Que faire de la fortune de la galaxie Ben Ali ?
L’étendue de la fortune de l’ancien  régime a surpris et continue de surprendre en Tunisie et ailleurs.  Celle-ci touche tous les secteurs : communication, banque, finance,  tourisme, transport, agriculture,… Elle va de simples biens immobiliers à  des entreprises et des portefeuilles en titres. C’est une vraie galaxie  qui était derrière cela et nous employons ce terme à dessein. En effet,  la constitution d’une telle fortune a dû nécessiter l’implication de  nombreuses personnes comme elle a dû bénéficier à tant d’autres, connus  et non connus. La ramification des réseaux et l’imbrication des  opérations sont telles que nous ne pouvons parler que de galaxie. Nous  citerons deux exemples. Le premier est relatif à la fortune du Monsieur  Gendre « Sakhr », à travers son groupe « Princess Holding » qui comprend  plusieurs sociétés dont « Ennakel », cotée sur les bourses de Tunis et  de Casablanca, et sa participation à hauteur de 25% dans le capital de  l’opérateur télécom « Tunisiana ». Le deuxième concerne celle du  beau-frère « Belhassen Trabelsi » via son groupe Carthago, transport  aérien et hôtellerie, et sa
  participation dans le capital de la Banque de Tunisie (BT).
  
  Certes, ce n’est qu’un petit morceau de la partie émergente de  l’iceberg. Mais ces deux exemples sont très instructifs. Car la fortune  est constituée selon un mode capitalistique prédateur et clientéliste  alliant à la fois captation de l’Etat, mauvaises pratiques (délit  d’initié…) et techniques sophistiquées de la finance moderne. Ainsi, on a  fait appel à de cabinets spécialisés dans le montage juridico-financier  des opérations, à des syndics bancaires pour lever des fonds. On a  également utilisé des prête-noms et créé des sociétés immobilières, à  l’instar de la Société Civile Immobilière (SCI), pour acquérir des biens  immobiliers, notamment à l’étranger.
Les limites d'une nationalisation
  
  Connaître cela est important, me dirait-on, mais que faire de cette  fortune? La réponse qui s'impose  d'emblée, se résume en un ensemble de  mesures qui va de la mise sous tutelle juridique des biens identifiés  jusqu’à leur vente aux enchères publiques ou leur nationalisation. Cette  réponse timide n’est pas seulement insuffisante, elle est même  inappropriée à la situation. Elle révèle de surcroît un hiatus entre le  discours répandu traitant de la question et la complexité et la  sophistication de l’environnement national et international dans lequel  s’inscrit l’ensemble des opérations à la base d’une telle fortune. Cette  réponse n'est  pas à la hauteur de l’enjeu que représente cette fortune  ni des changements aux niveaux de l’économie tunisienne et des modes de  gestion budgétaire.
  
  Parler aujourd’hui d’une simple nationalisation comme mode de gestion  traduit un certain degré de passéisme dans la conception du rôle de  l’Etat dans l’économie et passer outre à l’évolution des modes de  gestion de deniers publics partout dans le monde. De plus, mettre une  telle fortune entre les mains de l’Etat, c’est la diluer dans l’ensemble  du budget et ne plus distinguer son effet de celui de l’action  gouvernementale proprement dite, s’appuyant sur une politique économique  et un budget appropriés. C’est aussi dépenser en une fois ce qu’on peut  faire fructifier et en bénéficier pour des années.
  
  Quant à la mise aux enchères publiques, elle dénote une certaine  mollesse dans la gestion de cette fortune. Celle-ci est considérée, dans  cet esprit, comme une aubaine dont il faut  profiter afin d’alléger les  contraintes financières qui s’imposent au nouveau gouvernement étant  donné les engagements et les promesses, en matière d’emploi et de  croissance.
  
  Cela envoie un message tacite aux participants potentiels aux enchères  selon lequel le gouvernement serait moins exigeant en matière de prix.  Suite à quoi, les participants vont pousser à la baisse des prix, et ils  ne manquent ni d’idées ni de techniques pour y arriver. Le résultat  serait du type sel-fullfilling, où les prophéties des acteurs, en  l’occurrence les participants aux enchères, se réalisent par  l’acquisition d’une fortune largement sous-évaluée.
  
  Il est clair donc que la réponse en cours n’est pas à la hauteur de  l’enjeu que représente cette fortune autant sur le plan symbolique  qu’économique. Symboliquement, cette fortune s'était constituée au  détriment du peuple par la mainmise sur l’appareil de l’Etat et le  dépouillement des biens publics. Elle devrait donc être à son service.  La mettre entre les mains de l’Etat ne représenterait pas en soi une  garantie. Elle ne serait plus visible et l’effet mémoire s’étiolerait  avec le temps. Economiquement, les solutions évoquées ci-dessus ne  garantissent pas une bonne affectation de ce que représente cette  fortune en termes des ressources.
Réagir sans tarder
  
  Que faire donc ? Il faudrait agir vite et ne pas attendre la fin des  procédures judiciaires et l’identification de l’ensemble des biens  appartenant à la galaxie. Une attitude attentiste risquerait d'entraîner  la dévalorisation de la fortune, ce qui profiterait aux seuls  spéculateurs et autres requins et charognards. Cela devrait passer avant  tout par un discours politique rassurant qui garantira l’activité  économique normale liée de près ou de loin à cette galaxie. Les éléments  de la fortune à gérer sont aujourd’hui partie prenante dans l’emploi et  la croissance, deux défis majeurs dans la morosité mondiale ambiante.  La société Ennakl, par exemple, à perdu 30% de sa valeur en la seule  journée du lundi 17 janvier sur la bourse de Casablanca. A cela s’ajoute  les coûts de perturbation de l’activité des autres entreprises.
  Veiller à protéger ces entités et à ce que leur activité revient à la normale ne peut que contribuer à surmonter ces défis.
  En ce qui concerne notre proposition et étant donné tous les éléments  discutés ci-dessus et par souci d’efficacité et d’équité, nous pensons  que cette fortune pourrait être gérée selon une structure double. La  première serait une société d’investissement de type holding « Holding  Tunisie » et la deuxième serait une fondation « Fondation Tunisie ». Les  deux se complètent : l’une par la création de la valeur et l’autre par  son affectation au profit de la population. Ce mode de gestion  s’apparente à une pratique de redressement financier qui consiste à  extraire un nombre d’actifs et les gérer dans un seul objectif comme  celui de rembourser la dette. Les deux entités doivent être  indépendantes de toute tutelle ministérielle et publier, en toute  transparence, un rapport annuel d’activité qui sera examiné par la cour  des comptes. L’étude des expériences étrangères similaires serait d’un  grand apport.
  
  La holding aura pour tâche de veiller sur le bon emploi de l’ensemble  des actifs que constitue la fortune de la galaxie, de les fructifier  tout en rivalisant avec les entreprises les plus compétitives dans  chaque secteur. S’il s’avère que la bonne gestion de la holding passe  par la cession de certains éléments de la fortune, il faudrait y  procéder après leur mise en valeur et par des enchères ouvertes à  l’international.
  
  La fondation aurait pour ressources principales les bénéfices réalisés  par la holding, du moins la part non investie. Mais dans un premier  temps, des dotations issues de la vente des certains actifs pourraient  en être les premières ressources. L’ensemble des ressources de la  fondation seraient employées selon une logique de gestion stratégique et  par objectifs.
  
  Comment cela ? Depuis près d’un quart de siècle, la Tunisie a choisi une  approche libérale dans la gestion de son économie, sans pour autant  procéder à des révisions nécessaires, surtout sur le plan social,  permettant d’éviter les effets négatifs d’une logique comptable de  faible déficit, voire de budget équilibré. Il s’agit donc d’identifier  certains objectifs cibles indispensables dans la vie de la population  mais que les choix de politique économique, via le budget, ne peuvent  accomplir pour plusieurs exercices. Ce sont des objectifs stratégiques  dans la mesure où ils permettent au pays de mieux envisager l’avenir et  ses défis. Mais avant cela, une partie des ressources de la fondation  devrait, nous semble-t-il, servir au dédommagement des familles des  martyrs, voire de ceux et celles qui ont perdu des biens ou ont vu  péricliter leurs commerces.
  
  Les domaines d’intervention de la fondation seraient au nombre de quatre  : la caisse de compensation, la jeunesse, la recherche scientifique et  l’environnement. Mais on pourra élargir  ecentrer l’intervention de la  fondation quand c’est nécessaire et selon une approche dynamique.
La fondation, une solution pour financer la caisse de compensation
  
  Pour ce qui est de la caisse de compensation, le défi est énorme :  comment lutter contre la cherté de la vie et maîtriser les comptes  nationaux ? Les cours de matières premières, notamment agricoles  (céréales, sucre…), s’envolent et continueront de s’envoler pour une  raison toute simple : la demande mondiale est en augmentation continue,  notamment dans les nouveaux pays émergents, alors que les terres mises  en culture sont en régression. Pour un pays importateur net comme la  Tunisie, la facture ne peut qu’être de plus en plus élevée, à
  moins qu’on coupe dans les subventions. En 2008, un milliard de dinars  était consacré à la subvention de produits de consommation de base  (pain, sucre,…) alors qu’en 2006 le montant était de 321 millions de  dinars. Les dernières décisions en matière de prix ne peuvent  qu’amplifier le budget de la caisse de compensation. La fondation peut  contribuer à son financement.
  
  Quant à la jeunesse, deux volets d’intervention méritent une attention  particulière. Le premier concerne le logement et la nourriture des  étudiants. En effet, le logement universitaire, quand il est disponible,  est d’un an pour un garçon et de deux ans pour une fille. La dépense  mensuelle moyenne d’un étudiant résidant en ville (hors foyer  universitaire) et en co-location est évaluée à pas moins de 200 dinars.  Ce sont en majorité des familles modestes qui subissent ces frais de  scolarité, vue l’éloignent de pôles universitaires. Au problème de  logement s’ajoute celui de la nourriture causé par la dispersion des  établissements universitaires, le nombre réduit de restaurants  universitaires et les horaires d’études non appropriées. Cela nous  semble plus grave puisque le mode de vie basée sur ce qu’on appelle « la  malbouffe » est source d’une nourriture non saine et déséquilibrée qui  serait à l’origine de plusieurs maladies et dont les coûts en termes de  la santé et de finance publique seraient colossaux plus tard.
  
  Ainsi, revenir à un mode de vie universitaire facilitant le logement  collectif de même qu’une nourriture saine est primordial aujourd’hui.  Cela devrait passer par l’extension des logements universitaires, les  locations de foyers, les aides personnalisées au logement, etc.…
  
  Le deuxième volet est relatif aux jeunes primo-demandeurs d’emploi et  fraîchement diplômés, en particulier ceux issus des zones rurales. Il  s’agit de leur faciliter l’accès à l’emploi par la mise en service d’un  ensemble de mesures. Parmi celles-ci, il y en a une qui nous semble  particulièrement innovante. Elle consiste à créer des « Foyers des  Jeunes Travailleurs » dont la mission serait d’accueillir ces jeunes en  leur garantissant, voire contre une participation, le logement et la  nourriture afin de leur faciliter l’intégration du milieu du travail et  même avant
  pour qu’ils aient plus de chances dans leur recherche d’emploi.
  
  En ce qui concerne la recherche scientifique et l’innovation, l’enjeu  est de taille. Toutes les études qui ont traité de cette question  insistent sur le lien fort et robuste qui lie les montants alloués à la  recherche à la croissance économique et au niveau du développement d’un  pays.
  
  Toutefois, ce domaine nécessite des montants tels qu’un budget à la  tunisienne (moins de 1% de PIB) ne peut satisfaire. La fondation prendra  donc en charge l'encouragement de la recherche, selon les modalités  qu’elle envisage, notamment en sélectionnant et finançant des  programmes, en réservant des prix, en réalisant des contrats avec  l’université, etc.
  
  L’environnement est aujourd’hui un enjeu primordial dans la quête d’un  développement durable et citoyenne. Ainsi, la fondation pourrait  financer des programmes en ce sens et encourager en particulier ceux qui  ont trait de manière directe à l’amélioration de la vie des citoyens et  qui se font en association plusieurs partenaires ou ministères.
  Toute révolution est porteuse d’espoirs, surtout quand elle survient  après des décennies d’oppression et de népotisme. Les objectifs proposés  ici peuvent néanmoins, paraître, pour certains, irréalistes et donc  irréalisables. Mais quand il s'agit d'utiliser à bon escient des  milliards de dinars qui vont  incessamment renflouer les caisses de  l’Etat, on est en droit d'être optimiste et d'agir en ce sens, d’autant  plus que la volonté et la matière grise existent.
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La bonne question à poser et qui va influer directement sur notre avenir proche, quelle attitude avoir envers les fortunes amassées par plusieurs de nos concitoyens sur plus de 50 années de gouvernance corrompue????

Excellente idée. Non à la nationalisation et non à la vente aux enchères, 2 formules dont l'impact sera très faible et passager ( surtout la privatisation qui ne fera qu 'enrichir de nouveaux prédateurs; vu l 'aspect peu concurrentiel de ces opérations Donc l'idée que le symbole " fortune récupérée au service du peuple" doit continuer à travers le temps pour que le peuple tunisien n 'oublie pas; et donc cela passe par l'institutionnalisation . La création de 2 institutions ( une qui fructifie les capitaux et crée la richesse et une qui distribue une part du profit à des populations ciblées est interessante; mais ; en admettant que le profit à allouer à des actions au niveau social pourrait s'élever m^me à 20 millions DT, cela reste symbolique et ne devrait pqs être dispersé sur plusieurs créneaux d'utilisation ( alléger les interventions de la Caisse de compensation de 1 ou 2% n'a pas de sens) Il faudrait donc identifier un domaine social en relation symbolique avec le 14 janvier ( par exemple en donnant le nom 14 janvier à cette fondation) axé sur un ou 2 types d'intervention au maximum pour que l'impact ne soit pas dilué. L'idée de financer "un fonds d'attente" qui permet par exemple à un étudiant fraichement diplomé de bénéficier d'une forme de bourse pour une année renouvelable à certaines conditions; l'idée aussi de couvrir par une bourse spéciale les etudes supérieures de jeunes des familles nécessiteuses; me semblent pouvoir avoir un meilleur impact. la création d'un tel fonds alimenté par les bénéfices du holding devrait aussi permettre la collecte de fonds des entreprises et des particuliers; mais aussi d 'organismes de coopération internationale et d'ONG à des conditions qui seront fixées par la loi Bref une idée judicieuse à travailler davantage, en espérant que le gouvernement par manque d'imagination ne se rabatte sur l'une ou l'autre des solutions classiques désastreuses sur le plan symbolique et à impact quasi nul sur le plan économique et social

Vous avez parlé de délit d'initié, vous avez raison, les trabelsi et affiliés en ont profité c'est quantifiable. Mais Sakhr El Materi - initié - par les sympatisants pour être bien vus, ont tout dévoilé des sociétés étatiques en bon corrompus. A son tour ce gendre a ''conseillé '' les siens et particulièrement (...) sur les achats divers dont terrains au Lac, et le voila promoteur immobilier...

Vos propositions au sujet de recherche, l'innovation et à propos du logement universitaire me parait signifiante. Concernant, la question de choix stratégique entre la nationalisation ou la vente aux enchères, je trouves des difficultés à juger la synthèse de mon enseignant. J'aurai la chance de discuter avec vous à propos. Je peux à mon niveau donner un avis, assurer la gestion de ce patrimoine par la banque centrale pendant cette période de transition. Espérant que le prochain gouvernement soit ouvert sur le milieu universitaire et qu'il organise une consultation réunissant des compétences Tunisiennes, une sorte de "Parlement de Technocrates " afin de collecter des recommandations et des idées concernant tous les problèmes touchant le système de l'éducation et universitaire, la recherche et développement, l'emploi et des mesures d'avenir pour la promotion de l'investissement et le développement des régions intérieurs. Par ailleurs, il faut s'assurer du bon déroulement de cette consultation, si elle va se dérouler dans les mêmes circonstances que celle intitulée " consultation des jeunes " qui a été organiser en 2009 par le régime déchu aux sièges du RCD, je pense qu'il vaut mieux de ne pas faire perdre du temps aux dits conseillers.