Olfa Abdelkefi Chakroun: L'architecture et l'empathie
«L'architecture est le jeu magistral, correct et magnifique des masses réunies dans la lumière.»(1) Ce point de vue, proposé par le père de l’architecture moderne, Le Corbusier, allie rigueur technique et expression artistique. La lumière y est présentée comme un élément clé, qui enrichit et anime ces formes.
Depuis, avec l’essor du design centré sur l'humain, l’art architectural met en avant les besoins de l’usager. En l’impliquant dans le processus de création, il devient plus performant dans la réalisation des attentes des clients. La relation de proximité ainsi tissée renvoie à ce qu’on appelle l’architecture empathique.
Qu’est-ce que l’empathie en architecture ? Comment procède l’architecte empathique et à qui profite-t-elle ?
La notion est relativement récente. Elle est intégrée dans divers domaines, principalement dans la conception de bâtiments résidentiels, d'espaces de travail, d'écoles et de structures de santé. Bien évidemment, elle suppose à l’architecte une double compétence, à la fois technique et émotionnelle. Celle-ci réside dans l’aptitude à voir le monde à travers les yeux des autres, à pressentir leurs attentes et comprendre leurs besoins. Elle requiert une profonde compréhension des expériences vécues par autrui, ce qui n’est pas sans exiger un certain nombre de conditions. En effet, pour être véritablement empathique, il est essentiel de se conformer à des recommandations telles que celles avancées par Alfred Adler, le fondateur autrichien de la psychologie individuelle: “Voir avec les yeux d’un autre, écouter avec les oreilles d’un autre et ressentir avec le cœur d’un autre”(2).
Cet engagement sensoriel est de plus en plus imposé par le changement incessant de notre mode de vie qui a son impact sur notre rapport à l’espace, qu’il s’agisse d’habitations privées ou de lieux professionnels. A la suite de la pandémie de Covid -19 et avec l’évolution des modes de travail, les bureaux ont beaucoup évolué ces derniers temps. Les tendances privilégient les bureaux partagés, les espaces ouverts, les aménagements hybrides…
Pour s’adapter à une société en perpétuelle mutation, la conception des édifices repose sur l’innovation technique et l’utilisation de matériaux plus performants et plus écologiques. Elle doit être soutenue par la valorisation de relation empathique avec les usagers. C’est ce que souligne l’architecte Montacer Ben Said dans l’un de ses articles: «… l’architecte d’aujourd’hui et l’usager ne parlent plus que de bien-être, de feng shui, de qualité du bâti, de sa temporalité et de son influence sur nos comportements.»(3)
Comment procède l’architecte empathique?
L’approche par empathie exige un travail en amont de chaque projet qui comprend l’observation des usagers sur terrain, les discussions de groupe, les interviews, des questionnaires, l’établissement de personas, la préparation de scénarios ou de storyboard… L’architecte doit d’abord recueillir un large éventail d'informations pour comprendre pleinement les besoins, les préoccupations et les désirs des utilisateurs potentiels, ainsi que les contraintes contextuelles et les enjeux sociaux qui leur sont liés. Il doit aussi identifier les différents types d'utilisateurs, leurs caractéristiques démographiques, leurs besoins fonctionnels, leurs préférences esthétiques et leurs modes de vie.
Il sera ensuite amené à se pencher sur les expériences des utilisateurs avec des projets similaires, en examinant les succès et les échecs pour en tirer des leçons. Appelé à collecter des informations sur les besoins fonctionnels spécifiques des utilisateurs (tels que les exigences spatiales, la circulation, l'accessibilité et les équipements nécessaires), il s’efforcera de comprendre leurs aspirations, leurs désirs esthétiques, leurs objectifs à long terme et leurs attentes quant à l'impact du projet sur leur vie quotidienne. Impliquer l’usager et les différents intervenants dans l’élaboration est l’une des clés de réussite d’un projet architectural.
A qui profite l’empathie en architecture?
D’abord, à l’architecte lui-même. Réussir la phase de l’empathie lui permettra de gagner du temps et de l’argent, en évitant les corrections et surtout les modifications en cours de chantier. L’architecte gagnera en notoriété en réalisant la satisfaction de ses clients grâce à ses qualités d’observation et son sens de l’empathie qui prend en compte leurs besoins émotionnels et psychologiques. Ces deux compétences contribuent à la création d'environnements qui favorisent le bien-être social et mental des individus.
L’architecture empathique offre des solutions adaptées et durables pour faire face aux enjeux contemporains tels que l'urbanisation croissante, le changement climatique et les crises sociales qui nécessitent des approches innovantes et empathiques en matière de conception architecturale.
L'empathie est, plus que jamais, une compétence essentielle que tout architecte doit cultiver, une étape déterminante du projet architectural et une stratégie gagnante pour des espaces agréables et inspirants.
1) Le Corbusier, architecte.
2) Alfred Adler, psychiatre.
3) «L’empathie et l’usager, architecte», aemagasine.ma, 2022.
Olfa Abdelkefi Chakroun
Architecte ENAU
Consultante en immobilier
Coach professionnelle ICF, facilitatrice en design thinking, consultante Nova
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