News - 11.11.2025

La pomme de terre en Tunisie: d’un produit marginal à un pilier stratégique (Album photos)

La pomme de terre en Tunisie : d’un produit marginal à un pilier stratégique

Par Ridha Bergaoui - En Tunisie, la pomme de terre est le premier légume consommé, avant la tomate, le piment et l’oignon. La consommation moyenne annuelle est de 35-45 kg/habitant/an.  C’est un incontournable de la cuisine tunisienne. Aliment polyvalent, elle est omniprésente, pratiquement dans tous les plats, et sous différentes formes.  On la retrouve en frites, salades, purée, cuisinée en tajine ou dans des plats comme le couscous, ragouts, chekchouka, pâtes, boulettes, en tajine et même de la pomme de terre farcie et au four. C’est un ingrédient essentiel en restauration rapide, dans les fricassés et les bricks.

Inconnue il y a un siècle, la pomme de terre s’est rapidement adaptée à nos sols et nos conditions climatiques. La Tunisie est pratiquement autosuffisante en pomme de terre qui est devenue de nos jours une culture importante et un aliment stratégique autant que le pain quotidien.

La pomme de terre dans le monde

Originaire des Andes (actuels Pérou et Bolivie), où elle est cultivée depuis plus de 8 000 ans, la pomme de terre (Solanum tuberosum) constituait un aliment de base au même titre que le maïs. Introduite en Espagne vers l’an 1540 par les conquistadors, elle s’est ensuite diffusée en Europe, en Asie et en Afrique.
Elle a été longtemps méprisée et jugée suspecte, on craignait qu’elle soit toxique ou responsable de maladies. En France, son adoption doit beaucoup au pharmacien et agronome Antoine Parmentier, qui, au XVIIIe siècle, mena une campagne pour convaincre de sa valeur nutritive. Dès le XIXe siècle, la pomme de terre s’imposa comme un aliment vital, facile à cultiver, adaptée aux sols pauvres, productive et se conservant facilement.

Aujourd’hui, la pomme de terre occupe le 4e rang alimentaire mondial, après le riz, le blé et le maïs, et constitue le légume le plus cultivé au monde. La production annuelle atteint environ 300 millions de tonnes, réparties sur plus de 150 pays. La Chine et la Russie en sont les plus grands producteurs et consommateurs. Les rendements varient de 15–20 t/ha dans les zones peu favorisées à plus de 40 t/ha dans des pays performants comme les Pays-Bas, la France ou la Nouvelle-Zélande.La consommation est très contrastée. Elle dépasse 150 kg par habitant et par an dans certains pays d’Europe de l’Est (Ukraine, Biélorussie), alors qu’elle reste marginale en Afrique. En Europe et aux États-Unis, on consomme en moyenne 50 kg de pomme de terre fraîche et 20-25 kg de produits transformés (chips, purées, frites surgelées). En Belgique, «pays des frites», la consommation peut atteindre 80 kg/personne/an. La Belgique a perfectionné la double cuisson, popularisé l’accompagnement avec la mayonnaise et a fait de la frite un symbole gastronomique national et culturel.

La pomme de terre, un destin exceptionnel

D’une solanacée originaire des Andes et négligée durant des siècles, la pomme de terre a conquis le monde entier et est devenue, à partir du 20e siècle, un produit de grande consommation.

C’est un produit polyvalent consommé par les ménages, mais également transformé par les industriels de l‘agroalimentaire en une large gamme de produits (pomme de terre prête à frire surgelée ou fraiche, chips, flocons, purée…) et utilisé dans divers plats cuisinés. Elle peut être cuite à la vapeur, bouillie dans l’eau, frite dans l’huile, rôtie au four ou même grillée sur le feu. On la prépare avec sa peau ou pelée, entière ou coupée en rondelles, pailles, cubes, en quartiers ou réduite en purée.La pomme de terre a été au début considéré comme « l’aliment des pauvres » en raison de son prix abordable, son adaptation à toutes les cuisines, sa valeur énergétique élevée et une sensation de satiété rapidement après consommation. Elle remplit bien l’estomac et à un bon prix. Elle était perçue comme un aliment de nécessité, non de prestige, en comparaison avec le blé ou la viande, des aliments plus nobles, qui jouissent d’une valeur symbolique et culturelle.

Avec l’urbanisation, la mondialisation des habitudes alimentaires et grâce à la diversification des modes de préparation (chips, frites, purée, plats modernes), la pomme de terre est consommée de nos jours par toutes les classes sociales à la maison, dans la restauration rapide ou la restauration moderne et gastronomique. Elle est valorisée dans la cuisine diététique, avec une image plus saine lorsqu’elle est cuite à la vapeur, au four ou en salade. Dans certains régimes alimentaires et chez les sportifs, elle est considérée comme un aliment de qualité riche en glucides complexes, fibres, vitamines C et potassium. Les petits et les jeunes en raffolent surtout en accompagnement avec les hamburgers et les boissons gazeuses. Les chips sont très appréciées comme collation, pour l'apéritif, ou comme accompagnement de divers plats. Dans de nombreux pays, la pomme de terre est le composant principal de nombreux plats emblématiques comme les moules-frites, steak-frites en France et Belgique ou la poutine au Quèbec.

Composition et valeur alimentaire de la pomme de terre

La composition approximative de la pomme de terre est comme suit. Dans 100 grammes de pomme de terre cuite, on trouve en moyenne 77 -80 g d’eau, 17 g de glucides (dont 15 g d’amidon), 2 g de protéines, 2 g de fibres, des minéraux (potassium, phosphore, magnésium) et très peu de lipides. On trouve également de la vitamine C (malheureusement une partie est détruite par la cuisson à haute température) et de petites quantités de vitamines B, K et E. 
Grace à l’amidon qu’elle contient, la pomme de terre libère son énergie de manière progressive, ce qui est intéressant particulièrement pour les sportifs, les travailleurs manuels et les jeunes. Pauvre en lipides et pas de cholestérol, elle est favorable pour la santé cardiovasculaire. Ses fibres améliorent le transit intestinal. Aliment rassasiant et peu calorique elle permet de prévenir le surpoids. Comparée aux pâtes ou au riz, la pomme de terre apporte moins de calories pour une même portion rassasiante. Dépourvue de gluten, la pomme de terre est un aliment adapté aux personnes atteintes de la maladie cœliaque ou sensibles au gluten. Grace à son apport en potassium, elle aide à abaisser la tension artérielle.La pomme de terre est en concurrence avec d’autres sources d’énergie alimentaire comme les pâtes, le pain et le riz. Elle a l’avantage d’avoir une excellente qualité nutritive et une excellente source de vitamines. C’est un aliment facile à préparer, abordable et bon pour la santé
La pomme de terre est un aliment sain, complet et polyvalent qui contribue à la satiété, à la santé cardiovasculaire et digestive, et constitue, dans de nombreux pays, un pilier énergétique important. La cuisson à la vapeur ou à l’eau permet de conserver mieux les vitamines, et permet d’avoir un aliment digeste et léger alors que la friture augmente fortement les calories. Eviter les tubercules verts ou germés qui contiennent de la solanine toxique.

La pomme de terre en Tunisie, situation et défis

Introduite à la fin du XIXᵉ siècle par les colons, la pomme de terre était d’abord cultivée dans de petites parcelles irriguées du Cap-Bon, de Bizerte et du Nord-Ouest. Destinée d’abord à la population Européenne, elle entra très vite dans le régime alimentaire tunisien et gagna en popularité. Après l’indépendance, l’État encouragea sa culture par l’importation de semences et l’organisation de la filière.

Aujourd’hui, la production nationale est estimée entre 350 000 et 450 000 tonnes par an, sur 20 000 à 25 000 ha irrigués. La culture est répartie essentiellement en trois grandes saisons:

 Primeur (septembre–octobre / récolte mars–avril) : zones côtières (Cap-Bon, Sahel), offrant les premières pommes de terre fraîches du printemps.
 Culture de saison principale (janvier–février / récolte mai–juin) : surtout dans le Nord (Bizerte, Béja, Jendouba). C’est la campagne la plus importante.
 Culture d’arrière-saison (août–septembre / récolte novembre–décembre) : destinée à prolonger l’approvisionnement des marchés.

Selon l’Onagri, en 2020, la production atteignait 452 000 tonnes avec un rendement moyen de 20 t/ha. Les variétés les plus cultivées sont la Spunta (près de 90 % des surfaces), Nicolas et Safrane. La consommation nationale absorbe presque toute la production. Les exportations concernent quelques milliers de tonnes de primeurs (vers la Libye et l’Europe). En cas de déficit, la Tunisie importe, parfois massivement, de la pomme de terre. En 2019, près de 23 000 tonnes ont été importées.De nombreux défis entravent la production de la pomme de terre. Il y a tout d’abord le réchauffement climatique avec la sécheresse, la chaleur, le manque d’eau et la multiplication des maladies (surtout le mildiou, la pathologie la plus grave et la plus fréquente). Ces deux facteurs pèsent beaucoup sur les rendements. On peut citer également la dépendance en semences et l’insuffisance des infrastructures de conservation pour l’approvisionnement régulier des marchés.

Le problème des semences

La pomme de terre se reproduit par des tubercules germés, mais ceux-ci accumulent rapidement maladies et virus, ce qui dégrade les rendements des cultures. D’où la nécessité de renouveler les semences régulièrement. La production de semences certifiées est complexe et coûteuse. Elle exige un passage par le laboratoire (production de vitro-plants), la culture en serres « insect-proof », puis des multiplications au champ en plusieurs classes (Super-élite, Élite, Classe A).

En Tunisie, pour des raisons techniques, climatiques et organisationnelles, les tentatives de production de semences locales n’ont pas abouti. Le pays importe de 25 à 30 000 tonnes de semences de pdt/an, principalement des Pays-Bas, de France et d’Allemagne. Ces semences sont destinées à la culture de saison. Pour l’arrière-saison et les primeurs les agriculteurs utilisent généralement leurs propres semences, issues de la culture de saison. Cette dépendance fragilise la filière et pèse beaucoup sur les coûts.

Conservation et disponibilité

Du fait que la production de pdt soit concentrée dans le temps, la conservation est essentielle pour assurer l’approvisionnement régulier des marchés toute l’année. La conservation peut-être:

• Traditionnelle: stockage en petits tas, sous paille ou sable, dans des lieux frais et aérés. Peu coûteuses mais entraînant 30 à 50 % de pertes.
• Moderne: chambres froides (4–6 °C, humidité et ventilation contrôlées). Elle permet de limiter les pertes à moins de 10 % et d’étaler l’approvisionnement, mais nécessite des investissements importants et une consommation d’électricité.

Le manque d’infrastructures de stockage reste une faiblesse majeure de la filière pomme de terre, ouvrant la porte à des tensions sur les prix et à des risques de monopole et de spéculation.

La pomme de terre, un aliment stratégique essentiel

Dans le régime méditerranéen tunisien, dominé par les céréales (près de 200 kg/habitant/an) et complété par l’huile d’olive, les légumes et les légumineuses, la pomme de terre s’est imposée comme un complément énergétique incontournable. Accessible et disponible toute l’année, elle équilibre le régime alimentaire et apporte diversité et satiété.

Sur le plan socioéconomique, la pomme de terre occupe une place cruciale avec 20 000 à 25 000 ha, elle représente près d’un sixième des surfaces maraîchères du pays. Elle génère des milliers d’emplois directs et indirects (semences, culture, transport, conservation, commerce, transformation).

De culture marginale au XIXe siècle, la pomme de terre est devenue en Tunisie un aliment stratégique. Elle nourrit les familles, soutient l’économie rurale et assure un rôle de stabilisateur dans la sécurité alimentaire nationale. Dans un contexte de sécheresse et de dépendance accrue aux importations de céréales, la pomme de terre constitue un atout précieux. La renforcer, par la recherche variétale, la production de semences locales, l’amélioration de la conservation et une meilleure organisation de la filière, est essentiel pour garantir l’équilibre alimentaire du pays.Pour conclure. La pomme de terre possède des caractéristiques nutritionnelles intéressantes, c’est un aliment sain et nutritif. Elle est accessible et facile à se procurer, facile à préparer et cuisiner de plusieurs façons avec une grande variété de présentations. Sa consommation est appelée à se développer encore aussi bien en frais qu’en produits préparés pour les restaurants, les hôtels, les collectivités et les ménages.

En Tunisie, l’histoire de la pomme de terre reflète les grandes transformations dans les habitudes alimentaires au même titre que celle du blé tendre, introduit par les colons, et devenu indispensable pour la confection du pain quotidien de tous ou celle du poulet industriel, inexistant jusqu’aux années 1960, et devenu de nos jours un autre pilier du régime alimentaire et de l’économie nationale.

Ridha Bergaoui

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