Chedly Ayari: Chronique d’une sortie pathétique (Album photos)
Avait-il été mené en bateau par ses troupes? Jusqu’à la dernière minute, l’ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie était dans le déni. Non, le Gafi n’avait pas décidé officiellement le blacklistage de la Tunisie, avait-il cru et essayé de l’accréditer. Ce n’était, selon la BCT, qu’un malentendu, une mésinterprétation, véhiculée par erreur sur le site officiel du Gafi et dont il fallait demander la rectification. On avait encore jusqu’à 2019 pour nous conformer aux exigences, nous disait-on... Alors que les dés étaient bel et bien jetés!
Ce n’était pas l’unique reproche fait au gouverneur de la Banque centrale. Le fonctionnement de la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf), appelée à se réunir chaque mois sous sa présidence, soit 18 réunions depuis sa recomposition, alors qu’elle n’en a tenu que six, avec un ordre du jour portant beaucoup plus sur des questions administratives que sur ses opérations. Le financement suspect des associations posait également problème. Mais, c’est la chute vertigineuse du dinar, la politique monétaire dans son ensemble, la fixation du TMM et le refinancement des banques qui constituent un grand motif d’inquiétude pour le gouvernement.
Exfiltration dans la dignité
Confronté à cet état des lieux, le gouverneur Chedly Ayari avait compris que son départ, avant le terme de son mandat, juin 2018, était nécessaire. Il l’avait évoqué avec des proches, et même des officiels. Tous lui souhaitaient une sortie dans la dignité, par respect pour sa haute stature et au vu de toutes ces décennies consacrées au service de l’Etat. La date du 31 décembre 2017 était avancée. Les consultations pour le choix de son successeur ont repris. Pressenti parmi d’autres candidats, Marouane El Abbassi, déjà en ligne depuis quelque temps, était en tête de liste et reçu pour des entretiens approfondis. Tout devait alors se passer début janvier, mais Chedly Ayari n’avait pas encore remis sa décision, repoussant sa démarche pour février ou mars. Selon ses proches, il aurait indiqué que si on voulait le faire partir, il n’y avait qu’à appliquer la procédure parlementaire : sa nomination le 26 juillet 2012 était approuvée par le Bardo, c’est au Bardo de décider de son départ.
Aucun mot n’est soufflé à ce propos lors de la réunion mensuelle du conseil d’administration de la BCT, tenue le 2 février dernier. Président-gouverneur et administrateurs sont sur une autre planète. La situation devenant de plus en plus urgente, le processus de son départ était alors enclenché. L’Assemblée des représentants du peuple inscrit la question de son limogeage et l’approbation de la désignation de son successeur à l’ordre du jour de la plénière du 15 février. Le gouverneur Ayari décide alors de convoquer le conseil d’administration, le 13 février, pour l’en informer. Simple formalité, la nouvelle étant déjà rendue publique. La commission législative (et non de contrôle), qui examine les projets et propositions de loi qui lui sont transmis, la commission des finances, du plan et du développement, présidée par Mongi Rahoui, décide d’auditionner la veille de la plénière le gouverneur de la Banque centrale. Commence alors une séquence kafkaïenne de ce « mauvais épisode ». Si Chedly Ayari était resté tout au long des débats respectueux à l’égard du gouvernement, certains de ses collaborateurs présents ne se sont pas privés de lâcher publiquement une série d’inexactitudes. Des documents confidentiels ont circulé, sans pour autant qu’ils soient contextualisés, ni accompagnés des réponses reçues. L’atmosphère était très tendue et la pression médiatique forte.
Une scène pathétique
A la Kasbah, ministres et conseillers poussaient Youssef Chahed à tout déballer, pour remettre les pendules à l’heure, et exposer la vérité. Des « âmes charitables » vont jusqu’à réclamer des poursuites judiciaires pour les torts causés à la Tunisie et son économie. La surenchère est difficile à arrêter.
Mais le chef du gouvernement pouvait-il se délier du secret d’Etat, laisser porter la moindre encoche à la haute réputation de la BCT et au prestige personnel de son gouverneur, l’éminent professeur de générations successives d’économistes, qu’il tient en haute estime ? Contre l’avis de tous, il se mure dans le silence, atténuant les ardeurs et interdisant à son équipe la moindre déclaration publique. Des amis poussent Chedly Ayari à éviter un débat public pénible, aboutissant inéluctablement à une sanction qui entacherait son honorabilité. Ils le pressent de remettre sa démission. Le compte à rebours enclenché, il ne lui restait plus, mercredi 14 février, que quelques heures pour se décider. Rendez-vous lui a été alors pris avec le chef du gouvernement, en fin d’après-midi à la Kasbah, pour acter sa démission. Face à la caméra de Watanya 1, unique média de permanence, la scène était pathétique... Fin d’un « mauvais épisode », dommage pour une sortie ratée.
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