News - 24.04.2025

Hommage à Feu Abed Bouhafa: Le grand militant pour la cause maghrébine

Hommage à Feu Abed Bouhafa : Le grand militant pour la cause maghrébine

Par Pr. Ahmed Friaa - Le grand poète martiniquais Aimé Césaire disait, à juste titre : «Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir».

Malheureusement l’être humain a, en général, la mémoire courte. Ce qui se traduit la plupart du temps par l’oubli, faisant effacer le souvenir des vaillants serviteurs de nobles causes. C’est pourquoi j’ai estimé utile de rappeler, même brièvement, quelques faits marquants dans le riche parcours du grand militant de la cause maghrébine, feu Abed Bouhafa, que beaucoup de tunisiens ignorent et que les plus jeunes n’en ont probablement jamais entendu parler.

Abed Bouhafa est né le 5 août 1913 à Zarzis, dans une humble famille de patriotes dont les enfants furent parmi les premiers à être scolarisés et éduqués à l’amour de la patrie et au goût du savoir. C’est ainsi que le père de Abed, feu Jilani Bouhafa eut le courage de rendre au Bey sa décoration, en protestation contre les exactions qu’ont fait subir les forces coloniales aux patriotes tunisiens lors de la manifestation de Zéramdine. C’est également ainsi que son frère feu Kadhem Bouhafa, co-fondateur du «Nouveau Maghreb» publié à Bordeau en 1943, a été le benjamin des prisonniers à borj le bœuf, accusé d’agitation nationaliste.

Baigné dans un environnement nationaliste depuis son plus jeune âge, Abed Bouhafa a vite compris que l’émancipation de la Tunisie ne peut advenir qu’une fois elle aurait recouvré son indépendance et qu’à cet effet, le devoir recommande de s’y investir. Il s’engagea alors dès le début des années 40 au sein du mouvement national ce qui lui valut les pires sévices dans les geôles des forces coloniales, à Colomb Bechar et à Tlemcen, en Algérie, puis exclu des départements français d’Algérie. Ce qui l’emmena à émigrer clandestinement aux Etats Unis, en 1946.

Doté d'un physique avantageux il commença par subvenir à ses besoins en participant, en tant qu’acteur amateur, à des films américains, avant d’entreprendre des études de journalisme qu’il réussit brillamment. Il devint assez vite correspondant diplomatique aux USA du grand journal égyptien «Al Misri». Il assura également la représentation aux Etats Unis du comité de libération de l’Afrique du Nord dont le président était l’Emir Abdelkarim El Khatabi qui désigna Bouhafa comme son délégué personnel.

A  ce titre, il lui était permis d’assister aux débats qui avaient lieu au siège des Nations Unies à New-York. Il collabora en outre à de nombreux et prestigieux journaux américains tels que le New-York Times et le New- York Herald Tribune. Ses activités journalistiques et sa présence aux grandes rencontres qui se déroulaient au siège de l’ONU lui permirent de tisser des liens étroits avec différentes délégations, notamment maghrébines, arabes et asiatiques qu’il mettra judicieusement au profit de la cause maghrébine.

En 1943, il rendit visite au grand leader Bourguiba, en compagnie de la femme de celui-ci et de Bourguiba Jr., à la prison marseillaise où il était en détention. Il fut alors chargé par Bourguiba de contacter Leo Frossard, ancien ministre des finances et directeur du journal à sensibilité socialiste « Le mot d’ordre » ex « la justice » qui paraissait à Marseille et dont Abed Bouhafa était l’un des collaborateurs, en vue de transmettre aux autorités françaises sa prédisposition à négocier.

En 1943, il fut mandaté par les princes husseinites pour assurer la défense de l’affaire du Bey patriote, Moncef Bey, qui fut injustement destitué par les autorités françaises en raison de sa proximité avec les leaders nationalistes. Il lui revint la charge de participer activement à la rédaction du livre blanc rendant compte de l’injustice infligée à ce Bey. Ce livre fut distribué clandestinement à Paris où il eut un grand retentissement diplomatique.

Avec le temps, des liens étroits furent tissés entre Abed Bouhafa et les principaux leaders du néo-destour, dont en particulier Bourguiba et Ben Youssef. Malheureusement des mésententes et des quiproquos allaient envenimer ces relations et conduire Abed Bouhafa à une longue traversée du désert. Il ne revint au pays qu’après le changement intervenu en 1987 et une absence de quelques décennies. Il fut alors décoré de l’ordre de l’indépendance.

La raison de sa mésentente avec Bourguiba fut le fameux discours que ce dernier prononça au congrès des syndicats américains à San Francisco, en 1951, en compagnie du grand leader Farhat Hached.

Avant sa visite américaine, Bourguiba adressa du Caire, en septembre 1951, une lettre à Bouhafa le chargeant d’organiser sa visite et en assurer la publicité, en vue de faire connaitre la cause tunisienne.

Un riche programme fut alors établi par Bouhafa, incluant en particulier, en plus du discours devant le congrès de l’AFL, une visite au département d’Etat, une visite aux ambassades Arabes et une conférence de presse aux Nations Unies (ONU).

C’est ainsi que Bourguiba fut reçu par Samuel Kopper, directeur des affaires du moyen orient et de l’Afrique au département d’état américain. Une rencontre qui fut des plus chaleureuse et émaillée d’anecdotes comme celle-ci, qui m’a été racontée par si Abed, qui y avait assisté: Bourguiba s’adressa au haut responsable américain lui disant:

J’espère qu’après notre indépendance, vous serez le premier ambassadeur américain en Tunisie.
Kopper: De mon côté, j’espère y retrouver Abed Bouhafa en qualité de Ministre des Affaires Etrangères.
Bourguiba: Plutôt en tant qu’ambassadeur à Washington

Le différend entre les deux hommes est expliqué différemment par chacun des protagonistes. Bourguiba considère que Bouhafa lui aurait attribué des propos qu’il n’avait pas prononcés et Bouhafa, quant à lui, qui se considère comme son disciple, nie catégoriquement cette accusation et en attribue la cause plutôt à un quiproquo. Voici son explication: Le texte du discours en français, avec sa traduction anglaise, faite par Bouhafa, a été remis à Bourguiba lors d’un déjeuner offert par la célèbre journaliste arabo-américaine Helen Thomas. Bourguiba a alors approuvé le texte proposé avec néanmoins une réserve concernant un paragraphe qu’il considérait blessant pour les français, à un moment crucial où se déroulaient des négociations entre les deux parties. Mais c’était trop tard, le texte ayant été déjà tapé et prêt à être distribué. Comme à l’époque, l’Agence AFP n’avait pas de représentation à San Francisco, il a té convenu que Bourguiba, une fois sur place, adresse un télégramme à Bouhafa, resté à New-York, indiquant la date et l’heure de son intervention devant le dit congrès pour qu’aussitôt celui-ci transmette une copie du discours au représentant local de l’Agence française. Ce qui fut fait.

Ce discours fit alors un grand écho auprès des militants nationalistes, mais irrita les autorités françaises. Bourguiba, fut amené à démentir les propos qui lui étaient attribués, dans une déclaration au journal « le monde » et en imputer la cause à Bouhafa. L’histoire en jugera.

Ce regrettable incident, entre deux grandes figures du mouvement national, ne doit surtout pas faire oublier le grand apport de Abed Bouhafa en faveur de la cause tunisienne, mais également en faveur de la cause maghrébine en général, à laquelle il était profondément attaché. Il est trop long d’énumérer ici toutes les actions qu’il avait menées dans ce sens, toujours avec dévouement et don de soi.

Il convient cependant d’en citer quelques cas marquants.

En 1949, Bouhafa créa le comité de libération de l’Afrique du nord «Committee for freedom of north Africa» qui ne cessa de faire connaitre la cause maghrébine auprès de l’opinion publique américaine et auprès de l’ONU, tout en assurant la coordination avec la ligue des états arabes qui se trouvait grandement facilitée par les liens d’amitié qui le liait au secrétaire général de cette organisation, Azzam Pacha. Ce dont nos frères algériens et marocains sont restés reconnaissants.

A l’invitation de Messali Hadj il a assumé entre 1953 et 1954 les contacts diplomatiques et les travaux préparatoires en vue de l’internationalisation du problème algérien.

En 1948, il apporta une aide substantielle à la délégation tunisienne durant la session des nations Unies qui s’est tenue cette année-là à Paris. Voici ce qu’écrivait, entre autres, Mohammed Masmoudi à Abed Bouhafa, dans une lettre adressée du Caire en juin 1951 :
«C’était vous qui nous traduisiez nos notes, c’était vous qui facilitiez leur diffusion au sein même des nations Unies, c’était vous qui nous aviez donné l’idée d’un bref communiqué maghrébin commun. Je vous assure, mon cher Abed, que Bourguiba eut les larmes aux yeux lorsque je lui avais relaté les détails de vos activités à Paris».

Voici enfin ce qu’avait dit Bahi Ladgham au Caire à l’adresse de Abed Bouhafa, en présence de Taieb Slim:
«L’histoire témoignera de tout ce que tu as fait pour la patrie»
Que la patrie lui soit reconnaissante.

Allah Yarhmou avec tous les vaillants patriotes qui ont servi, souvent dans la douleur et au prix de leurs intérêts propres, notre chère patrie.

Pr. Ahmed Fria

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