Les 80 mots revisités par Emna Belhaj Yahia pour un voyage au cœur de la Tunisie
Le concept est original : inviter un auteur à écrire un lexique libre de 80 mots qui évoquent le plus pour lui les expressions de son pays. A cet exercice, guère facile, Emna Belhaj Yahia a accepté de se prêter. Son livre intitulé 80 mots de Tunisie, préfacé par Frédéric Bobin, vient de paraître aux éditions L’Asiathèque, à Paris. Il vient enrichir une collection «80 mots du monde», commencée par l’Inde, et compte désormais six ouvrages.
Ancien correspondant du journal Le Monde à Tunis, Frédéric Bobin connaît bien Emna Belhaj Yahya et apprécie chez elle «cette capacité rare à humer l’air du temps et à subodorer les failles du monde, son monde à elle, cette Tunisie en convulsions après son ‘’printemps’’ de 2011.» Elle ne pouvait être plus indiquée pour revisiter des mots-clés si chargés en significations.
«‘’80 mots de la Tunisie’’, écrit-il en préface, prolonge l’exploration au gré d’un lexique libre, dictionnaire de ses humeurs. On y retrouve la mélancolie proustienne des fragments d’enfance, celle des effluves de la mloukhiya (ragoût de viande aux feuilles de corète, à l’ail, à l’huile d’olive et au laurier), du chocolat de la grand-mère ou des psalmodies de la mère. Mais aussi ses contrariétés face aux conformismes de la société, à ses hypocrisies et à sa violence rentrée. Emna Belhaj Yahia oscille en permanence entre tendresse pour les siens et aversion envers les faux-semblants collectifs. Une conscience libre mais inquiète qui rend sa voix unique.»
Hobb, Aktef, Chemâta, Bahja, Tfedlik / Sokhria… mais aussi, Bden/Jassad, Chahwa, Sohhit roq’a… Un «dictionnaire» inédit.
Emna Belhaj Yahia, philosophe, enseignante, essayiste, romancière et militante féministe, est auteure de plusieurs ouvrages. Mais ce «lexique» sera pour elle très particulier à rédiger. «Ce sont ces mots, écrit-elle, toujours vivants en moi, que j’ai tenté de convoquer ici et, à travers eux, tout un contexte, familial ou historique, des expériences partagées, des idées et des émotions, des aventures individuelles ou collectives qui font à la fois la trame d’une vie et la saveur particulière d’un pays, le mien, pris dans la temporalité universelle.»…
«C’était, poursuit-elle, comme des paragraphes de la vie qui remontaient selon une logique souterraine, et selon les hasards d’un quotidien caniculaire au cours duquel je tentais d’avancer dans ce travail d’écriture, pour oublier la chaleur et me rapprocher du chiffre quatre-vingts décidé par l’éditeur.»
Emna Belhaj Yahya devait faire face à un double souci. Le premier «souci fut de rester au plus près de la façon de s’exprimer du Tunisien, par-delà les particularités régionales». Le deuxième «fut de parvenir à dire, en langue française, ce que chaque mot, choisi dans ma langue maternelle, porte en lui de sens, de couleurs qui se ravivent, de choses qu’on pensait effacées et qui ressurgissent; comment il s’accompagne, chez celui qui le prononce, de visions qui refont surface, de personnages qui ressuscitent et réclament leur part de vérité; et comment il se charge, chez celui qui l’entend, d’émotions jusque-là silencieuses qui se mettent soudain à faire du bruit.»
Elle y parviendra avec beaucoup de talent, faisant éclore la magie de chaque mot, faire ressentir sa charge émotionnelle, exprimant son propre rapport à ce qu’il véhicule.
Un livre très soigneusement écrit, agréable à lire, qui fait découvrir un univers tunisien si riche et diversifié, et un mode de vie.
80 mots de Tunisie
De Emna Belhaj Yahia
Préface de Frédéric Bobin
L’Asiathèque
Collection
«80 mots du monde»
184 pages – 16,50 €
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