Tunisie: Offices du développement régional et découpage territorial
Par Ridha Bergaoui - Quelques jours après sa visite du 16 mars dans la région de Douz et lors d’une réunion avec le président du gouvernement et la Ministre des Finances tenue le 22 mars, le Président de la République avait sévèrement critiqué le rendu de l’Office de développement du sud et a demandé de revoir les textes organisant cet office tout en s’inspirant de l’Office de développement de Rjim Maatoug et de Mohdeth “qui a réussi à transformer ces deux régions désertiques en zones vertes et productives”.
Avec la crise économique et les pénuries des produits alimentaires de base (huile végétale , sucre, farine…), le Tunisien a souvent entendu parler de l’Office des céréales, de l’Office de l’huile ou de l’Office des terres domaniales. Peu de gens connaissent l’existence de l’Office de développement du sud, très peu encore savent que la Tunisie dispose d’autres offices de développement.
Des Offices régionaux de développement
La Tunisie dispose de trois ORDs: l’ORD du sud, l’ORD du Centre Ouest et l’ORD du Nord-Ouest ainsi qu’un Commissariat général au développement régional (CGDR) chargé des régions du Nord Est et du Centre Est. Ces établissements dépendent du Ministère de l’économie et de la planification (qui a pris la place de l’ancien Ministère du développement, de l’investissement et de la coopération internationale). Ils sont chargés des missions entrant dans le cadre du développement économique chacun dans sa zone d’intervention. Ils collectent les informations, procèdent à des études, proposent des mesures pour aider à l’élaboration des programmes de développement et promouvoir l’investissement dans la région. Ils jouent essentiellement un rôle de coordination et de suivi.
Il faut signaler l’existence d’un autre office qui est entrain de mener un excellent travail dans des zones déshéritées, pauvres et difficiles. Il s’agit de l’Office sylvo-pastoral du nord-ouest (Odesypano). Cet office, relevant du Ministère de l’agriculture, intervient dans les zones montagneuses et forestières du Nord-Ouest (Bizerte, Beja, El Kef, Jendouba, Siliana). Cette région, qui dispose d’infrastructures très sommaires, connait de nombreux problèmes (surexploitation des ressources naturelles, dégradation des sols et des parcours…) abrite une population vivant dans des conditions difficiles avec un taux élevé de pauvreté et de chômage.
L’Odesypano a la charge de protéger les ressources, de promouvoir le développement de ces zones défavorisées et améliorer les conditions de vie de ces populations par la mise en place d’infrastructures (pistes, points d’eau…) et l’amélioration des revenus à travers l’appui à des activités agricoles et non agricoles (agriculture, apiculture, élevage, valorisation des produits de la foret, artisanat…) et l’encouragement à l’entrepreneuriat.
Le découpage territorial
Jusqu’à il y a quelques mois, la Tunisie était découpée en six zones administratives selon le schéma national d’aménagement du territoire de 1985 et repris en 1996. Il s’agit de la région de Tunis (Tunis, Ariana, Ben Arous, La Manouba), région du Nord-Est (Bizerte, Nabeul, Zaghouan), le Nord-Ouest (Beja, El Kef, Jendouba, Siliana), le Centre-Est (Mahdia, Monastir, Sfax, Sousse), le Centre-Ouest (Kairouan, Kasserine, Sidi Bouzid), le Sud-Est (Gabes, Medenine, Tataouine) et le Sud-Ouest (Gafsa, Kebili, Tozeur).
Par ailleurs, la Tunisie a été toujours marquée par un écart important en matière de développement régional avec des zones côtières très en avance par rapport aux régions de l’intérieur, défavorisées et beaucoup plus en retard. Quoique des disparités intrarégionales existent également et il est possible de trouver à l’intérieur d’un même gouvernorat des situations inégales. Les zones de l’intérieur représentent une importance cruciale aussi bien sur le plan économique (elles renferment les principales richesses du pays (barrages et autres ouvrages hydrauliques, forets, mines…) que sur le plan stratégique et sécuritaire, s’agissant de zones frontalières.
Le découpage de 1985 n’a pas réussi à atténuer le déséquilibre territorial et le clivage entre les zones intérieures et les régions côtières. Suite à la révolution de 2011, la question du déséquilibre régional a été longuement débattue et les régions défavorisées ont exigé plus d’équité, une amélioration des conditions de vie avec essentiellement la création de l’emploi, le raccordement au réseau d’eau potable, l’amélioration des infrastructures (pistes et routes, hôpitaux, écoles…). Des mesures ont été prises en s’appuyant sur le principe de discrimination positive, pour réduire les écarts, privilégier et encourager l’investissement, dans ces régions afin de permettre le rattrapage des zones en retard. La révision du découpage territorial s’est également imposée.Effectivement, la constitution de 2022 accorde une importance particulière aux régions et institue dans son article 56, à côté de l’Assemblée des représentants du peuple, une seconde chambre représentative dénommée le Conseil des régions et des districts dans les membres sont élues d’une façon démocratique. A cette occasion, un nouveau découpage territorial a été proposé à partir duquel l’Instance supérieure Indépendante des élections s’est appuyée dans un premier temps pour définir les limites des «imadas», des délégations et des gouvernorats et passer dans une seconde étape à l’organisation des élections des représentants des conseils des régions, des districts et la formation de la chambre des Conseils des régions et des districts.
Désormais la Tunisie possède5 districts : le premier district comprend les gouvernorats de Bizerte, Béja, Jendouba et Le Kef, le second comprend l’Ariana, Ben Arous, Manouba, Nabeul, Tunis et Zaghouan, le troisième: Kairouan, Kasserine, Mahdia, Monastir, Sousse et Siliana, le quatrième : Gafsa, Sfax, Sidi Bouzid et Tozeur et le cinquième : Kébili, Médenine, Gabès et Tataouine.
Le nouveau découpage, plutôt horizontal, vise réduire le déséquilibre entre les régions côtières et l’intérieur du pays avec pour chaque district a accès à la mer. L’intention est que les régions côtières joueront un rôle d’entrainement pour le développement de l’intérieur du pays tout en tirant profit des richesses disponibles au niveau du district et des avantages de la complémentarité entre les différents gouvernorats du même district. L’objectif final étant une amélioration des conditions de vie des citoyens avec une répartition équitable des richesses du pays et une exploitation adéquate et équitable du potentiel des ressources des différentes régions. Les élections représentant le moyen démocratique pour faire participer activement le citoyen au processus d’élaboration des actions de développement et une occasion pour exprimer ses préoccupations.
L’Office de Rjim Maatoug et les ORDs
Lors de sa réunion indiquée tout au début de l’article, le président de la république avait demandé de revoir les textes organisant l’ODS en s’inspirant de ceux de l’Office de Rjim Maatoug. Au sujet de cet Office, Alya Hamza écrivait « Rjim Maatoug, la plus belle illustration de ce que l’impossible n’est pas tunisien ». En effet cet office de développement, relevant de l’armée nationale, a permis de transformer en quelques années, une partie du Sud désertique (2500 ha du gouvernorat de Kebili), hostile et dangereux, en une oasis verdoyante et florissante de palmiers dattiers. Le projet comprend également des logements destinés aux bénéficiaires et d’infrastructures socio-économiques pour la stabilisation et le confort des habitants. Ce projet grandiose conduit magistralement est une merveilleuse réalisation qui est exemplaire à tous les points de vue.Afin de réaliser le projet, l’Office a bénéficié d’un budget consistant et des crédits nécessaires pour les différentes actions comme exécuter des sondages profonds, réaliser des plantations, ouvrir des routes, construire des logements, des écoles, des mosquées… Les ORDs actuels ne détiennent ni des crédits ni des compétences techniques nécessaires puisque ce sont les Ministères sectoriels(agriculture, éducation, santé, transport, culture, sports…), chacun en ce qui le concerne, qui détiennent l’essentiel des budgets d’investissement et d’infrastructure. Revoir les textes, faire des ORDs de véritables organes exécutifs de développement et leur transférer les crédits d’investissement nécessaires pour les différentes réalisations prévues par les différents départements est probablement. Cette orientation pourrait permettre une coordination plus efficace et une vision plus globale du développement, elle risque toutefois d’alourdir le processus et de manquer d’efficacité.Il est à noter, dans un souci de décentralisation, que les projets d’infrastructure menés par les différents ministères au niveau régional passent actuellement par les services Ministère de l’équipement qui veille à la réalisation de ces constructions. Le budget de ces projets est généralement délégué aux gouvernorats concernés.
Ce qu’il faut retenir de l’expérience de Rjim Maatoug qu’avec la bonne volonté et peu de moyens, il est possible de faire de grandes réalisations. La discipline, le courage, la détermination, la bonne organisation, le dévouement, le sacrifice, l’abnégation et l’altruisme sont autant de qualités qui caractérisent notre armée nationale et qu’il serait intéressant de cultiver, même en partie, chez nos citoyens en général et les agents administratifs (fonctionnaires et personnel ouvrier) pour permettre au pays de prendre son envol et décoller.
Conclusion
Avec la nouvelle constitution, le nouveau découpage territorial et le Conseil des districts et des régions, les ODRs et le CGDR actuels deviennent obsolètes et il est nécessaire de créer de nouveaux à leur place. Le Ministère de l’économie et de la planification est appelé rapidement à revoir l’organisation de ses structures chargées de développement afin d’être en harmonie avec le nouveau découpage territorial et concrétiser les objectifs de développement régional. Ces structures (dont les attributions, le fonctionnement et le rapport vis-à-vis des différents partenaires restent à redéfinir), sont amenés à travailler au niveau régional et national avec les différents conseils de développement pour une meilleure efficacité et une meilleure conduite des projet régionaux.
A ce niveau, il est possible de se demander s’il ne serait pas opportun de rattacher ces organes plutôt à la Présidence du gouvernement ou même directement à la Présidence de la république plutôt qu’au Ministère de l’économie et de la planification. Ceci pourrait lui conférer plus d’autorité et de pouvoir pour la réalisation des projets de développement dans les délais prévus. En effet, la réalisation des projets au niveau régional connait souvent pour de nombreuses raisons d’importants retards et parfois de la malfaçon. Des crédits affectés à des projets sont parfois non consommés et les projets reportés ou même annulés.
La réorganisation du développement régional est d’autant urgente que le Plan national de développement 2023-25 arrive à sa fin et qu’il faut mettre rapidement en chantier le prochain plan 2026-2030. Et pourquoi ne pas élaborer une vision à l’horizon 2035 et 2050 qui permettrait de relever les défis, assurer l’accès équitable à des services de qualité et une croissance économique satisfaisante dans le respect des droits et des libertés de tous les citoyens allant du Cap Angela, à l’extrême Nord du pays, à Borj el khadra à l’extrême Sud Tunisien. Sans oublier le développement durable pour préserver les ressources naturelles dans l’intérêt des générations futures.
Ridha Bergaoui
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