Le nouveau Moyen-Orient: Le virtuel qui risque de devenir réel !

Par Mohamed Ibrahim Hsairi - Fort du pouvoir inconditionnel de pression qu’il a, ou qu’il croit avoir, et estimant que les Etats-Unis ont, en ce moment, une opportunité historique de réaliser les aspirations qu’ils n’ont cessé de nourrir depuis des décennies au Moyen-Orient, le président américain Donald Trump semble vouloir tirer parti des bouleversements «tectoniques» qu’a connus la région dans le sillage de l’horrible guerre génocidaire d’Israël à Gaza.
C'est ainsi qu’il envisage de mener un «vaste programme» qui aura pour ultime objectif la mise en place du nouveau Moyen-Orient en entreprenant les principales actions suivantes:
• Achever la décimation du Hamas et mettre fin à toute forme de résistance palestinienne.
• S’emparer de la bande de Gaza, la vider de ses plus de deux millions d'habitants en vue de la transformer, après son «nettoyage», en une «Riviera du Moyen-Orient».
• Finir la neutralisation du Hezbollah libanais et l’élimination de toutes les autres composantes de l’axe de la résistance, notamment au Yémen et en Irak.
• Mettre à profit l'effondrement du régime de Bachar el-Assad pour contraindre la Syrie, ainsi que le Liban, à signer des accords de paix avec Israël, à l’exemple de l’Egypte et la Jordanie.
• Poursuivre les pressions en vue d’anéantir l’Iran, ou du moins de l’affaiblir et de le maintenir en déséquilibre, tant par l’accroissement des sanctions que par le démantèlement de son réseau régional de «mandataires».
• Élargir les accords d'Abraham qui ont donné lieu, lors de son premier mandat, à une série d'accords de normalisation signés en 2020 par Israël et les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan.
• Exclure définitivement la solution à deux États, tout en soutenant le processus de colonisation en Cisjordanie.
• Aider Israël à réaliser son rêve du «Grand Israël» qui sera étendu à Gaza et à la Cisjordanie.
• Remodeler le Moyen-Orient, de fond en comble, afin d’y établir un nouvel ordre régional où Israël aura la haute main.
S’agissant des moyens qu’il utilisera en vue de mettre en œuvre l’ensemble de ces actions, et pour que « la situation au Moyen-Orient soit résolue » une fois pour toutes, le président Donald Trump a affirmé ouvertement et sans vergogne, à maintes reprises, tant au cours de sa campagne électorale qu’après son élection, qu’il compte «imposer la paix par la force», et qu’il est prêt à non seulement recourir à l’action militaire, mais à «ouvrir les portes de l’enfer» à tous ceux qui oseraient le défier ou ne pas se soumettre à ses desiderata.
Les frappes meurtrières qui sont menées contre le Yémen par les forces américaines, depuis le samedi 15 mars 2025, constituent la première démonstration du traitement belliciste qu’il réserve aux pays ou aux parties récalcitrants de la région.
Il n’est pas fortuit que cette première grande offensive militaire du président Donald Trump depuis son retour à la maison blanche ait été suivie, le lendemain, par la reprise de la guerre israélienne sur Gaza et les frappes massives auxquelles le président Donald Trump a donné non seulement son feu vert mais toute sa bénédiction.
L’horrible agressivité aussi bien des opérations américaines contre le Yémen que des opérations israéliennes contre Gaza laisse croire que le Moyen-Orient est entré dans une phase extrêmement éprouvante et tumultueuse car le président américain Donald Trump et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou veulent qu’elle soit décisive et déterminante.
Décisive et déterminante, tout d’abord pour Gaza qui doit être vidée de ses plus de deux millions d’habitants qui doivent, coûte que coute, partir en Egypte et en Jordanie ou ailleurs, car du sort de Gaza dépendront le sort de la Cisjordanie et celui de la question palestinienne tout entière. En effet, pour Israël, il est vital de détruire le Hamas et de dépeupler Gaza, pour deux raisons : d’une part, pouvoir la réoccuper et la réinstaller complètement, et d’autre part créer un précédent qui lui permettrait de récidiver en Cisjordanie dont il veut accélérer l’annexion.
Décisive et déterminante, ensuite, pour toute forme de résistance dans la région, car pour les Etats-Unis et Israël, la résistance n’est que du terrorisme qu’il faut éradiquer par tous les moyens. La sévère crise de confiance en Israël provoquée par le «Déluge d’el-Aqsa» puis par l’incapacité de l’armée israélienne, durant quinze mois de guerre, de remporter une «victoire totale» sur le Hamas, malgré son avantage écrasant sur le terrain, ne peut être résolue que par cette éradication intégrale et systématique.
Et décisive et déterminante, enfin, pour l’Iran qui doit être forcé, par une «diplomatie musclée», sinon par une «vigoureuse action militaire», israélienne et/ou américaine, à renoncer à son programme nucléaire et à abandonner ses visées régionales. Il est à signaler, à ce propos, que depuis deux décennies, des voix bellicistes à Tel-Aviv et à Washington n’ont cessé d’appeler, en vain, à attaquer le programme nucléaire iranien. Mais ces voix sont aujourd’hui très bien écoutées par le président Donald Trump qui, faut-il le rappeler, a décidé unilatéralement en 2018, lors de son premier mandat présidentiel, de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien négocié et approuvé par son prédécesseur, en 2015, et de mener une campagne de «pression maximale» contre l'Iran dans l'espoir d'obtenir un meilleur accord.
Considérant que l’Iran n’a jamais été aussi amoindri qu’aujourd’hui, tant par les attaques israéliennes que par la chute du président Bachar el-Assad et l'affaiblissement du Hezbollah, Israël et les Etats-Unis semblent partager la même conviction qu’il est bien temps de terminer le travail en déclenchant une véritable guerre contre Téhéran.
D’aucuns estiment que la préparation de cette guerre a déjà commencé sur le terrain par les frappes contre les Houthis au Yémen, et les pressions exercées sur les autorités irakiennes en vue de mettre terme au contrôle iranien en Irak, et sur le plan politique, en diabolisant l’Iran aux yeux du monde et en le tenant, dorénavant, pour responsable de toute attaque des «Ansar Allah».
Selon des médias américains, le président Donald Trump a proposé au guide suprême iranien Ali Khamenei, dans la lettre qu’il vient de lui adresser, d’ouvrir des négociations pour résoudre le différend concernant le programme nucléaire iranien, mais il a assorti sa proposition d’un ultimatum, indiquant que Téhéran dispose d’un délai de deux mois pour ce faire, sinon il y aura d’autres moyens de résoudre le différend.
Il est clair que le président Donald Trump, qui est obsédé par l’idée de décrocher le prix Nobel de la paix au titre de l’année en cours, tient à réaliser, le plus rapidement possible, l’exploit de régler, à sa guise, les problèmes du Moyen-Orient radicalement et globalement, et tout imbu de son ego surdimensonné, il croit qu’il en est capable grâce à sa détermination impitoyable à éliminer tout obstacle à la réalisation de ses objectifs.
Toutefois, estiment de nombreux analystes, il semble que le président Donald Trump oublie que plusieurs de ses prédécesseurs ont nourri des aspirations semblables au Moyen-Orient, mais, et souvent après de brèves périodes d'espoir, ils ont vu leurs aspirations s’estomper.
Serait-il plus chanceux que ses prédécesseurs ? Rien n’est moins sûr, affirment les mêmes analystes, en raison de leur scepticisme quant à sa personnalité vaniteuse et extrêmement égocentrique, à son approche belliciste et transactionnelle des relations internationales, à sa vision bornée et obstinée du monde et à son comportement imprévisible, pour ne pas dire capricieux, qui suscite les craintes en même temps des alliés des Etats-Unis et de leurs adversaires.
D’ailleurs, il serait paradoxal qu’il puisse impliquer les Etats-Unis dans une confrontation qui sera en contradiction criante avec sa stratégie isolationniste et fondée sur le slogan si cher à son cœur «l'Amérique d'abord» ainsi qu’avec la promesse qu’il a dite et redite, à maintes reprises, de mettre fin aux guerres et non d’en déclencher de nouvelles.
Mais Donald Trump n’est pas à une contradiction près, et tant que les rapports et les alliances avec les pays arabes, surtout ceux du Golfe, demeurent solides et continuent à se consolider, il est normal qu’il aille de l’avant dans la mise en œuvre de son «vaste programme» pour transformer le virtuel nouveau Moyen-Orient en un nouveau Moyen-Orient réel…
Toutefois et bien qu’il soit attendu que la plupart des dirigeants arabes, terrifiés qu’ils sont par la mémoire de la fin tragique de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi, continuent à éviter de s’attirer les foudres des Etats-Unis, et à faire montre d’une impuissance pathétique et déconcertante, la mise à exécution du plan de Donald Trump relatif à Gaza et du projet du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou relatif au «Grand Israël» ne manquera pas d’exacerber l’exaspération et la frustration qui secouent leurs populations.
Et, il n’est pas exclu que, tôt ou tard, l’horrible guerre génocidaire d’Israël à Gaza finisse par alimenter un terreau contestataire au sein des sociétés arabes qui donnerait naissance à un nouveau «Hirak» qui pourrait déboucher, non pas sur un nouveau «printemps arabe» mais sur «un automne arabe de la colère» qui serait placé sous le signe de l’antisionisme pur et dur.
Mohamed Ibrahim Hsairi
Ancien Ambassadeur
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