News - 28.08.2018

Riadh Zghal: Le temps est venu de mettre fin à nos illusions

Riadh Zghal: Le temps de mettre fin à nos illusions

Si nous voulons assurer une vie décente aux nouvelles générations de notre pays, cessons de vivre sur des illusions basées sur des tendances non durables. Il est clair désormais que le chômage n’est pas soluble dans la démocratie. Pour revenir à la croissance économique durable on ne pourra plus miser principalement sur la délocalisation des entreprises des pays développés et vieillissants, sur l’investissement direct étranger, ou sur l’émigration. C’est que le monde est en profonde mutation et une nouvelle donne économique est en train de se mettre en place. 

Il y a d’abord la révolution numérique, celle qui tend à remplacer des travailleurs par des robots. Selon la Fédération Internationale de la Robotique, en 2016 la moyenne mondiale de la densité  robotique calculée sur la base de 100 robots pour 10.000 employés est de 74. Cela veut dire que, dans l’industrie, à côté de chaque 10.000 employés il y a 74 robots. Mais ces robots remplacent combien d’employés ? On ne le sait pas exactement, mais ce que l’on sait c’est que certains métiers sont davantage exposés que d’autres au remplacement du travail humain par celui des robots. Selon une étude de Morgan Philips Group, ce sont les emplois qui reposent sur le maniement d’objets et l’analyse de documents digitalisés qui sont exposés à la destruction du fait de la robotisation, tels ces métiers : magasinier, trader, chauffeur de taxi, agent de sécurité, réceptionniste, vendeur(1)...   

On doit aussi perdre les illusions qui consistent à miser sur les délocalisations d’entreprises à la recherche d’un meilleur coût du travail et d’avantages fiscaux car les pays riches, à l’image des USA où Trump a donné le la, semblent entrer dans une phase de protectionnisme et de relocalisation d’activités délocalisées. Une stratégie fondée sur des principes nationalistes-protectionnistes, une phobie de l’immigration et la peur du terrorisme semblent se propager en occident, en témoigne la montée de l’extrême droite aux élections dans plus d’un pays européen de l’est comme de l’ouest. 

Vu ces conditions mondiales peu réjouissantes, osons nous regarder en face ! Scrutons nos faiblesses bien sûr mais aussi nos points forts susceptibles d’être exploités pour préparer un avenir décent aux nouvelles générations. 

Notre pays fait l’objet de convoitises de plus puissants que lui, il se débat avec une démocratie qui a du mal à se mettre en place. L’Etat est affaibli après tant d’années d’instabilité politique et sa capacité de négociation à l’intérieur comme à l’étranger s’en ressent. Aux prises avec une crise économique profonde, la population subit la dégradation des services sociaux (transport, santé, éducation, enseignement supérieur). La fuite des cerveaux s’intensifie. Des forces réactionnaires à l’idéologie moyenâgeuse, non dénuées de pouvoir irriguent différentes sphères sociales… En définitive une vulnérabilité tous azimuts menace la stabilité sociale et politique de notre pays. Heureusement, la Tunisie n’est pas dénuée de potentiel. C’est un pays en paix qui a pu éviter une guerre civile frappant maintes fois à sa porte. Il dispose d’un capital humain conséquent malgré la fuite des cerveaux. Il est sans conteste engagé dans la voie de la démocratie malgré ses dysfonctionnements récurrents. Il dispose de ressources agricoles et d’un tissu économique diversifié, d’un capital immatériel fait d’un mode de vie, d’une gastronomie particulière nourrie d’un art culinaire qui ne manque pas d’originalité ni de richesse. Son artisanat ancestral n’a pas manqué de s’exporter à l’étranger. Au plan géopolitique notre pays est en paix avec ses voisins et bénéficie d’une bienveillance peut-on dire régionale et internationale malgré les turbulences qui sévissent en Libye, dans le monde arabe et au Sahel… 

Regarder en face les points faibles et apprécier à leur juste valeur les potentialités du pays aide à perdre l’illusion de croire que les solutions à ses maux ne peuvent venir que d’ailleurs. Cela n’invite pas non plus à se refermer sur soi. Le pays a besoin d’aide internationale et d’investissement direct étranger. Malgré les tendances protectionnistes, on vit dans un monde durablement globalisé. La technologie de l’information qui a investi tous les secteurs de la vie humaine est irréversible et tisse une toile qui rend les Etats de plus en plus dépendants les uns des autres. 

Néanmoins,il importe de développer une capacité d’exploitation optimale des ressources disponibles et en premier lieu le capital humain. La gouvernance nationale et celle des institutions et des entreprises devraient être révisées en profondeur pour freiner la vague de fuite des cerveaux, le gaspillage de temps et de moyens de production, pour améliorer les services sociaux et pour créer, enfin, les conditions d’un développement inclusif. Les métiers de l’agriculture et de l’artisanat utilitaire et d’art qui sont, à plusieurs égards, le siège d’un capital de savoir et de savoir faire sont à valoriser à travers d’abord un soutien moral, technique et financier de celles et ceux qui les pratiquent. Ces métiers sont très présents dans les zones rurales et parmi les populations démunies et particulièrement les femmes. Agriculteurs (trices) et artisans (e) ont besoin de mise à niveau technologique, d’accès au marché, de maîtrise de la chaîne de valeur  pour créer davantage de richesse et d’emplois. La recherche scientifique et la recherche et développement devraient se consacrer à cela. Combien de métiers artisanaux seraient moins pénibles et plus productifs si les ingénieurs leur appliquaient leur intelligence ! Combien de marchés s’ouvriraient aux produits de transformation des produits agricoles et de l’artisanat si des techniques d’organisation et de gestion leur seraient appliquées ? Combien d’emplois seraient créés si ces activités généraient davantage de valeur ajoutée ? Combien d’artisans (es) attireraient des jeunes vers leurs métiers et diffuseraient l’esprit d’entreprendre ?

Nos jeunes qui opèrent dans le secteur des technologies de l’information et qui contribuent admirablement à la rentrée de devises à travers l’exportation de leurs produits et services devraient bénéficier, en plus des facilités administratives et financières, d’incitations conséquentes pour qu’ils soient plus créatifs et plus présents sur le marché international. 

On a passé trop de temps et d’énergie dans les querelles de position, mais on peut comprendre que la démocratie a un prix à payer. Maintenant la situation est trop critique pour continuer dans une logique politicienne. Misons sur nos points forts et prenons les décisions idoines pour créer la richesse grâce à de bons choix stratégiques, une valorisation du travail et la prise des bonnes décisions qui s’imposent pour un renouveau économique créateur de richesse et durable. Sans une exploitation optimale de nos ressources et sans sous estimer aucune d’elles, le pays continuera sa descente au pire. Les enfants d’aujourd’hui et les nouvelles générations auront alors à payer un lourd tribut laissé en héritage par une gouvernance qui pare au plus pressé, sans vision prospective de l’avenir.

(1) https://www.morganphilipsoutplacement.com/quand-lintelligence-artificielle-remplace-lhomme/ 

Riadh Zghal

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