Environnement : Un trésor est caché...dans votre poubelle

Aregarder nos villes, leurs rues et leurs avenues, on est tenté de demander au Ciel de donner à la Tunisie un Eugène Poubelle. Ce préfet de police imposa, en 1884, aux Parisiens l’usage de ce récipient qui porte son nom. Un préfet Poubelle tunisien trouverait peut-être le remède à  ce cancer des ordures qui ronge nos cités et les défigure! Tout le monde se souvient de l’exclamation – de surprise et d’étonnement (réelle ou feinte, allez savoir !) – de  M. Hamadi Jebali devant les montagnes d’ordures dans la banlieue de la capitale : «Où est le gouvernement ?». Le Premier ministre découvrait enfin un problème qui agresse depuis des mois  l’œil, le nez,  la santé  et le sens de l’esthétique de ses concitoyens et ….des  hôtes étrangers de ce pays censés sentir les effluves du jasmin et de la fleur d’oranger !

Un rapport de la Banque mondiale

Il semblerait que ni M. Jebali ni son honorable gouvernement n’ont  lu le récent rapport de la Banque mondiale qui tire la sonnette d’alarme sur l’augmentation du tonnage des déchets ménagers dans le monde. Cet organisme international rapporte qu’en un peu plus d’une décennie, les déchets urbains augmenteront de 70% et passeront de 1,3 milliard de tonnes par an à 2,2 milliards de tonnes en 2025. Aujourd’hui, en moyenne, chaque terrien produit quotidiennement 1,2 kg de déchets.

Le coût de la gestion de ce tsunami d’ordures est aujourd’hui de 205 milliards de dollars et il bondira à 375 milliards en 2025. Cette augmentation, souligne le rapport de la BM, frappera surtout les pays en voie de développement, là où les villes fleurissent de plus en plus du fait de l’exode rural, de la démographie, de la mauvaise planification…. car ce sont les centres urbains et non les campagnes qui génèrent le plus de déchets. Le document souligne l’absence de données fiables concernant ce problème. Pour notre pays, il fait état de données relatives aux années 2000 et 2002 (Rapport METAP 2004), voire 1993. Pour les ordures urbaines de Tunis, il donne  la composition suivante: composés organiques : 68%, papier: 10%, plastique : 11%, verre : 3%, métaux: 2% et divers : 6%. Il va de soi que ces chiffres doivent être actualisés si l’on veut prendre le problème au sérieux. Notre pays, c’est visible surtout dans les villes, est devenu – du moins pour certaines catégories sociales – un grand consommateur de plastique, d’emballages, de métaux (canettes en aluminium notamment) et de divers produits. Or, sans données chiffrées, il sera difficile de planifier, de prévoir des budgets et des équipements  pour gérer ces himalayas d’ordures. Le rapport de la BM affirme que la production des déchets urbains est  «un problème silencieux qui grossit de jour en jour» sans que les autorités concernées prennent les mesures nécessaires. C’est hélas vrai dans le cas de la Tunisie !

Il est clair que nous sommes face à un problème complexe. On ne saurait le résoudre au moyen d’expédients, à la va-vite et avec des arrière-pensées électoralistes. Les acteurs sont nombreux : le citoyen, la municipalité et ses employés,  le gouvernement et ses ministres….

Le citoyen tunisien semble vérifier le constat posé il y a déjà un certain temps par le géographe français Yves Lacoste— par ailleurs excellent connaisseur de l’œuvre d’Abderrahman Ibn Khaldoun.  Lacoste note que dans les pays du Sud, à la pollution «traditionnelle» - eau contaminée, eaux usées mal gérées…- s’ajoute maintenant celle générée par la vie moderne : gaz d’échappement, pesticides, plastiques, métaux lourds comme le plomb de l’essence ou des peintures…. Pour ne rien dire des inondations provoquées par l’engorgement des canalisations par les ordures.  Certains Tunisiens sont parvenus à un stade de consommation qui n’a rien à envier à celui d’un Européen ou d’un Japonais, d’où une accumulation importante de déchets urbains de toutes sortes. Les moyens de collecte n’ont pas suivi… ni peut-être une certaine estime de soi ! On voit dans nos rues des  pots de yoghourt et des bouteilles en plastique ballottés par le vent, des sacs synthétiques noirs accrochés aux arbres ou sur les fils de téléphone et qui défigurent nos oliveraies et nos orangeraies, des couches de bébé et du verre sur les plages qui insultent la Nature et le passant… Spectacle impensable à Lausanne ou à Kyoto où la consommation de ces produits est bien plus importante que chez nous, évidemment!

Le Tunisien serait-il un partisan de la discutable théorie émise en 1968 par  Garrett Harding — cet écologiste américain — qui prétend, en gros, que ce qui n’est pas la propriété de  quelqu’un est détruit par l’avarice individuelle ? Hors sa maison, le Tunisien prendrait-il le risque d’attenter à la Nature en y  jetant ses déchets, oubliant que celle-ci peut réagir… au moyen du vibrion cholérique parfois ? Est-ce le vieux concept du « bilik » qui ne sait qu’opprimer et envoyer contre le peuple les troupes du Général Zarrouk qui ont ravagé le Sahel? Pourtant,  tous  nos enfants apprennent  que «la propreté relève de la foi et la saleté de Satan.»

Pour Noam Chomsky, le célèbre linguiste américain du MIT de Boston,  les leaders du business et leurs communicants dirigent les gens vers «les choses superficielles» et instaurent « la mode de la consommation ». Ce qui fait que les gens sont « atomisés », séparés les uns des autres, cherchant seulement le gain, évitant l’effort et abdiquant la réflexion personnelle. Alors ils jettent dans la nature le superflu, le déchet, ce qui est passé de mode….

Sus aux containers !

En Tunisie, se pose aussi le problème des containers. Ces récipients font beaucoup de mal à notre environnement et les municipalités seraient bien avisées de les supprimer. Pourquoi ?

Les containers ne sont jamais lavés. Ils ne sont jamais couverts. Ils débordent souvent et ne sont pas vidés à heure fixe. Ce sont de vrais bouillons de culture dans lesquels prolifèrent les microbes et les rongeurs. Ils offrent le gîte et le couvert aux chats et aux chiens errants, voire aux vaches…dans le périmètre communal !  Ils constituent parfois un vrai danger pour la circulation, notamment la nuit. Ils donnent une fausse bonne conscience aux usagers qui y mettent leurs sacs… même quand cela déborde outrageusement. Enfin, ils ont le grand tort de ne pas inciter au tri des produits recyclables (verre, métaux, plastiques papier, carton, tissus..) ou des matières organiques fermentescibles. Nos poubelles recèlent de véritables trésors si nous nous donnons la peine de les trier.

Les abandonner ainsi sans ménagement est attentatoire à la santé et à l’environnement… pour ne rien dire des gaz à effet de serre qui s’en dégagent et contribuent à ce réchauffement climatique qui étouffe la planète. Pour ne rien dire aussi de leur brûlage sauvage qui émet quantité de gaz carbonique (effet de serre) et risque de produire des composés du type «dioxines», composés très toxiques et cancérigènes, surtout si des plastiques sont présents ou  si les températures de combustion sont basses.

Supprimer les containers, oui ; mais par quoi les remplacer ? Comment collecter alors les ordures ménagères ?

Pour la Banque mondiale, les solutions ne manquent guère : on peut faire du ramassage porte-à-porte comme faisaient, tous les soirs,  les braves éboueurs de mon enfance, on peut installer des containers communautaires (pour un immeuble, une résidence… par exemple) mais en triant (verre, papier, plastique…) vidés à date fixe et régulièrement nettoyés… La Banque mondiale va jusqu’à parler d’«exploitation minière urbaine» ! C’est dire ! Tout cela demande bien sûr des moyens, beaucoup de moyens  et surtout de la discipline et de la rigueur de la part des citoyens. De même,  les autorités publiques  ne devraient pas hésiter à verbaliser et à traduire devant les tribunaux ceux qui par inconscience ou par paresse ou pour gagner de l’argent couvre ce pays d’immondices et de gravats. En un sens, les campagnes lancées actuellement par le gouvernement — pour bénéfiques qu’elles soient — n’ont de sens que si des solutions à long terme pour le ramassage sont proposées et que le citoyen et l’employé de la municipalité s’astreignent à la nécessaire discipline. On ne peut continuer ainsi, «business as usual» ! Plus, ces campagnes sont sans effet— je suis désolé de le dire—car sitôt sommairement nettoyés, les espaces souillés se retrouvent,  deux heures plus tard,  couverts d’immondes car les solutions au ramassage ne sont pas au rendez-vous.  A cet égard, il nous faut une véritable révolution culturelle. Il faudrait que les pouvoirs publics offrent des incitations à la diminution des emballages par  les fabricants.

Il faut surtout que les Tunisiens – et leurs municipalités – comprennent l’intérêt   du recyclage et ses retombées sonnantes et trébuchantes. Ainsi, les déchets végétaux des jardins sont déposés par les gens dans une décharge dédiée dans beaucoup de villes (petites et grandes) en France où ils sont compostés.

Les habitants y viennent régulièrement chercher du compost, gratuitement, pour leur jardin. Ce qui a l’avantage d’enrichir le sol et de se passer souvent des pesticides toxiques. La digestion anaérobie des déchets organiques peut conduire, de son côté,  à la formation de méthane qui peut être utilisé pour le chauffage, la cuisine ou la production d’électricité. D’ailleurs, dans les années 1970, des expériences de ce type ont été menées  dans des fermes de la région de Sejnane  par des experts chinois. Le journal Le Monde du 19-20 août 2012 (p.8) publie un article où est décrit le procédé d’une usine pilote pour valoriser les déchets industriels et la biomasse, usine  qui démarre la semaine prochaine à Morcenx dans les Landes pour fournir de l’électricité à 50 000 habitants. Il ne s’agit donc pas de science-fiction !

Les citoyens devraient soupeser les programmes des partis sur les questions environnementales avant de leur accorder leur suffrage aux prochaines élections municipales et nationales.

Le gouvernement – tout occupé qu’il soit actuellement – par «la politique»  devrait se pencher sérieusement sur la question des déchets, de tous les déchets… car le pire est encore à venir si on n’y prend garde. En effet, où iront les téléviseurs, les téléphones portables (durée de vie : 18 mois en moyenne), les ordinateurs et leurs imprimantes, les fours à micro-ondes, les machines à laver…hors d’usage qui ne manqueront pas de déferler bientôt sur nous ? Des composants hautement dangereux  entrent dans leur structure et nous avons intérêt à nous en occuper au plus vite. Gouverner, c’est prévoir, dit l’adage populaire.

M.L.B.
NB : Le lecteur intéressé par ces questions peut lire «La consommation assassine. Comment le mode de vie des uns ruine celui des autres. Pistes pour une consommation responsable» que nous avons traduit et adapté du State of the World 2004 du Worldwatch Institute de Washington, Editions Charles Léopold Mayer, Paris, 2005)