famine comme méthode de guerre

La Cour souligne que le droit international coutumier interdit l’utilisation contre la population civile de la famine comme méthode de guerre.

B. L’obligation de respecter le droit international des droits de l’homme

En tant que Puissance occupante, Israël a l’obligation, en vertu du droit international des droits de l’homme, de respecter, de protéger et de réaliser les droits de l’homme de la population du Territoire palestinien occupé. L’imposition de restrictions à la fourniture de l’aide humanitaire indispensable au bien-être et à la dignité de la population palestinienne fait directement intervenir ces obligations. Israël est partie à plusieurs traités des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, droits de l’homme s’étendent aux actes accomplis par cet État dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire, en particulier dans des territoires occupés, s’applique aussi en ce qui concerne tous ces instruments. Toute réduction par Israël de la capacité de l’UNRWA et des autres acteurs de garantir les droits de l’homme fondamentaux a pour effet d’accroître dans la même proportion les obligations incombant à cet État de respecter, de protéger et de réaliser lesdits droits.

C.  Les obligations d’Israël en tant que membre de l’organisation des Nations Unies

1. La responsabilité permanente de l’Organisation des Nations Unies en ce qui concerne la question de la Palestine (par. 166-169)

La Cour rappelle la responsabilité de l’Organisation des Nations Unies en ce qui concerne la question de la Palestine, l’Assemblée générale ayant qualifié de permanente cette responsabilité qu’elle doit assumer jusqu’à ce que cette question soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale.

2. L’obligation de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies

La Cour souligne que, conformément au paragraphe 2 de l’article 2 de la Charte, tous les États Membres doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la Charte. Cette disposition doit être appliquée conjointement avec les obligations spécifiques assumées par les États Membres conformément à la Charte. En vue de la réalisation des buts des Nations Unies énoncés à l’article 1 de la Charte, les États Membres sont tenus à une obligation particulière de coopérer avec l’Organisation, en vertu du paragraphe 5 de l’article 2 de la Charte, qui dispose que « [l]es Membres de l’Organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte ». Cette disposition doit être lue conjointement avec celles de la Charte qui se rapportent aux pouvoirs des divers organes de l’Organisation. L’obligation d’Israël — et de tous les autres États membres — de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies en ce qui concerne la question de la Palestine est d’une importance primordiale pour remédier à la situation critique qui règne depuis octobre 2023 sur le terrain, où l’Organisation, aux côtés d’autres acteurs, joue un rôle essentiel dans la fourniture et la coordination de l’aide humanitaire et de l’aide au développement dans le Territoire palestinien occupé, en particulier par l’intermédiaire de l’UNRWA dans la bande de Gaza. Par la promulgation et l’application des deux lois adoptées le 28 octobre 2024 par la Knesset qui ont mis fin unilatéralement à sa coopération avec l’UNRWA, ainsi qu’aux activités de ce dernier à Jérusalem-Est, Israël continue d’exercer un pouvoir souverain à Jérusalem-Est. De plus, ces lois ont eu pour conséquence directe d’entraver les activités de l’UNRWA dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci, en particulier dans la bande de Gaza. En outre, la Cour fait observer que l’UNRWA, en tant qu’organe subsidiaire de l’Organisation des Nations Unies, s’est vu confier par l’Assemblée générale le mandat d’exécuter un programme de secours direct et des programmes de travaux en faveur des réfugiés de Palestine. Or, l’UNRWA ne peut remplir ce mandat efficacement sans avoir un accès direct à la population dans le Territoire palestinien occupé. Cela est d’autant plus vrai étant donné le rôle crucial qu’il joue depuis octobre 2023. Pour la Cour, Israël n’est pas en droit de cesser sa coopération avec l’Organisation des Nations Unies en décidant unilatéralement de la présence et des activités des entités de cette dernière dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci, sous réserve du paragraphe 184 de l’avis consultatif. Enfin, Israël doit remplir ses obligations de bonne foi. En cas de divergence de vues entre Israël et l’Organisation des Nations Unies, l’obligation de coopérer impose au premier de continuer de mener des consultations et des négociations avec l’Organisation.

3. L’obligation de respecter les privilèges et immunités de l’Organisation des Nations Unies  

S’agissant des privilèges et immunités de l’Organisation des Nations Unies, la Cour se réfère à l’article 105 de la Charte et à la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies (ci-après, la « convention générale »), à laquelle Israël a adhéré le 21 septembre 1949 sans formuler de déclaration ni de réserve. Dans un territoire occupé sur lequel, en tant que Puissance occupante, il n’a aucune souveraineté, Israël n’est pas en droit de prendre, comme il pourrait le faire sur son propre territoire. La Cour considère que l’article 105 de la Charte et la convention générale ne cessent pas de s’appliquer dans un contexte de conflit armé. Cette position concorde avec les buts et les fonctions de l’Organisation, qui accomplit souvent des missions importantes dans des zones de tension et de conflit. Obligation de respecter les privilèges et immunités accordés à l’Organisation des Nations Unies, ainsi qu’à ses locaux, biens et avoirs 
Tout dommage ou toute destruction subis par les locaux ou autres biens et avoirs de l’Organisation du fait d’activités militaires pourraient constituer une violation des obligations imposées par la section 3 de l’article II de la convention générale.

4. L’obligation de respecter les privilèges et immunités du personnel de l’Organisation des Nations Unies

Dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci, Israël doit respecter l’indépendance du personnel de l’Organisation des Nations Unies ainsi que les privilèges et immunités dont celui-ci a besoin pour exercer ses fonctions, conformément au paragraphe 2 de l’article 105 de la Charte et à la convention générale. Israël est tenu en particulier de respecter les articles V, VI et VII de la convention générale, qui précisent respectivement la portée et le contenu des privilèges et immunités des fonctionnaires de l’Organisation des Nations Unies, des privilèges et immunités des experts en mission pour elle, et du laissez-passer à utiliser par les fonctionnaires de l’Organisation lorsqu’ils exercent les activités relevant de leur mandat. En outre, Israël a, au regard de la convention générale, des obligations en ce qui concerne la libre circulation, dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci, des fonctionnaires de l’Organisation des Nations Unies, qui doivent pouvoir exercer les activités relevant de leur mandat. ‘La Cour souligne qu’Israël doit aussi respecter la libre circulation du personnel local de l’Organisation pour que celui-ci puisse s’acquitter de ses fonctions officielles. Enfin, la Cour souligne l’importance de l’obligation qu’a Israël, en vertu de l’article 105 de la Charte et de la convention générale, d’assurer la sûreté et la sécurité des fonctionnaires de l’Organisation des Nations Unies et des experts en mission.

D. Présence et activités de l’organisation des nations unies à l’appui du droit du peuple palestinien à l’autodétermination

La Cour rappelle que la revendication territoriale d’Israël à l’égard de Jérusalem-Est a, depuis longtemps, été déclarée nulle et non avenue par le Conseil de sécurité. Elle relève qu’Israël entend appliquer la « loi portant cessation des activités de l’UNRWA dans l’État d’Israël » à Jérusalem-Est. En tant que Puissance occupante, Israël doit s’abstenir d’étendre au territoire occupé ses lois internes de quelque manière incompatible avec l’obligation qui lui incombe de ne pas entraver l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination, y compris son droit inaliénable à l’intégrité territoriale dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé. En outre, la crise humanitaire dans la bande de Gaza compromet directement les conditions de vie du peuple palestinien. Le fait de priver un peuple de ses moyens de subsistance essentiels menace les conditions fondamentales qui sont indispensables à l’exercice, par celui-ci, de son droit à l’autodétermination. Le respect du droit à l’autodétermination du peuple palestinien exige d’Israël qu’il n’empêche pas la satisfaction des besoins essentiels du peuple palestinien dans la bande de Gaza, notamment par l’Organisation des Nations Unies, ses entités, d’autres organisations internationales et des États tiers. Enfin, le mandat unique de l’UNRWA a trait aux aspects essentiels du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. La Cour répète que, in fine, la réalisation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris son droit à un État indépendant et souverain, coexistant dans la paix avec l’État d’Israël, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues pour les deux États, comme cela est prévu dans les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, contribuerait à la stabilité régionale et à la sécurité de tous les États du Moyen-Orient.

III. Dispositif de l’avis

Après avoir établi, à l’unanimité, sa compétence et son pouvoir de donner suite à l’avis, la CIJ a estimé que:

A. l’État d’Israël, en tant que Puissance occupante, doit s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire. Ces obligations sont notamment les suivantes :

a) Faire en sorte que la population du Territoire palestinien occupé dispose des produits essentiels à la vie quotidienne, notamment l’eau, la nourriture, les vêtements, le matériel de couchage, les abris et le combustible, ainsi que des articles et services médicaux ; (unanimité)
b) Accepter et faciliter dans toute la mesure de ses moyens les actions de secours faites en faveur de la population du Territoire palestinien occupé tant que cette population est insuffisamment approvisionnée, comme cela a été observé dans la bande de Gaza, y compris les actions de secours menées par l’Organisation des Nations Unies et ses entités, en particulier l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, et par des organisations internationales et des États tiers, et ne pas empêcher de telles actions ; (10 voix contre 1)
c) Respecter et protéger tout le personnel de secours et le personnel médical, ainsi que leurs locaux ; (unanimité)
d) Respecter l’interdiction du transfert forcé et de la déportation dans le Territoire palestinien occupé ; (unanimité)
e) Respecter le droit des personnes protégées du Territoire palestinien occupé qui sont détenues par l’État d’Israël de recevoir la visite du Comité international de la Croix-Rouge ; (unanimité)
f) Respecter l’interdiction d’utiliser contre les civils la famine comme méthode de guerre ; (unanimité)

B. que, en tant que Puissance occupante, l’État d’Israël a l’obligation, en vertu du droit international des droits de l’homme, de respecter, de protéger et de réaliser les droits de l’homme de la population du Territoire palestinien occupé, y compris par la présence et les activités de l’Organisation des Nations Unies, d’autres organisations internationales et d’États tiers dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci ; (10 voix contre 1)

C. Que l’État d’Israël a l’obligation de coopérer de bonne foi avec l’Organisation des Nations Unies en lui donnant pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément à la Charte des Nations Unies, y compris par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci ; (10 voix contre 1)

D. Que l’État d’Israël a l’obligation, en vertu de l’article 105 de la Charte des Nations Unies, d’assurer le plein respect des privilèges et immunités accordés à l’Organisation des Nations Unies, y compris ses organismes et organes, et à ses fonctionnaires, dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci ; (10 voix contre 1)

E. Que l’État d’Israël a l’obligation, en vertu de l’article II de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, d’assurer le plein respect de l’inviolabilité des locaux de l’Organisation des Nations Unies, y compris ceux de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, et de l’exemption des biens et avoirs de l’Organisation de toute forme de contrainte ; (10 voix contre 1)

F. Que l’État d’Israël a l’obligation, en vertu des articles V, VI et VII de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, d’assurer le plein respect des privilèges et immunités accordés aux fonctionnaires de l’Organisation des Nations Unies et aux experts en mission pour l’Organisation, dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci. (10 voix contre 1)

IV. Réactions

Bien évidemment, et d’après le porte-parole du ministre des affaires étrangères israélien, Israël « rejette catégoriquement » la décision de la Cour. L’avis est « une nouvelle tentative politique visant à imposer des mesures politiques contre Israël sous le couvert du “droit international” », a réagi dans un message publié sur le réseau social X le porte-parole.

Pour sa part, le délégué palestinien à la CIJ, Ammar Hijazi, a exhorté la communauté internationale à veiller à ce qu’Israël se conforme à cette décision. « Nous savons […] qu’Israël ne se pliera pas à cette décision et ne respectera pas les responsabilités qui lui ont été assignées par la Cour » . « Il incombe donc à […] la communauté internationale de défendre ces valeurs et d’obliger Israël à se conformer à ces lois », a-t-il ajouté. De son côté, l’Autorité palestinienne a salué l’avis de la Cour internationale de justice. Elle estime qu’il dit très clairement qu’« Israël doit mettre fin à ces politiques illégales ». D’après le ministère des affaires étrangères « Les États ont l’obligation de faire en sorte qu’Israël respecte ses obligations à cet égard ». « Israël doit immédiatement lever l’interdiction illégale frappant l’UNRWA et permettre à toutes les autres organisations internationales invitées par la Palestine d’opérer librement et en toute sécurité à Gaza et dans le reste du territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ».

Enfin, Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans un communiqué rendu public à la suite du prononcé de l’avis, « se félicite de l’avis consultatif ». Il « exhorte vivement Israël à s’acquitter de ses obligations en ce qui concerne la présence et les activités de l’ONU et des autres acteurs humanitaires dans le territoire palestinien occupé, conformément à l’avis consultatif ».  Il estime que « toutes les parties doivent respecter, à tout moment, leurs obligations en droit international, y compris le droit international humanitaire et le droit international des droits humains ». Il déclare qu’il « transmettra rapidement l’avis consultatif à l’Assemblée générale, qui a demandé l’avis de la Cour.  Il appartient à l’Assemblée générale de décider de toute nouvelle décision qu’elle souhaitera prendre à ce sujet ». Pour lui, « les Nations Unies continueront d’apporter une aide humanitaire à la population du territoire palestinien occupé.  L’impact de cet avis sera décisif pour améliorer la situation tragique à Gaza ». Le Secrétaire général réitère enfin son appel « à établir une voie politique crédible vers la fin de l’occupation, conduisant à une solution à deux États, avec Israël et la Palestine vivant côte à côte dans la paix et la sécurité à l’intérieur de leurs frontières sûres et reconnues sur la base des lignes d’avant 1967, avec Jérusalem comme capitale des deux États – conformément au droit international, aux résolutions de l’ONU et autres accords pertinents ».

Conclusion

L’avis consultatif de la CIJ ajoute une nouvelle pierre à l’édifice juridique des droits inaliénables du peuples palestinien à l’autodétermination et à l’illégalité de l’occupation et des pratiques israélienne dans le Territoire palestinien occupé, notamment à Gaza.

L’avis tombe à point nommé au moment où la Puissance occupante s’apprête à annexer la Cisjordanie mettant ainsi en péril non seulement la solution des deux États réaffirmée récemment par la déclaration de New York sur le règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États(5) et consolidé par un mouvement de reconnaissance de l’État palestinien, notamment par la France et le Royaume Uni.

Le rejet par la plus haute juridiction internationale du droit d’Israël à la souveraineté sur quelque partie du Territoire palestinien occupé n’est pas un non-évènement. L’attachement des Palestiniens au droit est une arme essentielle pour le recouvrement de leur droit à vivre en paix dans un État souverain. Le juridique fournit une assise importante au politique.

Rafaâ Ben Achour
Professeur émérite

1) Cette idée de terre d'Israël dans son intégralité recouvre un espace qui n'est pas toujours clairement défini, mais qui au minimum inclut l'espace entre la Méditerranée et le Jourdain et en réalité, déborde souvent un peu au-delà, sur le sud du Liban et une partie de la Jordanie actuelle.

2) La seule voix dissidente sur certains aspects du dispositif est celle de la vice-présidente de la Cour, la juge Sebutinde de nationalité ougandaise. Cette dernière avait, dans un discours prononcé le 10août 2025, à l’église de Watoto en Ouganda affirmé que Dieu comptait sur elle pour “se tenir aux côtés d’Israël” et que les signes de la “fin des temps” se “manifestent au Moyen-Orient”, Voir : Courrier international, 21 août 2025. https://www.courrierinternational.com/article/droits-humains-cour-internationale-de-justice-la-juge-ougandaise-qui-defend-israel-au-nom-du-seigneur_234093

3) Créé par l’Assemblée générale dans sa résolution 302 (IV) en date du 8 décembre 1949, l’UNRWA fournit une assistance aux réfugiés palestiniens en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et à Gaza depuis 1950, l’Assemblée ayant depuis lors constamment renouvelé son mandat. En temps normal, l’Office gère dans le Territoire palestinien occupé près de 400 écoles, plus de 65 centres de soins primaires et un hôpital, ce qui permet d’assurer l’éducation de plus de 350 000 enfants et de dispenser chaque année plus de 5 millions de consultations médicales. À Jérusalem-Est en particulier, ses écoles fournissent un enseignement à 2 000 élèves et ses dispensaires accueillent 40 000 patients. L’Office assure également des services de lutte contre la pauvreté et d’aide sociale, dont des services de protection sociale, ainsi que des secours d’urgence et la distribution de bons d’alimentation, dont bénéficient plus de 1,2 million personnes. 
À Gaza, l’UNRWA est le principal fournisseur des services de base et des services essentiels : il assure l’éducation de 300 000 enfants dans ses 288 écoles et ses deux centres de formation, offre des services de santé à 900 000 personnes – ses 22 centres de soins primaires assurant 3,5 millions de consultations par an – et prodigue une aide d’urgence à 1,1 million de personnes. En cette période de crise, l’Office joue un rôle pivot dans les opérations d’aide humanitaire de l’ONU, apportant une aide vitale, un abri ou d’autres formes d’assistance à la grande majorité de la population gazaouie, soit près de 2,3 millions de personnes toutes touchées par le conflit en cours. En particulier, il a fourni une aide alimentaire à 1,9 million de personnes, vacciné contre la polio plus de 200 000 enfants, prodigué des soins de santé à 15 000 personnes – soit plus de 60 % des soins de santé primaires dispensés à Gaza – et donné un abri à des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur ou aux alentours de plus de 100 écoles (Lettre du Secrétaire général au Président de l’Assemblée générale en date du 28 octobre 2024 ; A/79/58)

4) Résolution 79/732 du 19 décembre 2024

5) Cette déclaration est le fruit de la Conférence internationale de haut niveau pour le règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États qui s’est tenue les 28, 29 et 30 juillet à New York et reprise le 22 septembre.  La Résolution (A/80/L.1/rev.1) a été adoptée par 142 voix pour, 12 abstentions et 10 voix contre, celles de l’Argentine, des États-Unis, de la Hongrie, d’Israël, de la Micronésie, de Nauru, des Palaos, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, du Paraguay, et des Tonga.

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